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GRIMM, Jacob et Wilhelm
Les trois nains dans la forêt
Il était une fois un homme qui avait perdu sa femme et une femme qui avait perdu son mari. La femme avait une fille et l'homme en avait une aussi. Les jeunes filles se connaissaient, se promenaient ensemble et allaient chez la femme. Un jour, celle-ci dit a la fine du veuf:
« Écoute, fais savoir à ton père que je voudrais l'épouser, et qu'alors tu te laveras tous les matins avec du tait, et tu boiras du vin; tandis que ma fille se lavera avec de l'eau et boira de l'eau, »
La jeune fille s'en retourna chez elle et raconta à son père ce que la femme lui avait dit :
« Que dois-je faire? s'écria l'homme, le mariage est une joie et un tourment ! »
Ne sachant quelle résolution prendre, il ôta sa botte et dit :
« Voici ma botte, elle a un trou dans la semelle; va au grenier, pends-la au gros clou, et remplis-la d'eau. Si elle retient l'eau, je prendrai une femme; si l'eau coule, je n'en veux pas. »
La fille fit ce que son père lui avait ordonné; mais l'eau resserra le trou, et la botte resta remplie jusqu'au bord. En apprenant ce résultat, le père monta lui-même pour voir si c'était bien vrai; puis il alla chez la veuve, l'épousa, et les noces furent célébrées. Le lendemain, lorsque les filles s'éveillèrent, il y avait devant celle du mari du lait pour se laver et du vin pour boire; et devant celle de la femme, de l'eau pour se laver et pour boire. Le second matin, il y eut de l'eau aussi bien devant la fille du mari que devant celle de la femme. Le troisième matin, il y eut devant la fille de la femme du lait pour se laver et du vin pour boire, et de l'eau devant cette du mari; et il en fut toujours ainsi désormais. La femme prit sa belle-fille en haine, et elle ne savait qu'inventer pour lui rendre la vie dure. Elle était jalouse de ce que sa belle-fille était belle et gracieuse, et sa fille laide et déplaisante.
Une fois, en hiver, la terre était durcie par le froid, les vallées et les montagnes couvertes de neige. La femme fit une robe de papier, appela la jeune fille et lui dit :
« Mets cette robe et va dans la forêt me chercher un panier de fraises, j'en ai envie.
– Grand Dieu! répondit la jeune fille, il n'y a pas de fraises en hiver, la terre est durcie et la neige a tout couvert. Comment puis-je aller avec cette robe de papier? Il fait si froid que le vent va souffler au travers, et que les épines vont me l'arracher du corps!
– Ne vas-tu pas m'obéir? dit la belle-mère; va-t'en au plus vite et ne reviens pas avant d'avoir ta corbeille remplie de fraises. »
Puis elle lui donna un morceau de pain sec et ajouta :
« Tu pourras en manger dans la journée. »
Mais elle pensait :
« Dehors elle va mourir de froid et de faim, et je ne la reverrai jamais. »
La jeune fille obéit. Elle mit la robe de papier et s'en alla avec son petit panier.
Partout de la neige; pas un brin d'herbe. Lorsqu'elle arriva dans la foret, elle vit une maisonnette et trois petits nains qui regardaient de son côte. Elle leur dit bonjour et frappa à la porte. On la fit entrer dans la, chambre, elle s'assit sur un banc près du poêle pour se chauffer et manger son déjeuner. Les nains lui dirent :
« Donne-nous en aussi un peu.
– Volontiers, répondit-elle. »
Elle partagea son pain et leur en donna la moitié. Ils lui demandèrent :
« Que veux-tu faire en plein hiver, ici, dans la forêt, avec ta robe de papier?
– Ah! dit-elle, je dois cueillir un panier de fraises, et ne pas rentrer à la maison avant de les avoir trouvées. »
Lorsqu'elle eut! mange son pain, ils lui donnèrent un balai et dirent :
« Enlève la neige derrière la porte d'entrée. »
Et lorsqu'elle fut sortie, les petits nains se demandèrent entre eux:
« Qu'allons-nous lui donner pour avoir été si gentille et si bonne et pour avoir partagé son pain avec nous? »
Alors le premier dit :
« Je lui donne pour don de devenir plus belle de jour en jour. »
Le second dit :
« Je lui donne pour don de laisser tomber une pièce d'or de sa bouche, à chaque mot qu'elle prononcera. »
Le troisième dit :
« Je lui donne pour don d'être demandée en mariage par un roi. »
La jeune fille balya la neige derrière la porte de la maisonnette, et trouva de belles fraises rouges et mûres. Pleine de joie, elle remplit son panier, remercia les petits hommes, prit congé d'eux, et courut il la maison porter les fraises à sa belle-mère. Lorsqu'elle entra et dit : « Bonsoir » une pièce d'or lui tomba de la bouche; puis elle raconta ce qui était arrivé dans la foret, mais à chaque mot qu'elle prononçait, des pièces d'or tombaient de sa bouche, et bientôt le plancher de la chambre en fut couvert.
« Voyez-moi cette insouciance, dit la belle-soeur, de jeter ainsi l'argent par terre. »
Mais elle l'enviait en secret et demandait incessamment à sa mère de l'envoyer dans la forêt. La belle-mère refusait et disait :
« Non, ma chère fillette, il fait trop froid; tu pourrais t'enrhumer. »
Cependant, comme elle la tourmentait toujours, elle finit par lui céder; mais elle lui lit faire, pour se vêtir, une robe fourrée, et lui donna des tartines et du gâteau.
La fille alla dans la forêt et marcha sans hésiter à la maisonnette. Les nains la regardèrent venir comme sa soeur; elle ne les salua pas, entra tout droit dans la chambre, se plaça près du poêle, et se mit à manger ses tartines et son gâteau.
« Donne-nous-en un peu, demandèrent les nains. »
Mais elle répondit :
« J'en ai peine assez pour moi, comment puis-je encore en donner à d'autres ? »
Quand elle eut fini de manger, ils dirent :
« Prends le balai et balaie derrière la porte de la maison. »
– Oh! balayez donc vous-mêmes, dit-elle je ne suis point votre servante. »
Voyant qu'ils n'allaient pas lui faire de cadeau, elle sortit. Alors, les petits hommes délibérèrent entre eux.
« Qu'allons-nous lui donner pour avoir été si méchante et avoir montré un si mauvais cœur? »
Le premier dit :
« Je lui donne pour don de devenir plus laide de jour en jour.»
Le second dit:
« Je lui donne pour don décaisser tomber un crapaud de sa bouche, à chaque mot qu'elle prononcera. »
Le troisième dit :
« Je lui donne pour don de mourir d'une mort affreuse. »
Là jeune fille chercha des fraises, mais, comme elle n'en trouvait pas, elle retourna désappointée à la maison. Lorsqu'elle ouvrit la bouche pour raconter sa mère ce qui lui était arrive dans la foret, il en sortit un crapaud à chaque parole, de sorte qu'elle inspirait du dégoût à tout le monde.
Dès ce moment, la belle-mère s'irrita encore davantage et ne songea plus qu'à faire du mal la fille de son mari, dont la beauté augmentait de jour en jour. Enfin elle prit un chaudron, le mit sur le feu et y fit bouillir du lin. Quand ce lin fut cuit, elle le donna à rouir et à macquer à la pauvre fille, avec une hache pour fendre la glace sur la rivière.
La pauvre enfant obéit et partit. Elle fit un trou dans la glace, et, pendant qu'elle travaillait. elle vit venir un carrosse magnifique où se trouvait le roi. Il s'arrêta.
« Mon enfant, qui es-tu et que fais-tu la ?
-Je suis une pauvre fille et je rouis du lin. »
Le roi fut ému de pitié, et, voyant qu'elle était si belle :
« Veux-tu venir avec moi ? dit-il.
–Oh! oui, bien volontiers, répondit-elle ; car elle était contente de s'en aller loin de sa mère et de sa sœur.
Elle monta donc vite en carrosse et suivit le roi. Lorsqu'elle fut arrivée au château, on célébra les noces en grande pompe, selon la promesse des nains. Un an après, la jeune reine devint mère d'un petit garçon. Sa belle-mère, ayant ouï parler de son bonheur inespéré, vint avec sa fille et feignit de lui faire une visite. Mais une fois que le roi fut sorti et qu'elles se trouvèrent sans témoin, la méchante femme et sa fille saisirent la reine, l'une parla tête, l'autre par les pieds, et la jetèrent dans la rivière. Puis la mère mit sa fille dans le lit et lui couvrit le visage. Le roi, de retour, voulut parler à sa femme; mais la vieille s'écria:
«Taisez-vous; ce n'est pas le moment: elle est en moiteur, il faut la laisser reposer. »
Le roi ne soupçonna rien de louche et ne revint que le lendemain matin. Lorsqu'il interpella sa femme et qu'elle fut forcée de répondre, il vit qu'à chaque mot un crapaud lui sortait de la bouche, comme il en sortait autrefois une pièce d'or. Il demanda ce que cela signifiait; la vieille lui dit que c'était un effet de l'état de souffrance de la reine, mais que cela allait cesser.
Or, pendant la nuit, le garçon de cuisine vit venir un canard qui lui tint ce langage
« Roi, que fais-tu ?
Dors-tu ou veilles-tu? »
Et ne recevant pas de réponse, le canard continua :
« Que font mes hôtes? »
Le garçon de cuisine répondit :
« Ils dorment bien. »
Le canard demanda encore :
« Que fait mon petit enfant?” ».
L'autre répondit:
« Il dort dans son petit berceau. »
Alors le canard prit la forme de la reine, monta vers l'enfant, lui donna à boire, arrangea son petit lit, le couvrit bien, puis s'en retourna sous l'aspect d'un canard. La reine vint encore deux nuits, et la troisième nuit, elle dit au garçon de cuisiné: ·.
«Va, et dis au roi qu'il prenne son épée et qu'il la fasse tourner trois fois au-dessus de moi, sur le seuil. »
Le garçon courut avertir le roi qui prit son épée et la fit tourner trois fois au-dessus du fantôme. A la troisième fois, sa femme se trouva devant lui, fraîche, vivante et belle comme auparavant.
Le roi, rempli de joie, cacha la reine dans une chambre jusqu'au jour où l'on baptisa l'enfant. Après le baptême :
« Que faut-il faire, demanda-t-il, à une personne qui en arrache une autre de son lit pour la jeter à l'eau ?
– La méchante, répondit la vieille, ne mérite pas d'autre supplice que d'être enfermée dans un tonneau garni de clous à l'intérieur, qu'on laisse rouler du sommet d'une montagne jusqu'à la rivière. »
Le roi envoya chercher un tonneau ainsi disposé, y fit mettre la vieille et sa te couvercle étant replace, on laissa router le tonneau du sommet de la montagne jusqu'à la rivière.