Simone Weil à Baden-Baden (1921)

La Personne et le Sacré (1943)

Dans La Personne et le Sacré, Simone Weil interroge l’attachement à la notion de personne en philosophie. Tout usage de cette notion est-il vraiment éclairant et pertinent ? Quand on admet que l’homme est digne de respect et sacré, que gagne-t-on à employer cette notion de personne et à parler le langage du courant qu’on appelle personnalisme théorisé par Emmanuel Mounier ? Ne risque-t-on pas d’accorder beaucoup trop aux prestiges du moi, à l’égocentrisme et à ses illusions ? L’attachement à ce qui est personnel suffit souvent à justifier la revendication de droits ou d’une identité par rapport à une collectivité. Ainsi la notion elle-même de personne flatte et nourrit cet attachement, alors qu’elle a une certaine ambiguïté et peut avoir, au moins dans certains contextes, une valeur discutable. On peut se rappeler par exemple que « personne » a parfois une signification négative, celle d’un certain néant : là où il n’y a personne, rien.

En commençant par une analyse de la notion de personne dans la langue commune, Simone Weil tente de répondre à ces questions avec le souci de préparer la reconstruction, en Europe, d’une vraie civilisation capable de répondre aux besoins de l’âme humaine et notamment aux besoins de vérité et d’enracinement. Elle le fait en prenant le risque d’une polémique avec le courant personnaliste (Emmanuel Mounier, Jacques Maritain). D’une part en effet, elle soutient : « Il y a dans chaque homme quelque chose de sacré. Mais ce n’est pas sa personne. Ce n’est pas non plus la personne humaine. C’est lui, cet homme, tout simplement. // Voilà un passant dans la rue qui a de longs bras, des yeux bleus, un esprit où passent des pensées que j’ignore, mais qui peut-être sont médiocres. // Ce n’est ni sa personne, ni la personne humaine en lui qui m’est sacrée. C’est lui. Lui tout entier. Les bras, les yeux, les pensées, tout. Je ne porterais atteinte à rien de tout cela sans des scrupules infinis. »

D’autre part, elle soutient que « ce qui est sacré, bien loin que ce soit la personne, c’est ce qui, dans un être humain, est impersonnel. » Il y a une certaine tendance à la contradiction entre ces deux thèses, et le propos alterne entre fulgurances lumineuses et passages plus obscurs. En tout cas, dans la suite logique de son propos tendu entre ces deux thèses, Simone Weil critique la place faite à la notion de droit mais aussi l’idolâtrie de la collectivité. En effet, « la notion de droit entraîne naturellement à sa suite, du fait même de sa médiocrité, celle de personne, car le droit est relatif aux choses personnelles ». Par ailleurs, les personnes risquent de se noyer dans le collectif, où elles sont tentées de trouver refuge quand la vie est trop dure, alors que le collectif est le contraire de l’impersonnel. Au fond, Simone Weil dénonce bien ces deux idolâtries : celle du « moi » et celle du « nous », qui présentent toutes deux de graves dangers pour la reconstruction et le maintien d’une civilisation soucieuse de satisfaire les besoins de l’âme de chaque personne humaine. »

À lire sur Littératureaudio.com, en lien avec ce texte : Qu’est-ce que le personnalisme ? d’Emmanuel Mounier, lu par Domi.


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1 Commentaire

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  1. Merci, cher Ludovic, d’avoir rendu audible ce texte très dense dont les réflexions méritent d’être pesées et soupesées et qui proposent à la pensée le chemin vers le Beau et le Bien.
    Pour ma part, je suis de l’avis de Simone Weil sur la condition ouvrière et le vrai moyen d’en atténuer pour eux les difficultés.
    Merci pour vos lectures.

Lu par Ludovic CoudertVoir plus

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