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Éthique à Nicomaque, VI, 2 : Désir et intellect.
Traduction : Sœur Pascale Nau.
Nous avons divisé les vertus de l’âme, et distingué, a d’une part les vertus du caractère, [1139a] et d’autre part celles de l’intellect Nous avons traité en détail des vertus morales ; pour les autres restantes, après quelques remarques préalables au sujet de l’âme, voici ce que nous avons à dire.
Antérieurement nous avons indiqué qu’il y avait deux parties de l’âme, à savoir la partie rationnelle et la partie irrationnelle Il nous faut maintenant établir, pour la partie rationnelle elle-même, une division de même nature. Prenons pour base de discussion que les parties rationnelles sont au nombre de deux, l’une par laquelle nous contemplons ces sortes d’êtres dont les principes ne peuvent être autrement qu’ils ne sont et l’autre par laquelle nous connaissons les choses contingentes : quand, en effet, les objets diffèrent par le genre les parties de l’âme adaptées naturellement à la connaissance des uns et des autres doivent aussi différer par le genre, s’il est vrai que c’est sur une certaine ressemblance et affinité entre le sujet et l’objet que la connaissance repose. Appelons l’une de ces parties la partie scientifique, et l’autre la calculative − délibérer et calculer étant une seule et même chose, et on ne délibère sur les choses qui ne peuvent être autrement qu’elles ne sont. Par conséquent, la partie calculative est seulement une partie de la partie rationnelle de l’âme. Il faut par suite bien saisir quelle est pour chacune de ces deux parties sa meilleure disposition : on aura là la vertu de chacune d’elles, et la vertu d’une chose est relative à son œuvre propre.
Or, il y a dans l’âme trois facteurs prédominants qui déterminent l’action et la vérité : sensation, intellect et désir. De ces facteurs, la sensation n’est principe d’aucune action comme on peut le voir par w l’exemple des bêtes, qui possèdent bien la sensation mais n’ont pas l’action en partage. Et ce que l’affirmation et la négation sont dans la pensée, la recherche et l’aversion le sont dans l’ordre du désir ; par conséquent, puisque la vertu morale est une disposition capable de choix, et que le choix est un désir délibératif, il faut par là même qu’à la fois la règle soit vraie et le désir droit, si le choix est bon, et qu’il y ait identité entre ce que la règle affirme et ce que w le désir poursuit. Cette pensée et cette vérité dont nous parlons ici sont de l’ordre pratique ; quant à la pensée contemplative, qui n’est ni pratique, ni poétique, son bon et son mauvais état consiste dans le vrai et le faux auxquels son activité aboutit, puisque c’est là l’œuvre de toute partie intellective, tandis que pour la partie de l’intellect pratique, son bon état consiste dans la vérité correspondant a désir, au désir correct.
Le principe de l’action morale est ainsi le libre choix (principe étant ici le point d’origine du mouvement et non la fin où il tend) et celui du choix est le désir et la règle dirigée vers quelque fin. C’est pourquoi le choix ne peut exister ni sans intellect et pensée, ni sans une disposition morale, la bonne conduite et son contraire dans le domaine de l’action n’existant pas sans pensée et sans caractère. La pensée par elle-même cependant n’imprime aucun mouvement, mais seulement la pensée dirigée vers une fin et d’ordre pratique. Cette dernière sorte de pensée commande également l’intellect poétique, [1139b] puisque dans la production l’artiste agit toujours en vue d’une fin ; la production n’est pas une fin au sens absolu, mais est quelque chose de relatif et production d’une chose déterminée. Au contraire, dans l’action, ce qu’on fait : est une fin au sens absolu, car la vie vertueuse est une fin, et le désir a cette fin pour objet.
Aussi peut-on dire indifféremment que le choix préférentiel est un intellect désirant ou un désir raisonnant, et le principe qui est de cette sorte est un homme.
Le passé ne peut jamais être objet de choix personne ne choisit d’avoir saccagé Troie ; la délibération, en effet, porte, non sur le passé, mais sur le futur et le contingent, alors que le passé ne peut pas ne pas avoir étés. Aussi, Agathon a raison de dire :
Car il y a une seule chose dont Dieu même est privé,
C’est de faire que ce qui a été fait ne l’ail pas été.
Ainsi les deux parties intellectuelles de l’âme ont pour tâche la vérité. C’est pourquoi les dispositions qui permettent à chacune d’elles d’atteindre le mieux la vérité constituent les vertus respectives de l’une et de l’autre.