DIVERS – Dix Poèmes pour le Jour des morts

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    Christine SétrinChristine Sétrin
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      Christine SétrinChristine Sétrin
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        Antoine de la Tour – Le Jour des morts (1835)

        Voici le jour des morts, l'âme croit les entendre ;
        Mais au lieu d'un jour sombre et d'un ciel attriste,
        Une heure de printemps se lève sur leur cendre,
        Comme un signe de paix et d'immortalité.

        Vers les champs du repos, autour de la cité,
        La foule des vivants commence à se répandre,
        Et plus d'un a choisi le sentier écarté
        Que peut-être demain il lui faudra reprendre.

        Ah ! vous n'êtes pas là, vous que j'ai tant pleures,
        Le hasard fit, hélas ! à vos mânes sacrés,
        Pour la nuit de la tombe, un chevet solitaire.

        Mais la loi du temps cesse où la vie a cessé,
        Et les larmes du cœur vont partout sous la terre
        Consoler dans la mort le pauvre trépassé.

        ————————————–
        Guillaume Apollinaire – Rhénane d'automne

        Les enfants des morts vont jouer
        Dans le cimetière
        Martin Gertrude Hans et Henri
        Nul coq n’a chanté aujourd’hui
        Kikiriki

        Les vieilles femmes
        Tout en pleurant cheminent
        Et les bons ânes
        Braillent hi han et se mettent à brouter les fleurs
        Des couronnes mortuaires

        C’est le jour des morts et de toutes leurs âmes

        Les enfants et les vieilles femmes
        Allument des bougies et des cierges
        Sur chaque tombe catholique
        Les voiles des vieilles
        Les nuages du ciel
        Sont comme des barbes de biques

        L’air tremble de flammes et de prières

        Le cimetière est un beau jardin
        Plein des saules gris et de romarins
        Il vous vient souvent des amis qu’on enterre
        Ah ! que vous êtes bien dans le beau cimetière
        Vous mendiants morts saouls de bière
        Vous les aveugles comme le destin
        Et vous petits enfants morts en prière

        Ah ! que vous êtes bien dans le beau cimetière
        Vous bourgmestres vous bateliers
        Et vous conseillers de régence

        Vous aussi tziganes sans papiers
        La vie vous pourrit dans la panse
        La croix nous pousse entre les pieds
        Le vent du Rhin ulule avec tous les hiboux
        Il éteint les cierges que toujours les enfants rallument
        Et les feuilles mortes
        Viennent couvrir les morts

        Des enfants morts parlent parfois avec leur mère
        Et des mortes parfois voudraient bien revenir

        Oh ! je ne veux pas que tu sortes
        L’automne est plein de mains coupées
        Non non ce sont des feuilles mortes
        Ce sont les mains des chères mortes
        Ce sont tes mains coupées

        Nous avons tant pleuré aujourd’hui
        Avec ces morts leurs enfants et les vieilles femmes
        Sous le ciel sans soleil
        Au cimetière plein de flammes

        Puis dans le vent nous nous en retournâmes

        À nos pieds roulaient des châtaignes
        Dont les bogues étaient
        Comme le cœur blessé de la madone
        Dont on doute si elle eut la peau
        Couleur des châtaignes d’automne

        ————————————–
        Pierre Corneille – Ne verse point de pleurs (1655)

        Ne verse point de pleurs sur cette sépulture,
        Passant ; ce lit funèbre est un lit précieux,
        Où gît d'un corps tout pur la cendre toute pure ;
        Mais le zèle du cœur vit encore en ces lieux.

        Avant que de payer le droit de la nature,
        Son âme, s'élevant au-delà de ses yeux,
        Avait au Créateur uni la créature ;
        Et marchant sur la terre elle était dans les cieux.

        Les pauvres bien mieux qu'elle ont senti sa richesse
        L'humilité, la peine, étaient son allégresse ;
        Et son dernier soupir fut un soupir d'amour.

        Passant, qu'à son exemple un beau feu te transporte ;
        Et, loin de la pleurer d'avoir perdu le jour,
        Crois qu'on ne meurt jamais quand on meurt de la sorte.

        ————————————–
        Gaston Couté – Requiescat in pace

        Comme s'effeuille une rose
        L'amante dolente aux traits
        Ravagés par la chlorose
        Est morte au soir des regrets
        Et sur le bord de sa fosse
        Le vieux prêtre au dos cassé
        A glapi de sa voix fausse
        Requiescat in pace !…

        Et maintenant pauvre chère
        Elle git loin du soleil
        Sous le grand champ en jachère
        Où tout est paix et sommeil
        Défunts tous les jours d'ivresse
        Et les nuits de l'an passé
        Défunts comme ma maîtresse
        Requiescat in pace !…

        Plus n'ai la force de vivre
        Et par les tristes hivers
        Sertis de larmes de givre
        J'erre en sanglotant mes vers
        Dans le vent qui les emporte
        Mon pauvre coeur trépassé
        Dort sur celui de la morte
        Requiescat in pace !…

        ————————————–
        Théophile Gautier – Coquetterie posthume (1852)

        Quand je mourrai, que l'on me mette,
        Avant de clouer mon cercueil,
        Un peu de rouge à la pommette,
        Un peu de noir au bord de l'oeil.

        Car je veux dans ma bière close,
        Comme le soir de son aveu,
        Rester éternellement rose
        Avec du kh'ol sous mon oeil bleu.

        Pas de suaire en toile fine,
        Mais drapez-moi dans les plis blancs
        De ma robe de mousseline,
        De ma robe à treize volants.

        C'est ma parure préférée ;
        Je la portais quand je lui plus.
        Son premier regard l'a sacrée,
        Et depuis je ne la mis plus.

        Posez-moi, sans jaune immortelle,
        Sans coussin de larmes brodé,
        Sur mon oreiller de dentelle
        De ma chevelure inondé.

        Cet oreiller, dans les nuits folles,
        A vu dormir nos fronts unis,
        Et sous le drap noir des gondoles
        Compté nos baisers infinis.

        Entre mes mains de cire pâle,
        Que la prière réunit,
        Tournez ce chapelet d'opale,
        Par le pape à Rome bénit :

        Je l'égrènerai dans la couche
        D'où nul encor ne s'est levé ;
        Sa bouche en a dit sur ma bouche
        Chaque Pater et chaque Ave.

        ————————————–
        Anna de Noailles – La Mort fervente (1901)

        Mourir dans la buée ardente de l'été,
        Quand parfumé, penchant et lourd comme une grappe,
        Le coeur, que la rumeur de l'air balance et frappe,
        S'égrène en douloureuse et douce volupté.

        Mourir, baignant ses mains aux fraîcheurs du feuillage,
        Joignant ses yeux aux yeux fleurissants des bois verts,
        Se mêlant à l'antique et naissant univers,
        Ayant en même temps sa jeunesse et son âge,

        S'en aller calmement avec la fin du jour ;
        Mourir des flèches d'or du tendre crépuscule,
        Sentir que l'âme douce et paisible recule
        Vers la terre profonde et l'immortel amour.

        S'en aller pour goûter en elle ce mystère
        D'être l'herbe, le grain, la chaleur et les eaux,
        S'endormir dans la plaine aux verdoyants réseaux,
        Mourir pour être encor plus proche de la terre…

        ————————————–
        Sophie d'Arbouville – La Sérénade (1840)

        Mère, quel doux chant me réveille ?
        Minuit ! c'est l'heure où l'on sommeille.
        Qui peut, pour moi, venir si tard
        Veiller et chanter à l'écart ?

        Dors, mon enfant, dors ! c'est un rêve.
        En silence la nuit s'achève,
        Mon front repose auprès du tien,
        Je l'embrasse et je n'entends rien.
        Nul ne donne de sérénade
        À toi, ma pauvre enfant malade !

        Ô mère ! ils descendent des cieux,
        Ces sons, ces chants harmonieux ;
        Nulle voix d'homme n'est si belle,
        Et c'est un ange qui m'appelle !
        Le soleil brille, il m'éblouit…
        Adieu, ma mère, bonne nuit !

        Le lendemain, quand vint l'aurore,
        La blanche enfant dormait encore ;
        Sa mère l'appelle en pleurant,
        Nul baiser n'éveille l'enfant…
        Son âme s'était envolée
        Quand les chants l'avaient appelée.

        ————————————–
        René-François Sully Prudhomme – Le Dernier Adieu (1869)

        Quand l'être cher vient d'expirer,
        On sent obscurément la perte,
        On ne peut pas encor pleurer :
        La mort présente déconcerte ;

        Et ni le lugubre drap noir,
        Ni le Dies irae farouche,
        Ne donnent forme au désespoir :
        La stupeur clôt l'âme et la bouche.

        Incrédule à son propre deuil,
        On regarde au fond de la tombe,
        Sans rien comprendre à ce cercueil
        Sonnant sous la terre qui tombe.

        C'est aux premiers regards portés,
        En famille, autour de la table,
        Sur les sièges plus écartés,
        Que se fait l'adieu véritable.

        ————————————–
        Émile Verhaeren – Vieille ferme à la Toussaint

        La ferme aux longs murs blancs, sous les grands arbres jaunes,
        Regarde, avec les yeux de ses carreaux éteints,
        Tomber très lentement, en ce jour de Toussaint,
        Les feuillages fanés des frênes et des aunes.

        Elle songe et resonge à ceux qui sont ailleurs,
        Et qui, de père en fils, longuement s’éreintèrent,
        Du pied bêchant le sol, des mains fouillant la terre,
        A secouer la plaine à grands coups de labeur.

        Puis elle songe encor qu’elle est finie et seule,
        Et que ses murs épais et lourds, mais crevassés,
        Laissent filtrer la pluie et les brouillards tassés,
        Même jusqu’au foyer où s’abrite l’aïeule.

        Elle regarde aux horizons bouder les bourgs ;
        Des nuages compacts plombent le ciel de Flandre ;
        Et tristement, et lourdement se font entendre,
        Là-bas, des bonds de glas sautant de tour en tour.

        Et quand la chute en or des feuillage effleure,
        Larmes ! ses murs flétris et ses pignons usés,
        La ferme croit sentir ses lointains trépassés
        Qui doucement se rapprochent d’elle, à cette heure,
        Et pleurent.

        ————————————–
        Paul Verlaine – Toussaint (1892)

        Ces vrais vivants qui sont les saints,
        Et les vrais morts qui seront nous,
        C'est notre double fête à tous,
        Comme la fleur de nos desseins,

        Comme le drapeau symbolique
        Que l'ouvrier plante gaîment
        Au faite neuf du bâtiment,
        Mais, au lieu de pierre et de brique,

        C'est de notre chair qu'il s'agit,
        Et de notre âme en ce nôtre œuvre
        Qui, narguant la vieille couleuvre,
        A force de travaux surgit.

        Notre âme et notre chair domptées
        Par la truelle et le ciment
        Du patient renoncement
        Et des heures dûment comptées.

        Mais il est des âmes encor,
        Il est des chairs encore comme
        En chantier, qu'à tort on dénomme
        Les morts, puisqu'ils vivent, trésor

        Au repos, mais que nos prières
        Seulement peuvent monnayer
        Pour, l'architecte, l'employer
        Aux grandes dépenses dernières.

        Prions, entre les morts, pour maints
        De la terre et du Purgatoire,
        Prions de façon méritoire
        Ceux de là-haut qui sont les saints.

        ————————————–

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