SULLY PRUDHOMME – Poésies

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  • #145550
    Prof. TournesolProf. Tournesol
    Participant

      SULLY PRUDHOMME – Poésies


      “La valse”

      Dans un flot de gaze et de soie,
      Couples pâles, silencieux,
      Ils tournent, et le parquet ploie,
      Et vers le lustre qui flamboie
      S’égarent demi-clos leurs yeux.

      Je pense aux vieux rochers que j’ai vus en Bretagne,
      Où la houle s’engouffre et tourne, jour et nuit,
      Du même tournoîment que toujours accompagne
      Le même bruit.

      La valse molle cache en elle
      Un languissant aveu d’amour.
      L’âme y glisse en levant son aile :
      C’est comme une fuite éternelle,
      C’est comme un éternel retour.

      Je pense aux vieux rochers que j’ai vus en Bretagne,
      Où la houle s’engouffre et tourne, jour et nuit,
      Du même tournoîment que toujours accompagne
      Le même bruit.

      Le jeune homme sent sa jeunesse,
      Et la vierge dit : ” Si j’aimais ? “
      Et leurs lèvres se font sans cesse
      La douce et fuyante promesse
      D’un baiser qui ne vient jamais.

      Je pense aux vieux rochers que j’ai vus en Bretagne,
      Où la houle s’engouffre et tourne, jour et nuit,
      Du même tournoîment que toujours accompagne
      Le même bruit.

      L’orchestre est las, les valses meurent,
      Les flambeaux pâles ont décru,
      Les miroirs se troublent et pleurent.
      Les ténèbres seules demeurent,
      Tous les couples ont disparu.

      Je pense aux vieux rochers que j’ai vus en Bretagne,
      Où la houle s’engouffre et tourne, jour et nuit,
      Du même tournoîment que toujours accompagne
      Le même bruit.

      #145552
      Prof. TournesolProf. Tournesol
      Participant

        “Le cygne”

        Sans bruit, sous le miroir des lacs profonds et calmes,
        Le cygne chasse l’onde avec ses larges palmes,
        Et glisse. Le duvet de ses flancs est pareil
        A des neiges d’avril qui croulent au soleil ;
        Mais, ferme et d’un blanc mat, vibrant sous le zéphire,
        Sa grande aile l’entraîne ainsi qu’un lent navire.
        Il dresse son beau col au-dessus des roseaux,
        Le plonge, le promène allongé sur les eaux,
        Le courbe gracieux comme un profil d’acanthe,
        Et cache son bec noir dans sa gorge éclatante.
        Tantôt le long des pins, séjour d’ombre et de paix,
        Il serpente, et laissant les herbages épais
        Traîner derrière lui comme une chevelure,
        Il va d’une tardive et languissante allure ;
        La grotte où le poète écoute ce qu’il sent,
        Et la source qui pleure un éternel absent,
        Lui plaisent : il y rôde ; une feuille de saule
        En silence tombée effleure son épaule ;
        Tantôt il pousse au large, et, loin du bois obscur,
        Superbe, gouvernant du côté de l’azur,
        Il choisit, pour fêter sa blancheur qu’il admire,
        La place éblouissante où le soleil se mire.
        Puis, quand les bords de l’eau ne se distinguent plus,
        A l’heure où toute forme est un spectre confus,
        Où l’horizon brunit, rayé d’un long trait rouge,
        Alors que pas un jonc, pas un glaïeul ne bouge,
        Que les rainettes font dans l’air serein leur bruit
        Et que la luciole au clair de lune luit,
        L’oiseau, dans le lac sombre, où sous lui se reflète
        La splendeur d’une nuit lactée et violette,
        Comme un vase d’argent parmi des diamants,
        Dort, la tête sous l’aile, entre deux firmaments.

        #145553
        Prof. TournesolProf. Tournesol
        Participant

          “Le vase brisé”

          Le vase où meurt cette verveine
          D’un coup d’éventail fut fêlé ;
          Le coup dut effleurer à peine :
          Aucun bruit ne l’a révélé.

          Mais la légère meurtrissure,
          Mordant le cristal chaque jour,
          D’une marche invisible et sûre
          En a fait lentement le tour.

          Son eau fraîche a fui goutte à goutte,
          Le suc des fleurs s’est épuisé ;
          Personne encore ne s’en doute ;
          N’y touchez pas, il est brisé.

          Souvent aussi la main qu’on aime,
          Effleurant le coeur, le meurtrit ;
          Puis le coeur se fend de lui-même,
          La fleur de son amour périt ;

          Toujours intact aux yeux du monde,
          Il sent croître et pleurer tout bas
          Sa blessure fine et profonde ;
          Il est brisé, n’y touchez pas.

          #145560
          Augustin BrunaultAugustin Brunault
          Maître des clés

            “Midi au village”


            Nul troupeau n’erre ni ne broute ;
            Le berger s’allonge à l’écart ;
            La poussière dort sur la route,
            Le charretier sur le brancard.

            Le forgeron dort dans la forge ;
            Le maçon s’étend sur un banc ;
            Le boucher ronfle à pleine gorge,
            Les bras rouges encor de sang.

            La guêpe rôde au bord des jattes ;
            Les ramiers couvrent les pignons ;
            Et, la gueule entre les deux pattes,
            Le dogue a des rêves grognons.

            Les lavandières babillardes
            Se taisent. Non loin du lavoir,
            En plein azur, sèchent les hardes
            D’une blancheur blessante à voir.

            La férule à peine surveille
            Les écoliers inattentifs ;
            Le murmure épars d’une abeille
            Se mêle aux alphabets plaintifs…

            Un vent chaud traîne ses écharpes
            Sur les grands blés lourds de sommeil,
            Et les mouches se font des harpes
            Avec des rayons de soleil.

            Immobiles devant les portes
            Sur la pierre des seuils étroits,
            Les aïeules semblent des mortes
            Avec leurs quenouilles aux doigts.

            C’est alors que de la fenêtre
            S’entendent, tout en parlant bas,
            Plus libres qu’à minuit peut-être,
            Les amants, qui ne dorment pas.

            #142044
            Prof. TournesolProf. Tournesol
            Participant
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