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La Voyageuse
I
Au temps des pastels de Latour,
Quand l’enfant-dieu régnait au monde
Par la grâce de Pompadour,
Au temps des beautés sans seconde ;
Au temps féerique où, sans mouchoir,
Sur les lys que Lancret dessine
Le collier de taffetas noir
Lutte avec la mouche assassine ;
Au temps où la Nymphe du vin
Sourit sous la peau de panthère,
Au temps où Wateau le divin
Frète sa barque pour Cythère ;
En ce temps fait pour les jupons,
Les plumes, les rubans, les ganses,
Les falbalas et les pompons ;
En ce beau temps des élégances,
Enfant blanche comme le lait,
Beauté mignarde, fleur exquise,
Vous aviez tout ce qu’il fallait
Pour être danseuse ou marquise.
Ces bras purs et ce petit corps,
Noyés dans un frou-frou d’étoffes,
Eussent damné par leurs accords
Les abbés et les philosophes.
Vous eussiez aimé ces bichons
Noirs et feu, de race irlandaise,
Que l’on porte dans les manchons
Et que l’on peigne et que l’on baise.
La neige au sein, la rose aux doigts,
Boucher vous eût peinte en Diane
Montrant sa cuisse au fond du bois
Et pliant comme une liane,
Et Clodion eût fait de vous
Une provocante faunesse
Laissant mûrir au soleil roux
Les fruits pourprés de sa jeunesse !
Car sur les lèvres vous avez
La malicieuse ambroisie
De tous ces paradis rêvés
Au siècle de la fantaisie,
Et, nonchalante Dalila,
Vous plaisez par la morbidesse
D’une nymphe de ce temps-là,
Moitié nonne et moitié déesse.
Vos cheveux aux bandeaux ondés
Récitent de leur onde noire
Des madrigaux dévergondés
A votre visage d’ivoire,
Et, ravis de ce front si beau,
Comme de vertes demoiselles,
Tous les enfants porte-flambeau
Vous suivent en battant des ailes.
Tous ces petits culs-nus d’Amours,
Groupés sur vos pas, Caroline,
Ont soin d’embellir vos atours
Et d’enfler votre crinoline,
Et l’essaim des Jeux et des Ris,
Doux vol qui folâtre et se joue,
Niche sous la poudre de riz
Dans les roses de votre joue.
Vos sourcils touffus, noirs, épais,
Ont des courbes délicieuses
Qui nous font songer à la paix
Sous les forêts silencieuses,
Et les écharpes de vos cils
Semblent avoir volé leurs franges
A la terre des alguazils,
Des manolas et des oranges.
II
Au fait, vous avez donc été,
Loin de nos boulevards moroses,
Pendant tout ce dernier été,
Sous les buissons de lauriers-roses ?
Le fier soleil du Portugal
Vous tendait sa lèvre obstinée
Et faisait son meilleur régal
Avec votre peau satinée.
Mais vous, tordant sur l’éventail
Vos petits doigts aux blancheurs mates
Vous découpiez Scribe en détail
Pour les rois et les diplomates ;
Et, digne d’un art sans rivaux,
Pour charmer les chancelleries,
Vous avez traduit Marivaux
En mignonnes espiègleries.
C’est au mieux! L’astre des cieux clairs
Qui fait grandir le sycomore
Vous a donné des jolis airs
De Bohémienne et de More.
Vous avez pris, toujours riant,
Dans cet éternel jeu de barres,
La volupté de l’Orient
Et le goût des bijoux barbares,
Et vous rapportez à Paris,
Ville de toutes les décences,
Les molles grâces des houris
Ivres de parfums et d’essences.
C’est bien encor! même à Turin
Menez Clairville, puisqu’on daigne
Nous demander un tambourin
La-bàs, chez le roi de Sardaigne.
Mais pourtant ne nous laissez pas
Nous consumer dans les attentes !
Arrêtez une fois vos pas
Chez nous, et plantez-y vos tentes.
Tout franc, pourquoi mettre aux abois
Cet Éden, où le lion dîne
Chaque jour de la biche au bois
Et soupe de la musardine ?
Valets de coeur et de carreau
Et boyards aux fourrures d’ourses,
Loin de vous, sachez-le, Caro,
Tout s’ennuie, au bal comme aux courses.
Vous nous disputez les rayons
Avec des haines enfantines,
Et jamais plus nous ne voyons
Que les talons de vos bottines.
Songez-y! Vous cherchez pourquoi
Ma muse, qui n’est pas méchante,
M’ordonne de me tenir coi
Et ne veut plus que je vous chante ?
C’est que vos regards inhumains
Ont partout des intelligences,
Et tout le long des grands chemins
Vont arrêter les diligences.