DIVERS – Poèmes baroques

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     Scudery, pour une inconstante :

    Elle aime, et n’aime plus, et puis elle aime encore,
    La volage Beauté que je sers constamment :
    L’on voit ma fermeté  Et nous aurions besoin, elle et moi, d’Ellébore.
    Cent fois elle brûla du feu qui me dévore Cent fois elle éteignit ce faible embrasement Et semblable à l’Égypte en mon aveuglement,
    C’est un Caméléon que mon esprit adore.
     
    Puissant Maître des sens, écoute un malheureux Amour, sois Alchimiste, et sers-toi de tes feux
    À faire que son cœur prenne une autre nature :
     
    Comme ce cœur constant me serait un trésor,
    Je ne demande point que tu fasses de l’or,
    Travaille seulement à fixer ce Mercure.



    Jacques du Perron, le temple de l'inconstance

    Je veux bâtir un temple à l'Inconstance.
    Tous amoureux y viendront adorer,
    Et de leurs voeux jour et nuit l'honorer,
    Ayant leur coeur touché de repentance.

    De plume molle en sera l'édifice,
    En l'air fondé sur les ailes du vent,
    L'autel de paille, où je viendrai souvent
    Offrir mon coeur par un feint sacrifice.

    Tout à l'entour je peindrai mainte image
    D'erreur, d'oubli et d'infidélité,
    De fol désir, d'espoir, de vanité,
    De fiction et de penser volage.

    Pour le sacrer, ma légère maîtresse
    Invoquera les ondes de la mer,
    Les vents, la lune, et nous fera nommer
    Moi le templier, et elle la prêtresse.

    Elle séant ainsi qu'une Sibylle
    Sur un trépied tout pur de vif argent
    Nous prédira ce qu'elle ira songeant
    D'une pensée inconstante et mobile.

    Elle écrira sur des feuilles légères
    Les vers qu'alors sa fureur chantera,
    Puis à son gré le vent emportera
    Deçà delà ses chansons mensongères.

    Elle enverra jusqu'au Ciel la fumée
    Et les odeurs de mille faux serments :
    La Déité qu'adorent les amants
    De tels encens veut être parfumée.

    Et moi gardant du saint temple la porte,
    Je chasserai tous ceux-là qui n'auront
    En lettre d'or engravé sur le front
    Le sacré nom de léger que je porte.

    De faux soupirs, de larmes infidèles
    J'y nourrirai le muable Protée,
    Et le Serpent qui de vent allaité
    Déçoit nos yeux de cent couleurs nouvelles.

    Fille de l'air, déesse secourable,
    De qui le corps est de plumes couvert,
    Fais que toujours ton temple soit ouvert
    A tout amant comme moi variable.



    Jean Auvray, Hélas qu'est ce que l'homme

    Helas! qu’est ce de l’homme orgeilleux et mutin,
    Ce n’est qu’une vapeur qu’un petit vent emporte,
    Vapeur, non une fleur qui éclose au matin,
    Vieillit sur le midy, puis au soir elle est morte.

    Une fleur, mais plustost un torrent mene-bruit
    Qui rencontre bien tost le gouffre où il se plonge:
    Torrent non, c’est plustost le songe d’une nuict,
    Un songe! non vrayement, mais c’est l’ombre d’un songe.

    Encor l’ombre demeure un moment arresté;
    L’homme n’arreste rien en sa course legere,
    Le songe quelquefois predit la vérité,
    Nostre vie est tousjours trompeuse et mensongere.

    Maint torrent s’entretient en son rapide cours,
    On ne void point tarir la source de son onde,
    Mais un homme estant mort, il est mort pour tousjours
    Et ne marche jamais sur le plancher du monde.

    Bien que morte est la fleur la plante ne l’est pas,
    En une autre saison d’autres fleurs elle engendre:
    Mais l’homme ayant franchy le sueil de son trespas,
    Les fleurs qu’il nous produit sont les vers et la cendre.

    Aussi tost que du vent le bourasque est passé,
    La vapeur se rejoint estroitement serrée,
    Mais quand la pasle mort son dard nous a lancé,
    Nostre ame est pour long-temps de son corps separee.

    Qu’est-ce de l’homme donc qui tant est estimé,
    Ce n’est rien puis que rien si leger ne nous semble,
    Ou si c’est quelque chose il sera bien nommé
    Vapeur, fleur, torrent, songe, ombre, et rien tout ensemble?



    Jean Baptiste Chassignet, Comme la fleur

    À beaucoup de danger est sujette la fleur,
    Ou l'on la foule aux pieds ou les vents la ternissent,
    Les rayons du soleil la brûlent et rôtissent,
    La bête la dévore, et s'effeuille en verdeur :

    Nos jours entremêlés de regret et de pleur
    À la fleur comparés comme la fleur fleurissent,
    Tombent comme la fleur, comme la fleur périssent,
    Autant comme du froid tourmentés de l'ardeur.

    Non de fer ni de plomb, mais d'odorantes pommes
    Le vaisseau va chargé, ainsi les jours des hommes
    Sont légers, non pesants, variables et vains,

    Qui, laissant après eux d'un peu de renommée
    L'odeur en moins de rien comme fruit consommée,
    Passent légèrement hors du coeur des humains.



    Jean de Sponde, Mais si faut-il mourir

    Mais si faut-il mourir, et la vie orgueilleuse,
    Qui brave de la mort, sentira ses fureurs,
    Les Soleils hâleront ces journalières fleurs,
    Et le temps crèvera cette ampoule venteuse.

    Ce beau flambeau qui lance une flamme fumeuse,
    Sur le vert de la cire éteindra ses ardeurs,
    L’huile de ce Tableau ternira ses couleurs,
    Et les flots se rompront à la rive écumeuse.

    J’ai vu ces clairs éclairs passer devant mes yeux,
    Et le tonnerre encor qui gronde dans les Cieux,
    Où d’une ou d’autre part éclatera l’orage,

    J’ai vu fondre la neige et ses torrents tarir,
    Ces lions rugissants je les ai vu sans rage,
    Vivez, hommes, vivez, mais si faut-il mourir.


    Saint-Amant, Assis sur un fagot

    Assis sur un fagot, une pipe à la main,
    Tristement accoudé contre une cheminée,
    Les yeux fixés vers terre, et l’âme mutinée,
    Je songe aux crautés de mon sort inhumain.

    L’espoir qui me remet du jour au lendemain,
    Essaye à gagner temps sur ma peine obstinée,
    Et me venant promettre une autre destinée,
    Me fait monter plus haut qu’un Empereur Romain.

    Mais à peine cette herbe est-elle mise en cendre,
    Qu’en mon premier estat il me convient descendre,
    Et passer mes ennuis à redire souvent :

    Non, je ne trouve point beaucoup de différence
    De prendre du tabac à vivre d’espérance,
    Car l’un n’est que fumée, et l’autre n’est que vent.



    Marbeuf, Et l'amour et la mer

    Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage,
    Et la mer est amère, et l'amour est amer,
    L'on s'abîme en l'amour aussi bien qu'en la mer,
    Car la mer et l'amour ne sont point sans orage.

    Celui qui craint les eaux, qu'il demeure au rivage,
    Celui qui craint les maux qu'on souffre pour aimer,
    Qu'il ne se laisse pas à l'amour enflammer,
    Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.

    La mère de l'amour eut la mer pour berceau,
    Le feu sort de l'amour, sa mère sort de l'eau
    Mais l'eau contre ce feu ne peut fournir des armes.

    Si l'eau pouvait éteindre un brasier amoureux,
    Ton amour qui me brûle est si fort douloureux,
    Que j'eusse éteint son feu de la mer de mes larmes.



    Théophile de Viau, Elegie à une dame (extrait)

    Je veux faire des vers qui ne soient pas contraints,
    Promener mon esprit par de petits desseins,
    Chercher des lieux secrets où rien ne me déplaise,
    Méditer à loisir, rêver tout à mon aise,
    Employer toute une heure à me mirer dans l’eau,
    Ouïr comme en songeant la course d’un ruisseau,
    Écrire dans les bois, m’interrompre, me taire,
    Composer un quatrain, sans songer à le faire.
    Après m’être égayé par cette douce erreur,
    Je veux qu’un grand dessein réchauffe ma fureur,
    Qu’un œuvre de dix ans me tienne à la contrainte,
    De quelque beau Poème, où vous serez dépeinte :
    Là si mes volontés ne manquent de pouvoir,
    J’aurai bien de la peine en ce plaisant devoir.
    En si haute entreprise où mon esprit s’engage,
    Il faudrait inventer quelque nouveau langage,
    Prendre un esprit nouveau, penser et dire mieux
    Que n’ont jamais pensé les hommes et les Dieux.



    Théophile de Viau, devant moi un corbeau croasse

    Un Corbeau devant moi croasse,
    Une ombre offusque mes regards,
    Deux belettes et deux renards
    Traversent l'endroit où je passe :
    Les pieds faillent à mon cheval,
    Mon laquais tombe du haut mal,
    J'entends craqueter le tonnerre,
    Un esprit se présente à moi,
    J'ois Charon qui m'appelle à soi,
    Je vois le centre de la terre. Ce ruisseau remonte en sa source,
    Un bœuf gravit sur un clocher,
    Le sang coule de ce rocher,
    Un aspic s'accouple d'une ourse,
    Sur le haut d'une vieille tour
    Un serpent déchire un vautour,
    Le feu brûle dedans la glace,
    Le Soleil est devenu noir,
    Je vois la Lune qui va choir,
    Cet arbre est sorti de sa place.



    Tristan L'Hermite, Beau monstre de Nature

    Beau monstre de Nature, il est vrai, ton visage
    Est noir au dernier point mais beau parfaitement
    Et l'ébène poli qui te sert d'ornement
    Sur le plus blanc ivoire emporte l'avantage.

    O merveille divine inconnue à notre âge
    Qu'un objet ténébreux luise si clairement
    Et qu'un charbon éteint brûle plus vivement
    Que ceux qui de la flamme entretiennent l'usage.

    Entre ces noires mains je mets ma liberté :
    Moi qui fut invincible à tout autre beauté
    Une More m'embrase, une esclave me dompte

    Mais cache toi, Soleil, toi qui viens en ces lieux
    D'où cet astre est venu qui porte pour ta honte
    la nuit sur son visage et le jour dans ses yeux.

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