Répondre à : BARBEY D’AUREVILLY, Jules – Poésies

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#145910
VictoriaVictoria
Participant

    T’en souviens-tu ?


    Te souviens-tu du soir, où près de la fenêtre
    Ouverte d’un salon plein de joyeux ébats,
    Tu n’avais pas seize ans… les avais-tu ?… Peut-être ?
    Sous le rideau tombé, nous nous parlions tout bas ?…
    Ce n’était pas l’amour que t’exprimait ma bouche,
    Mon coeur était trop vieux, trop glacé, trop hautain,
    Pour parler à ton coeur ; mais, prophète farouche,
    Je te prédisais ton destin.

    Et toi, tu m’écoutais, sur la barre accoudée ;
    Tu me montrais ta nuque, en me cachant ton front ;
    Et tu restais muette à la cruelle idée
    De ce premier amour qui, t’ayant possédée,
    Deviendra mon dernier affront !
    Nuit, ciel, jardin, massifs, dehors tout était sombre,
    Et tu regardais dans ce noir.
    Mais ton coeur de seize ans avait encor plus d’ombre,
    Et là, comme dehors, tu ne pouvais rien voir !

    Mais moi, moi, j’y voyais ! mes yeux perçaient le voile
    Qui te cachait ton avenir,
    Et je voyais au loin monter l’affreuse étoile
    De ce premier amour qui pour toi doit venir !
    Je te disais alors : ” Il va bientôt paraître
    Celui-là qui prendra d’autorité vos jours !
    Mais moi qui ne veux pas vous voir subir un maître,
    J’aurai disparu pour toujours ! “

    C’est fait… Je suis sorti maintenant de ta vie
    Sans t’avoir dit l’adieu qu’on se dit quand on part ;
    Silencieusement j’emporte ma folie…
    Pour être aimé de toi, j’étais venu trop tard.
    Tu ne m’as pas trahi. Je n’ai rien à te dire…
    Ce qui fut entre nous, c’est la Fatalité.
    D’aucune illusion tu n’eus sur moi l’empire,
    Sinon celle de ta fierté !

    Te l’avais-je assez exaltée,
    Pour résister à ton futur vainqueur ?
    Ai-je cru te l’avoir plantée
    Assez avant dans ton trop faible coeur ?
    J’avais donc mis trop haut ton âme.
    En toi de la fierté ? non ! pas même d’orgueil !
    Est-ce que tu pouvais être plus qu’une femme ?
    Les bras fermés sur toi sont pour moi ton cercueil.
    Et si, devant mes yeux, un de ces soirs peut-être,
    Tu passes, entraînant tous les coeurs sous tes pas,
    Ne baisse pas les tiens ; – car tu m’as fait connaître
    Ce genre de mépris qui même ne voit pas !…

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