Répondre à : MAUPASSANT, Guy (de) – Correspondance avec Marie Bashkirtseff

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#145624
Augustin BrunaultAugustin Brunault
Maître des clés

    A MARIE BASHKIRTSEFF

    Cannes, 1, rue du Redan.
    [Mars 1884.]


    Madame,
    Ma lettre assurément, ne sera pas celle que vous attendez. Je veux d’abord vous remercier de votre bonne grâce à mon égard et de vos compliments aimables, puis nous allons causer, en gens raisonnables.
    Vous me demandez d’être ma confidente ? A quel titre ? Je ne vous connais point. Pourquoi dirais-je, à vous, une inconnue, dont l’esprit, les tendances et le reste peuvent ne point convenir à mon tempérament intellectuel, ce que je peux dire, de vive voix, dans l’intimité, aux femmes qui sont mes amies ? Ne serait-ce point un acte d’écervelé, et d’inconstant ami ?
    Qu’est-ce que le mystère peut ajouter au charme des relations par lettres ?
    Toute la douceur des affections entre homme et femme (j’entends des affections chastes) ne vient-elle pas surtout du plaisir de se voir, et de causer en se regardant, et de retrouver, en pensée, quand on écrit à l’amie, les traits de son visage flottant entre vos yeux et ce papier ?
    Comment même écrire des choses intimes, le fond de soi, à un être dont on ignore la forme physique, la couleur des cheveux, le sourire et le regard ?
    Quel intérêt aurais-je à vous raconter « j’ai fait ceci, j’ai fait cela », sachant que cela n’évoquera devant vous que l’image des choses peu intéressantes, puisque vous ne me connaîtrez point ?
    Vous faites allusion à une lettre que j’ai reçue dernièrement, elle était d’un homme qui me demandait un conseil. Voilà tout.
    Je reviens aux lettres d’inconnues. J’en ai reçu depuis deux ans cinquante à soixante environ. Comment choisir entre ces femmes la confidente de mon âme, comme vous dites ?
    Quand elles veulent bien se montrer et faire connaissance comme dans le monde des simples bourgeois, des relations d’amitié et de confiance peuvent s’établir ; sinon pourquoi négliger les amies charmantes qu’on connaît, pour une amie qui peut être charmante, mais inconnue, c’est-à-dire qui peut être désagréable, soit à nos yeux, soit à notre pensée ? Tout cela n’est pas très galant, n’est-ce pas ? Mais si je me jetais à vos pieds, pourriez-vous me croire fidèle dans mes affections morales ?
    Pardonnez-moi, Madame, ces raisonnements d’homme plus pratique que poétique, et croyez-moi votre reconnaissant et dévoué

    GUY DE MAUPASSANT


    PS : Pardon pour les ratures de ma lettre, je ne puis écrire sans en faire et je n’ai point le temps de me recopier.

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