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Augustin BrunaultAugustin Brunault
Maître des clés

    APOLLINAIRE, Guillaume – Poésies, 2


    Merveille de la guerre


    (Extrait du recueil Calligrammes, 1918)




    Que c’est beau ces fusées qui illuminent la nuit
    Elles montent sur leur propre cime et se penchent pour regarder
    Ce sont des dames qui dansent avec leurs regards pour yeux bras et cœurs

    J’ai reconnu ton sourire et ta vivacité

    C’est aussi l’apothéose quotidienne de toutes mes Bérénices dont les chevelures sont devenues des comètes
    Ces danseuses surdorées appartiennent à tous les temps et à toutes les races
    Elles accouchent brusquement d’enfants qui n’ont que le temps de mourir

    Comme c’est beau toutes ces fusées
    Mais ce serait bien plus beau s’il y en avait plus encore
    S’il y en avait des millions qui auraient un sens complet et relatif comme les lettres d’un livre
    Pourtant c’est aussi beau que si la vie même sortait des mourants

    Mais ce serait plus beau encore s’il y en avait plus encore
    Cependant je les regarde comme une beauté qui s’offre et s’évanouit aussitôt
    Il me semble assister à un grand festin éclairé a giorno
    C’est un banquet que s’offre la terre
    Elle a faim et ouvre de longues bouches pâles
    La terre a faim et voici son festin de Balthasar cannibale
    Qui aurait dit qu’on pût être à ce point anthropophage
    Et qu’il fallût tant de feu pour rôtir le corps humain
    C’est pourquoi l’air a un petit goût empyreumatique qui n’est ma foi pas désagréable
    Mais le festin serait plus beau encore si le ciel y mangeait avec la terre
    Il n’avale que les âmes
    Ce qui est une façon de ne pas se nourrir
    Et se contente de jongler avec des feux versicolores

    Mais j’ai coulé dans la douceur de cette guerre avec toute ma compagnie au long des longs boyaux
    Quelques cris de flamme annoncent sans cesse ma présence
    J’ai creusé le lit où je coule en me ramifiant en mille petits fleuves qui vont partout
    Je suis dans la tranchée de première ligne et cependant je suis partout ou plutôt je commence à être partout
    C’est moi qui commence cette chose des siècles à venir
    Ce sera plus long à réaliser que non la fable d’Icare volant

    Je lègue à l’avenir l’histoire de Guillaume Apollinaire
    Qui fut à la guerre et sut être partout
    Dans les villes heureuses de l’arrière
    Dans tout le reste de l’univers
    Dans ceux qui meurent en piétinant dans le barbelé
    Dans les femmes dans les canons dans les chevaux
    Au zénith au nadir aux 4 points cardinaux
    Et dans l’unique ardeur de cette veillée d’armes

    Et ce serait sans doute bien plus beau
    Si je pouvais supposer que toutes ces choses dans lesquelles je suis partout
    Pouvaient m’occuper aussi
    Mais dans ce sens il n’y a rien de fait
    Car si je suis partout à cette heure il n’y a cependant que moi qui suis en moi

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