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#145824
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    RODENBACH, Georges – Poésies


    “Béguinage flamand”

    I

    Au loin, le béguinage avec ses clochers noirs,
    Avec son rouge enclos, ses toits d’ardoises bleues
    Reflétant tout le ciel comme de grands miroirs,
    S’étend dans la verdure et la paix des banlieues.

    Les pignons dentelés étagent leurs gradins
    Par où montent le Rêve aux lointains qui brunissent,
    Et des branches parfois, sur les murs des jardins,
    Ont le geste très doux des prêtres qui bénissent.

    En fines lettres d’or chaque nom des couvents
    Sur les portes s’enroule autour des banderoles,
    Noms charmants chuchotés par la lèvre des vents ;
    La maison de l’Amour, la maison des Corolles,

    Les fenêtres surtout sont comme des autels
    Où fleurissent toujours des géraniums roses,
    Qui mettent, combinant leurs couleurs de pastels,
    Comme un rêve de fleurs dans les fenêtres closes.

    Fenêtres des couvents ! attirantes le soir
    Avec leurs rideaux blancs, voiles de mariées,
    Qu’on voudrait soulever dans un bruit d’encensoir
    Pour goûter vos baisers, lèvres appariées !

    Mais ces femmes sont là, le coeur pacifié,
    La chair morte, cousant dans l’exil de leurs chambres ;
    Elles n’aiment que toi, pâle crucifié,
    Et regardent le Ciel par les trous de tes membres !

    Oh ! le silence heureux de l’ouvroir aux grands murs,
    Où l’on entend à peine un bruit de banc qui bouge,
    Tandis qu’elles sont là, suivant de leurs yeux purs
    Le sable en ruisseaux blonds sur le pavement rouge.

    Oh ! le bonheur muet des vierges s’assemblant,
    Et comme si leurs mains étaient de candeur telle
    Qu’elles ne peuvent plus manier que du blanc,
    Elles brodent du linge ou font de la dentelle.

    C’est un charme imprévu de leur dire ” ma sœur “
    Et de voir la pâleur de leur teint diaphane
    Avec un pointillé de taches de rousseur
    Comme un camélia d’un blanc mat qui se fane.

    Rien d’impur n’a flétri leurs flancs immaculés,
    Car la source de vie est enfermée en elles
    Comme un vin rare et doux dans des vases scellés
    Qui veulent, pour s’ouvrir, des lèvres éternelles !


    II

    Cependant quand le soir douloureux est défunt,
    La cloche lentement les appelle à complies
    Comme si leur prière était le seul parfum
    Qui pût consoler Dieu dans ses mélancolies !

    Tout est doux, tout est calme au milieu de l’enclos ;
    Aux offices du soir la cloche les exhorte,
    Et chacune s’y rend, mains jointes, les yeux clos,
    Avec des glissements de cygne dans l’eau morte.

    Elles mettent un voile à longs plis ; le secret
    De leur âme s’épanche à la lueur des cierges,
    Et, quand passe un vieux prêtre en étole, on croirait
    Voir le Seigneur marcher dans un Jardin de Vierges !


    III

    Et l’élan de l’extase est si contagieux,
    Et le coeur à prier si bien se tranquillise,
    Que plus d’une, pendant les soirs religieux,
    L’été répète encor les Ave de l’Église ;

    Debout à sa fenêtre ouverte au vent joyeux,
    Plus d’une, sans Ôter sa cornette et ses voiles,
    Bien avant dans la nuit, égrène avec ses yeux
    Le rosaire aux grains d’or des priantes étoiles !

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