La Querelle des Anciens et des Modernes

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    VictoriaVictoria
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      #148203
      VictoriaVictoria
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        Charles de Saint-Évremond – Sur les poèmes anciens, (Extrait)

        Le texte complet est disponible sur Wikisource



        (…) Si Homère vivait présentement, il ferait des poèmes admirables, accommodés au siècle où il écrirait. Nos poètes en font de mauvais, ajustés à ceux des anciens, et conduits par des règles, qui sont tombées, avec des choses que le temps a fait tomber.

        Je sais qu’il y a de certaines règles éternelles, pour être fondées sur un bon sens, sur une raison ferme et solide, qui subsistera toujours ; mais il en est peu qui portent le caractère de cette raison incorruptible. Celles qui regardaient les mœurs, les affaires, les coutumes des vieux Grecs, ne nous touchent guère aujourd’hui. On en peut dire ce qu’a dit Horace des mots. Elles ont leur âge et leur durée. Les unes meurent de vieillesse :

         ita verborum interit ætas

        Les autres périssent avec leur nation, aussi bien que les maximes du gouvernement, lesquelles ne subsistent pas, après l’empire. Il n’y en a donc que bien peu, qui aient droit de diriger nos esprits, dans tous les temps ; et il serait ridicule de vouloir toujours régler des ouvrages nouveaux, par des lois éteintes. La poésie aurait tort d’exiger de nous ce que la religion et la justice n’en obtiennent pas.

        C’est à une imitation servile et trop affectée, qu’est due la disgrâce de tous nos poèmes. Nos poètes n’ont pas eu la force de quitter les dieux, ni l’adresse de bien employer ce que notre religion leur pouvait fournir. Attachés au goût de l’antiquité, et nécessités à nos sentiments ; ils donnent l’air de Mercure, à nos anges, et celui des merveilles fabuleuses des anciens, à nos miracles. Ce mélange de l’antique et du moderne leur a fort mal réussi : et on peut dire qu’ils n’ont su tirer aucun avantage de leurs fictions, ni faire un bon usage de nos vérités.

        Concluons que les poèmes d’Homère seront toujours des chefs-d’œuvre : non pas en tout des modèles. Ils formeront notre jugement ; et le jugement réglera la disposition des choses présentes.


        #148204
        VictoriaVictoria
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          Nicolas Boileau – Réfexion VII, (Extraits)

          (Texte : Réflexions critiques sur quelques passages du rhéteur Longin)

          (…) Il n'y a en effet que l'approbation de la postérité qui puisse établir le vrai mérite des ouvrages. Quelque éclat qu'ait fait un écrivain durant sa vie, quelques éloges qu'il ait reçus, on ne peut pas pour cela infailliblement conclure que ses ouvrages soient excellents. De faux brillants, la nouveauté du style, un tour d'esprit qui était à la mode, peuvent les avoir fait valoir ; et il arrivera peut-être que dans le sièele suivant on ouvrira les yeux, et que l'on méprisera ce que l'on a admiré. Nous en avons un bel exemple dans Ronsard et dans ses imitateurs, comme du Bellay, du Bartas , Desportes, qui, dans le siècle précédent, ont été l'admiration de tout le monde, et qui aujourd'hui ne trouvent pas même de lecteurs.

          (…) Mais lorsque des écrivains ont été admirés durant un fort grand nombre de siècles, et n'ont été méprisés que par quelques gens de goût bizarre, car il se trouve toujours des goûts dépravés, alors non seulement il y a de la témérité, mais il y a de la folie à vouloir douter du mérite de ces écrivains. Que si vous ne voyez point les beautés de leurs écrits, il ne faut pas conclure qu'elles n'y sont point, mais que vous êtes aveugle, et que vous n'avez point de goût. Le gros des hommes à la longue ne se trompe point sur les ouvrages d'esprit. Il n'est plus question, à l'heure qu'il est, de savoir si Homère, Platon, Cicéron, Virgile, sont des hommes merveilleux ; c'est une chose sans contestation, puisque vingt siècles en sont convenus ; il s'agit de savoir en quoi consiste ce merveilleux qui les a fait admirer de tant de siècles, et il faut trouver moyen de le voir, ou renoncer aux belles lettres, auxquelles  vous devez croire que vous n'avez ni goût ni génie, puisque vous ne sentez point ce qu'ont senti tous les hommes.

          (…) Au reste, il ne faut pas s'imaginer que, dans ce nombre d'écrivains approuvés de tous les siècles, je veuille ici comprendre ces auteurs, à la vérité anciens , mais qui ne se sont acquis qu'une médiocre estime, comme Lycophron, Nonnus, Silius Italicus, fauteur des tragédies attribuées à Sénèque, et plusieur autres à qui on peut, non seulement comparer, mais à qui on peut, à mon avis, justement préférer beaucoup d'écrivains modernes. Je n'admets dans ce haut rang que ce petit nombre d'écrivains merveilleux dont le nom seul fait l'éloge, comme Homère, Platon, Cicéron, Virgile, etc. Et je ne règle point l'estime que je fais d'eux par le temps qu'il y a que leurs ouvrages durent, mais par le temps qu'il y a qu'on les
          admire. C'est de quoi il est bon d'avertir beaucoup de gens qui pourraient mal à propos croire ce que veut insinuer notre censeur, qu'on ne loue les anciens que parce qu'ils sont anciens, et qu'on ne blâme les modernes que parce qu'ils sont modernes ; ce qui n'est point du tout véritable, y ayant beaucoup d'anciens qu'on n'admire point, et beaucoup de modernes que tout le monde loue. L'antiquité d'un écrivain n'est pas un titre certain de son mérite ; mais l'antique et constante admiration qu'on a toujours eue pour ses ouvrages, est une preuve sûre et infaillible qu'on les doit admirer.

          #148205
          VictoriaVictoria
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            Fénelon – Lettre à l'Académie française (Extrait)

            (Texte complet : Lettre à l'Académie française)

            (…) Il est naturel que les modernes, qui ont beaucoup d'élégance et de tours ingénieux, se flattent de surpasser les anciens, qui n'ont que la simple nature. Mais je demande la permission de faire ici une espèce d'apologue : les inventeurs de l'architecture qu'on nomme gothique, et qui est, dit-on, celle des Arabes, crurent sans doute avoir surpassé les architectes grecs. Un édifice grec n'a aucun ornement qui ne serve qu'à orner l'ouvrage ; les pièces nécessaires pour le soutenir, ou pour le mettre à couvert, comme les colonnes et la corniche, se tournent seulement en grâce par leurs proportions. Tout est simple, tout est mesuré, tout est borné à l'usage. On n'y voit ni hardiesse, ni caprice qui impose aux yeux. Les proportions sont si justes, que rien ne paraît fort grand, quoique tout le soit ; tout est borné à contenter la vraie raison. Au contraire, l'architecte gothique élève sur des piliers très minces une voûte immense qui monte jusqu'aux nues. On croit que tout va tomber, mais tout dure, pendant bien des siècles. Tout est plein de fenêtres, de roses et de pointes ; la pierre semble découpée comme du carton : tout est à jour, tout est en l'air. N'est-il pas naturel que les premiers architectes gothiques se soient flattés d'avoir surpassé par leur vain raffinement la simplicité grecque ? Changez seulement les noms ; mettez les poètes et les orateurs en la place des architectes. Lucain devait naturellement croire qu'il était plus grand que Virgile. Sénèque le tragique pouvait s'imaginer qu'il brillait bien plus que Sophocle. Le Tasse a pu espérer de laisser derrière lui Virgile et Homère. Ces auteurs se seraient trompés en pensant ainsi ; les plus excellents auteurs de nos jours doivent craindre de se tromper de même.

            Je n'ai garde de vouloir juger, en parlant ainsi ; je propose seulement aux hommes qui ornent notre siècle, de ne mépriser point ceux que tant de siècles ont admirés. Je ne vante point les anciens comme les modèles sans imperfection ; je ne veux point ôter à personne l'espérance de les vaincre. Je souhaite au contraire de voir les modernes victorieux par l'étude des anciens mêmes qu'ils auront vaincus, mais je croirais m'égarer au-delà de mes bornes si je me mêlais de juger jamais pour le prix entre les combattants :

            Non nostrum inter vos tantas componere lites,
            Et vitula tu dignus et hic…

            Vous m'avez pressé, Monsieur, de dire ma pensée. J'ai moins consulté mes forces que mon zèle pour la compagnie. J'ai peut-être trop dit, quoique je n'aie prétendu dire aucun mot qui me rende partial. Il est temps de me taire :

            Phoebus volentem praelia me loqui,
            Victas et urbes, increpuit lyra,
            Ne parva Tyrrhenum per aequor
            Vela darem.

            Je suis pour toujours, avec une estime sincère et parfaite, Monsieur etc.

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