Répondre à : ARISTOTE – Anthologie (Extraits)

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Augustin BrunaultAugustin Brunault
Maître des clés

    De la génération et de la corruption, I, 6.
    Traduction : Jules Barthélemy Saint Hilaire (1805-1895).

    De l’action réciproque des éléments les uns sur les autres ; de leur mélange ; opinion de Diogène d’Apollonie. Pour comprendre que les éléments agissent ou souffrent les uns par les autres, il faut expliquer ce qu’on entend par leur contact : sens divers de ce mot. Différences du mouvement et de l’action ; le moteur immobile n’a pas besoin nécessairement de toucher l’objet qu’il meut ; l’objet mu peut ne rien toucher à son tour. Fin de la théorie du contact.

    § 1. Comme il faut, en étudiant la matière et conséquemment les éléments, dire tout d’abord s’ils sont ou ne sont pas, si chacun d’eux est éternel ou s’ils sont créés d’une façon quelconque, et, étant créés, s’ils peuvent tous se produire mutuellement de la même manière, ou si l’un d’eux est antérieur aux autres, il s’ensuit qu’il est nécessaire de bien déterminer préalablement les choses dont on n’a parlé jusqu’à cette heure que d’une façon très vague et très insuffisante.

    § 2. En effet, tous ceux qui admettent la création pour les éléments eux-mêmes, aussi bien que pour les composés qui en résultent, se bornent à tout expliquer par la réunion et la désunion, par la passivité et par l’action. Mais l’union n’est qu’un mélange ; et l’on ne nous a pas défini clairement ce que nous devons entendre par le mélange des corps. D’autre part, il n’est pas possible non plus qu’il y ait altération, ni désunion ou réunion, sans un sujet qui agisse et qui souffre ; car ceux qui admettent la pluralité des éléments, les font naître de l’action et de la souffrance réciproques des uns sur les autres.

    § 3. Cependant il faut bien toujours arriver à dire que toute action vient d’un seul et unique élément ; et voilà comment Diogène avait raison en soutenant que, si tous les éléments ne venaient pas d’un seul, ils ne pourraient avoir entr’eux ni action ni souffrance réciproques, et que, par exemple, le chaud ne pourrait pas se refroidir, ni le froid s’échauffer de nouveau. Ce n’est pas, disait-il, la chaleur et le froid qui se changent l’un dans l’autre ; mais évidemment c’est le sujet qui subit le changement. Par conséquent, concluait Diogène, dans les corps où il peut y avoir action et souffrance, il faut nécessairement qu’il y ait une seule nature sujette à ces deux phénomènes. Sans doute, soutenir que toutes les choses sont dans ce même cas, ce ne serait pas exact ; et ceci ne s’observe en effet que dans les choses subordonnées les unes aux autres.

    § 4. Mais si l’on veut s’expliquer nettement l’action, la souffrance et le mélange, il faut, nécessairement aussi, étudier ce que c’est que le contact des choses entr’elles. Les choses ne peuvent pas réellement agir et souffrir l’une par l’autre, quand elles ne peuvent pas se toucher mutuellement ; et si elles ne se sont pas touchées antérieurement, d’une façon quelconque, elles ne peuvent pas du tout être mêlées l’une à l’autre. Il faut donc d’abord définir ces trois phénomènes : le contact, le mélange, et l’action.

    § 5. Partons de ce principe : c’est que, pour toutes les choses où il y a mélange, il faut absolument qu’elles puissent se toucher entr’elles; et si l’une agit et que l’autre souffre, à proprement parler, il faut encore que ce contact soit possible. voilà notre motif pour parler d’abord du contact.

    § 6. Mais, de même que la plupart des autres mots sont pris en plusieurs sens, tantôt par homonymie, et tantôt par dérivation d’autres mots qui leur sont antérieurs, de même cette diversité d’acceptions se représente pour le mot de Contact. Toutefois le contact proprement dit ne peut s’appliquer qu’aux choses qui ont une position, et il n’y a de position que pour les choses qui ont aussi un lieu ; car il faut entendre le contact et le lieu comme le font les mathématiques, soit que chacun d’eux, le lieu et le contact, soient séparés des choses, soit qu’ils existent de toute autre façon. Si donc, ainsi qu’on l’a démontré antérieurement, se toucher c’est avoir ses extrémités réunies, on peut dire que ces choses-là se touchent, qui, ayant des grandeurs et des positions déterminées, ont leurs extrémités réunies ensemble.

    § 7. Mais la position appartenant aux choses qui ont aussi un lieu, et la première différence du lieu étant le haut et le bas, avec les autres oppositions de ce genre, il s’ensuit que toutes les choses qui se touchent doivent avoir pesanteur ou légèreté, ou ces deux propriétés à la fois, ou au moins l’une des deux. Or, ce sont les choses de cette espèce qui sont susceptibles d’agir et de souffrir. On doit donc évidemment en conclure que ces choses-là se touchent naturellement, qui, étant des grandeurs séparées et distinctes, auront leurs extrémités bout à bout, et pourront l’une mouvoir, et l’autre être mue, réciproquement l’une par l’autre. Mais comme le moteur ne meut pas de la même manière que meut à son tour l’objet mu, et que ce dernier ne peut mouvoir qu’autant que lui-même est mis en mouvement, tandis que l’autre peut mouvoir tout en restant lui-même immobile, il est évident que nous pourrons appliquer les mêmes distinctions au corps qui agit ; car, dans le langage commun, on dit tout aussi bien que ce qui meut agit, et que ce qui agit meut.

    § 8. Cependant il y a ici quelque différence ; et il faut bien distinguer : c’est que tout ce qui meut ne peut pas toujours agir, comme nous le verrons en opposant ce qui agit à ce qui souffre. Un corps ne souffre que dans les cas où le mouvement est une affection ou passion ; et il n’y a passion que dans le cas où le corps est simplement altéré; par exemple, dans le cas où il devient chaud, ou devient blanc. Mais l’idée de mouvoir a plus d’extension que celle d’agir. Donc il est évident que parfois les moteurs doivent toucher les choses qu’ils meuvent, et que parfois ils ne les touchent pas.

    § 9. La définition du contact, prise dans son sens le plus général, s’applique aux corps qui ont une position, l’un des corps en contact pouvant mouvoir, et l’autre pouvant être mu, et le moteur et le mobile n’ayant d’autre rapport entr’eux que celui d’action et de souffrance.

    § 10. Dans les cas les plus ordinaires, la chose qui est touchée touche la chose qui la touche ; car presque tous les objets que. nous pouvons observer sont mis en mouvement avant de mouvoir aussi à leur tour ; et dans tous ces cas, il semble qu’il y a nécessité que l’objet qui est touché touche l’objet qui le touche. Mais nous disons qu’il se peut parfois aussi que le moteur seul touche l’objet auquel il donne le mouvement, et que l’objet qui est touché ne touche pas l’autre qui le touche. Comme les corps homogènes ne meuvent que quand ils sont mus eux-mêmes, il faut, ce semble, qu’un corps qui est touché, touche aussi. Par conséquent, s’il y a quelque moteur qui, tout en étant lui-même immobile, communique le mouvement, il faudra qu’il touche l’objet qu’il meut, sans que rien le touche lui-même. C’est ainsi, en effet, que nous disons quelquefois que la personne qui nous fait de la peine, nous touche sans que nous la touchions nous-mêmes.

    § 11. Voilà ce que nous avions à dire sur le contact, considéré dans les objets naturels.

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