Karl Marx en 1874

Le Capital (Livre 1, Section 8)

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Livre premier : Le Développement de la production capitaliste – Huitième Section : L’Accumulation primitive (traduction de J. Roy entièrement révisée par l’auteur, 1872)

Nous voici à la huitième et dernière section du Livre premier (j’ai donc « sauté » les 4 précédentes). Elle peut parfaitement se lire indépendamment.

Le capital, dans sa « gloutonnerie de travail-extra » (3e section) – c’est-à-dire gratuit – parvient à s’accroître formidablement « en épuisant les deux seules sources de richesses : le travailleur et la terre » (dernière phrase de la 4e section – non encore enregistrée).

Mais, avant de dominer complètement la production, comment s’est-il initialement constitué ? Quel est le « secret de l’accumulation primitive » ?

« La spoliation des biens d’église, l’aliénation frauduleuse des domaines de l’État, le pillage des terrains communaux, la transformation usurpatrice et terroriste de la propriété féodale ou même patriarcale en propriété moderne privée, la guerre aux chaumières, voilà les procédés idylliques de l’accumulation primitive. Ils ont conquis la terre à l’agriculture capitaliste, incorporé le sol au capital et livré à l’industrie des villes les bras dociles d’un prolétariat sans feu ni lieu ». (Chap. 27)

« C’est ainsi que la population des campagnes, violemment expropriée et réduite au vagabondage, a été rompue à la discipline qu’exige le système du salariat par des lois d’un terrorisme grotesque, par le fouet, la marque au fer rouge, la torture et l’esclavage.

Ce n’est pas assez que d’un côté se présentent les conditions matérielles du travail, sous forme de capital, et de l’autre des hommes qui n’ont rien à vendre, sauf leur puissance de travail. Il ne suffit pas non plus qu’on les contraigne par la force à se se vendre volontairement. Dans le progrès de la production capitaliste, il se forme une classe de plus en plus nombreuse de travailleurs, qui, grâce à l’éducation, la tradition, l’habitude, subissent les exigences du régime aussi spontanément que le changement des saisons. Dès que ce mode de production a acquis un certain développement, son mécanisme brise toute résistance ; la présence constante d’une surpopulation relative maintient la loi de l’offre et la demande du travail et, partant, le salaire dans des limites conformes aux besoins du capital, et la sourde pression des rapports économiques achève le despotisme du capitaliste sur le travailleur. Parfois on a bien encore recours à la contrainte, à l’emploi de la force brutale, mais ce n’est que par exception. Dans le cours ordinaire des choses, le travailleur peut être abandonné à l’action des « lois naturelles » de la société, c’est-à-dire à la dépendance du capital, engendrée, garantie et perpétuée par le mécanisme même de la production. Il en est autrement pendant la genèse historique de la production capitaliste. La bourgeoisie naissante ne saurait se passer de l’intervention constante de l’État ; elle s’en sert pour « régler » le salaire, c’est-à-dire pour le déprimer an niveau convenable, pour prolonger la journée de travail et maintenir le travailleur lui-même au degré de dépendance voulu. C’est là un moment essentiel de l’accumulation primitive ». (Chap. 28)

« La découverte des contrées aurifères et argentifères de l’Amérique, la réduction des indigènes en esclavage, leur enfouissement dans les mines ou leur extermination, les commencements de conquête et de pillage aux Indes orientales, la transformation de l’Afrique en une sorte de garenne commerciale pour la chasse aux peaux noires, voilà les procédés idylliques d’accumulation primitive qui signalent l’ère capitaliste à son aurore. Aussitôt après, éclate la guerre mercantile ;elle a le globe entier pour théâtre. S’ouvrant par la révolte de la Hollande contre l’Espagne, elle prend des proportions gigantesques dans la croisade de l’Angleterre contre la Révolution française et se prolonge, jusqu’à nos jours, en expéditions de pirates, comme les fameuses guerres d’opium contre la Chine.
Les différentes méthodes d’accumulation primitive que l’ère capitaliste fait éclore se partagent d’abord, par ordre plus ou moins chronologique, le Portugal, l’Espagne, la Hollande, la France et l’Angleterre, jusqu’à ce que celle-ci les combine toutes, au dernier tiers du dix-septième siècle, dans un ensemble systématique, embrassant à la fois le régime colonial, le crédit public, la finance moderne et le système protectionniste. Quelques-unes de ces méthodes reposent sur l’emploi de la force brutale, mais toutes sans exception exploitent le pouvoir de l’État, la force concentrée et organisée de la société, afin de précipiter violemment le passage de l’ordre économique féodal à l’ordre économique capitaliste et d’abréger les phases de transition. Et, en effet, la force est l’accoucheuse de toute vieille société en travail. La force est un agent économique. » (Chap. 31)

« Le système protectionniste fut un moyen artificiel de fabriquer des fabricants, d’exproprier des travailleurs indépendants, de convertir en capital les instruments et conditions matérielles du travail, d’abréger de vive force la transition du mode traditionnel de production au mode moderne. Les États européens se disputèrent la palme du protectionnisme et, une fois entrés au service des faiseurs de plus-value, ils ne se contentèrent pas de saigner à blanc leur propre peuple, indirectement par les droits protecteurs, directement par les primes d’exportation, les monopoles de vente à l’intérieur, etc. Dans les pays voisins placés sous leur dépendance, ils extirpèrent violemment toute espèce d’industrie ». (Chap. 31)

« À mesure que diminue le nombre des potentats du capital qui usurpent et monopolisent tous les avantages de cette période d’évolution sociale, s’accroissent la misère, l’oppression, l’esclavage, la dégradation, l’exploitation, mais aussi la résistance de la classe ouvrière sans cesse grossissante et de plus en plus disciplinée, unie et organisée par le mécanisme même de la production capitaliste. Le monopole du capital devient une entrave pour le mode de production qui a grandi et prospéré avec lui et sous ses auspices. La socialisation du travail et la centralisation de ses ressorts matériels arrivent à un point où elles ne peuvent plus tenir dans leur enveloppe capitaliste. Cette enveloppe se brise en éclats. L’heure de la propriété capitaliste a sonné. Les expropriateurs sont à leur tour expropriés » (Chap. 32)

Quand, au 33e et dernier chapitre, Marx enfonce le clou de sa démonstration au dépend d’un économiste bourgeois (en tant que représentant de la vision idyllique, dominante, du capitalisme), je n’ai pu m’empêcher d’un fou rire.
Rirez-vous aussi avec Marx ? Jouons un peu : avez-vous trouvé le passage (où la voix se fait, malgré la coupure au montage, légèrement chevrotante – je l’ai laissée en souvenir 🙂 ? Dites-oui ou non dans les commentaires – mais ne dévoilez pas l’endroit !

Qu’un peu de légèreté – forcément ironique – jaillisse de son analyse implacable, ne fait après tout pas de mal, après le sombre tableau qu’il a esquissé tout au long de cette section – ô combien sérieuse puisqu’y apparaît enfin la conclusion, que le mouvement ouvrier a, plus tard, traduit en slogan, « exproprions les expropriateurs » !

Traduction : J. Roy (1872).

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Livre audio gratuit ajouté le 03/09/2019.

5 Commentaires

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  1. Bonjour.
    Merci pour la lecture,de ce livre de ce grand Homme.
    Un peu dure a suivre mais heureusement votre lecture aide.
    Sa permet d avoir une idée sur les valeurs des capitaliste ,on est pas sortie de la misère,rien n a changer,pourtant les ouvriers ,employés ,paysans sont plus instruit,mais sa bouge pas.
    Au plaisir d écouter d autre texte de ce genre.

  2. Merci Ceusette et Ahmed pour vos encouragements et votre intérêt renouvelés.

    J’ai finalement enregistré le court texte d’où est issue la citation sur l’epuisement, par le capitalisme de la terre et du travaileur en quatrième section.
    A bientôt, Albatros

  3. Bonsoir chère Albatros,

    Merci infiniment pour la suite et vous souhaite une agréable soirée,et du courage .

    Bien cordialement,

    Ahmed

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