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#145931
VictoriaVictoria
Participant

    Les Torts du cygne


    Comme le Cygne allait nageant
    Sur le lac au miroir d’argent,
    Plein de fraîcheur et de silence,
    Les Corbeaux noirs, d’un ton guerrier,
    Se mirent à l’injurier
    En volant avec turbulence.

    Va te cacher, vilain oiseau !
    S’écriaient-ils. Ce damoiseau
    Est vêtu de lys et d’ivoire !
    Il a de la neige à son flanc !
    Il se montre couvert de blanc
    Comme un paillasse de la foire!

    Il va sur les eaux de saphir,
    Laid comme une perle d’Ophir,
    Blanc comme le marbre des tombes
    Et comme l’aubépine en fleur !
    Le fat arbore la couleur
    Des boulangers et des colombes !

    Pour briller sur ce promenoir,
    Que n’a-t-il adopté le noir !
    Un fait des plus élémentaires,
    C’est que le noir est distingué.
    C’est propre, c’est joli, c’est gai ;
    C’est l’uniforme des notaires.

    Cuisinier, garde ton couteau
    Pour ce Gille, cher à Wateau !
    Accours! et moi-même que n’ai-je
    Le bec aigu comme un ciseau
    Pour percer le vilain oiseau
    Barbouillé de lys et de neige !

    Tel fut leur langage. A son tour
    Dans les cieux parut un Vautour
    Qui s’en vint déchirer le Cygne
    Ivre de joie et de soleil ;
    Et sur l’onde son sang vermeil
    Coula comme une pourpre insigne.

    Alors, plus brillant que l’Oeta
    Ceint de neige, l’oiseau chanta,
    L’oiseau que sa blancheur décore ;
    Il chanta la splendeur du jour,
    Et tous les antres d’alentour
    S’emplirent de sa voix sonore.

    Et l’Alouette dans son vol,
    Et la Rose et le Rossignol
    Pleuraient le Cygne. Mais les Anes
    S’écrièrent avec lenteur :
    Que nous veut ce mauvais chanteur ?
    Nous avons des airs bien plus crânes.

    Il chantait toujours. Et les bois
    Frissonnants écoutaient la voix
    Pleine d’hymnes et de louanges.
    Alors, d’autres êtres ailés
    Traversèrent les cieux voilés
    D’azur. Ceux-là, c’étaient des Anges.

    Ces beaux voyageurs, sans pleurer,
    Regardaient le Cygne expirer
    Parmi sa pourpre funéraire,
    Et, vers l’oiseau du flot obscur
    Tournant leur prunelle d’azur,
    Ils lui disaient : Bonsoir, mon frère.

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