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VictoriaVictoria
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    DIVERS – Sur le procès des Fleurs du mal



    ASSELINEAU, Charles – Charles Baudelaire, sa vie et son œuvre (Extrait)

    (Texte complet)





    « […] Les Fleurs du Mal ont été publiées au commencement de l’été de 1857. Je retrouve parmi des notes de cette année des épreuves corrigées avec la ponctualité et la véhémence que Baudelaire apportait à cette opération. Malassis a conservé tout un dossier de ces épreuves, avec la correspondance à laquelle elles ont donné lieu, et qui serait curieuse à consulter aujourd’hui. On y verrait quelle importance Baudelaire attachait à l’exécution de ses œuvres ; importance proportionnelle aux soins qu’elles lui avaient coûté. Les Fleurs du Mal furent reçues dans le public lettré et artiste comme un livre attendu et dont les fragments déjà parus dans les journaux avaient excité une vive curiosité.

    En parlant de ce livre, j’éviterais vainement un souvenir qui s’y attache indissolublement, celui du procès et de la condamnation qu’il a encourus. Ce procès causa à Baudelaire un étonnement naïf. Il ne pouvait comprendre, ainsi qu’il l’a écrit plus tard, qu’un ouvrage d’une si haute spiritualité pût être l’objet d’une poursuite judiciaire. Il se sentit blessé dans sa dignité de poète, d’écrivain respectueux de son art et de lui-même par cette accusation, dont les termes le confondaient avec qui, grands dieux ! avec les misérables agents du vice et de la débauche, avec des orduriers, des cyniques, avec des propagateurs d’infamies. car la loi n’a qu’un même mot pour caractériser les licences de l’art, les vertueuses indignations du poëte, et les méfaits de la crapule éhontée et débordée. Tout cela s’appelle indistinctement : attentats aux mœurs ! Oui, si Juvénal et Dante lui-même revenaient au monde, et Michel-Ange, et Titien, ils iraient s’asseoir sur les mêmes bancs où comparaissent les profanateurs de la jeunesse et les colporteurs d’estampes licencieuses.

    En sortant de cette audience, je demandai à Baudelaire étourdi de sa condamnation. ― Vous vous attendiez à être acquitté ?

    ― Acquitté ! me dit-il, j’attendais qu’on me ferait réparation d’honneur.

    Pour lui, ce procès ne fut jamais qu’un malentendu. Et nous-même, sans manquer au respect dû à la magistrature et à ses arrêts, ne pourrions-nous exprimer notre étonnement de cette assimilation d’un excès de littérature à une violence bestiale, d’une fantaisie artistique à un trafic clandestin ? Dans un tel procès, ne semble-t-il pas que le premier devoir du tribunal dût être de se récuser et d’en référer à un mieux instruit ?

    Quoi ! dans un débat commercial, à propos d’une contestation de prix, ou de salaire, l’expertise serait de droit ; et on ne l’invoquerait pas pour un délit relevant d’un art dont les juges ignorent les éléments ? Une statue est apportée devant le tribunal : elle est nue ; et dans nos climats la nudité est considérée comme indécente et coupable. Aussi les juges condamnent ou vont-ils condamner. Vient un artiste qui leur démontre que la statue est un chef-d’œuvre ; qu’elle fait honneur au temps et au pays, et que sa place est dans un musée public, pour servir de modèle et d’enseignement à la jeunesse ; et la statue, tout à l’heure réprouvée, est portée au Louvre, et son auteur récompensé et honoré. Que pourrait penser un tribunal de la Vénus couchée ou de la Danaë du Titien ? Que dirait-il de la Léda de Michel-Ange, de l’Antiope de Corrége, des Néréides de
    Rubens, de l’Andromède de Puget ? La loi à la main, il les déclarerait<déshonnêtes et punissables.

    De même, dans un poème, le magistrat est frappé d’un mot cru qui le blesse ; il est saisi dune expression forte qui fait image à son esprit ; et il condamne. Que voulez-vous qu’il fasse ? Il entend un infortuné s’écrier : 

    ― Dieu n’existe pas ! Et il conclut que l’auteur est un impie. Où est le poète-expert qui lui dira que ce cri n’est là que pour exprimer le délire d’un malheureux au désespoir ; que telle image est admirable, que tel mot choquant est bien en sa place ? qui lui expliquera ce que c’est que le relief et la couleur dans la phrase
    poétique-, ce que c’est que les privilèges et les droits de l’art ; comment il importe à la dignité et à la logique des langues que de certaines propriétés, bannies par décence du langage usuel, soient maintenues et conservées dans le discours écrit, etc., etc.. ?

    Pour Baudelaire, l’expertise était toute faite. Les meilleures plumes, les esprits les plus graves avaient déjà plaidé pour lui. ― « Nous le laissons sous la caution du Dante ! » avait dit Édouard Thierry en finissant son admirable feuilleton du Moniteur universel. D’autres articles, dont le procès commencé suspendit la
    publication, celui, entre autres, de Barbey d’Aurevilly dans Le Pays, avaient révélé, en le développant, le vrai sens du livre et caractérisé le génie du poète. Ajoutons, pour l’exemple, que M. Paulin Limayrac, alors chargé de la critique littéraire au Constitutionnel, avait écrit, comme ab irato, un manifeste, où, tout en rendant
    justice au talent, il protestait contre les tendances du livre. Mais en apprenant que Les Fleurs du Mal étaient poursuivies, M. Limayrac s’était souvenu qu’il avait été auteur et poète, et, très noblement, avait retiré son article.

    Baudelaire ne fut pas défendu. Son avocat, homme de talent d’ailleurs, très intelligent et très dévoué, s’épuisa dans la discussion des mots incriminés, de leur valeur, de leur portée. C’était s’égarer. Sur ce terrain, qui était celui de l’accusation, on devait être battu. Pour vaincre, il fallait, ce me semble, transporter la défense dans des régions plus élevées. C’était le cas peut-être, si l’on me passe cette comparaison ambitieuse, de se souvenir du plaidoyer d’Hypérides, et d’enlever la bienveillance des juges en leur montrant au grand jour la beauté de l’œuvre accusée.

    « Qui donc ; aurais-je dit d’abord, est cet homme que voici devant vous ? Est-ce un de ces écrivains sans conscience et sans vergogne, vivant au jour le jour et servant le public au gré de sa fantaisie et de son indiscrétion ? Est-ce un étourdi se jetant dans le scandale par amour de la publicité ? un impatient de l’obscurité cherchant le succès aux dépens de l’honneur et de la dignité ? Non ; c’est un homme mûri par l’étude et la méditation. Son nom ne se lit qu’en bon endroit ; ses ambitions sont nobles ; ses amitiés sont illustres. Ce n’est ni un pamphlétaire, ni un journaliste, ni un feuilletonnier ; c’est un littérateur, et un littérateur dans la plus noble acception du mot, un poète. »

    Mais, avant tout, c’est un homme du meilleur monde. Le deuil qu’il porte, c’est celui de son beau-père, un officier général qui fut deux fois ambassadeur. Son père, professeur émérite, esprit lettré et artiste, était l’ami de tout ce qu’il y avait de distingué en son temps dans les lettres et dans les arts, et avait rempli des fonctions élevées de l’ordre administratif. Ses antécédents ? C’est d’abord deux livres d’art, deux traités d’esthétique, dont l’un, le second, passe, au sentiment des meilleurs juges, pour un véritable catéchisme de peinture moderne. C’est ensuite une traduction laborieuse et méritoire des œuvres du plus étrange et du plus étonnant génie du Nouveau-Monde, travail admirable, unique peut-être, qui a conquis l’approbation des deux nations, et où l’interprète a peut-être dépassé l’original. Sur le mérite de cet ouvrage, je pourrais citer témoignages sur témoignages ; j’en ai les mains pleines ; je n’en citerai qu’un seul, celui d’un journal anglais, qui dernièrement disait qu’Edgar Poe était heureux d’avoir trouvé à son service à la fois la science d’un linguiste et l’enthousiasme d’un poète. Voilà par quels travaux mon client a préparé l’avènement de ce livre qu’on voudrait vous faire trouver coupable. Voilà les garants que nous avons de la noblesse de son esprit et de son amour pour les belles études. »

    Puis, passant au livre lui-même, j’aurais dit ― « A quoi bon éplucher un recueil de poèmes comme un pamphlet ou une brochure politique ? Sommes-nous compétents, d’ailleurs ? Avons-nous qualité pour décider de la valeur d’une œuvre dont les mérites nous échappent ? Qui sait si un poète émérite ne nous montrerait pas des beautés là où nous trouvons des délits ? Ce que je sais, c’est que ce livre m’a ému, qu’il m’a transporté hors de moi-même dans des régions sereines et lumineuses où mon esprit n’était jamais monté ; c’est que ces peintures, nettes et franches, cruelles même parfois, m’ont fait rougir des vices de mon temps, sans me faire jamais détester les coupables, car une pitié profonde circule à travers ces pages indignées d’un satiriste humain et charitable. »

    Et là-dessus j’aurais ouvert le livre ; et avec l’émotion du souvenir et de l’admiration reconnaissante, j’aurais récité, par exemple, les belles stances qui finissent la pièce intitulée : Bénédiction, et qui font un hymne si éloquent à la souffrance et à la résignation du poète :

    Vers le ciel où son œil voit un trône splendide,
    Le poëte serein lève ses bras pieux,
    Et les vastes éclairs de son esprit lucide
    Lui dérobent l’aspect des peuples furieux.

    Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance
    Comme un divin remède à nos impuretés,
    Et comme la meilleure et la plus pure essence
    Qui prépare les forts aux saintes voluptés !

    Je sais que vous gardez une place au poëte
    Dans les rangs bienheureux des saintes Légions,
    Et que vous l’invitez à l’éternelle fête
    Des Trônes, des Vertus, des Dominations.

    Je sais que la douleur est la noblesse unique
    Où ne mordront jamais la terre et les enfers ;
    Et qu’il faut, pour tresser ma couronne mystique,
    Imposer tous les temps et tous les univers.

    Mais les bijoux perdus de l’antique Palmyre,
    Les métaux inconnus, les perles de la mer,
    Montés par votre main, ne pourraient pas suffire
    A ce beau diadème éblouissant et clair.

    Car il ne sera fait que de pure lumière,
    Puisée au foyer saint des rayons primitifs,
    Et dont les yeux mortels, dans leur splendeur entière,
    Ne sont que des miroirs obscurcis et plaintifs.

    J’aurais lu encore cet admirable sonnet, L’Ennemi, qui est comme le testament même du poète ; j’aurais lu ce final fulgurant et tumultueux, ― un final à la Beethowen ― des Femmes damnées (descendez, descendez, lamentables victimes).

    J’aurais lu ces pièces où palpite la sympathie pour les infortunés et les humbles, l’Ame du Vin, la Mort des pauvres. Puis, posant le livre, j’aurais dit : « ― Est-ce assez beau ? Est― ce assez beau, M. le procureur impérial ? Et vous qui réclamez contre nous un « avertissement, » que ne pouvez-vous avertir tous les poètes
    de l’empire d’avoir à nous donner souvent de pareils vers ! »

    « Et prenez garde, aurais-je ajouté. Ce règne sans doute est un grand règne. Il a l’éclat, il a la force ; il a l’ambition de toutes les gloires. Il en est une cependant qui jusqu’ici lui résiste, celle qui perpétue les autres et dore d’un rayon durable le règne d’un Louis XIV et le règne d’un François Ier. Celle-là, c’est le poète qui la
    donne. Ne découragez donc pas les poëtes. Vous en tenez un ; gardez-vous de l’humilier. »

    C’est ainsi que j’aurais parlé, fort de ma conscience et assuré du consentement de tous. Et si, par ces franches paroles, je n’avais pas emporté l’acquittement de mon client, j’aurais eu du moins la satisfaction de le défendre sur son terrain et sans le faire descendre de son rang.

    J’ai dit que Baudelaire n’avait pas été défendu : il l’a été cependant. Sa meilleure défense fut la contenance embarrassée du ministère public. En apprenant le nom du magistrat distingué qui devait soutenir l’accusation, les amis de Baudelaire avaient pris confiance. Le souvenir récent d’un procès fameux, où le jeune substitut s’était élevé très-haut, leur faisait espérer qu’ayant affaire à un poète, il se départirait des minuties de l’enquête et de la roideur du réquisitoire. On s’attendait à le voir planer et se maintenir à la hauteur d’un procès poétique. En l’entendant, il nous fallut rabattre un peu de cet espoir. Au lieu de généraliser la cause et de s’en tenir à des considérations de haute morale, M. P*** s’acharna sur des mots, sur des images ; il proposa des équivoques, des sens mystérieux auxquels l’auteur n’avait pas songé, atténuant ses sévérités par des protestations d’indulgence naïve : ― « Mon Dieu ! je ne demande pas la tête de M. Baudelaire ! je demande un avertissement seulement…. »

    Un avertissement ? Et n’était-ce pas le plus dur qu’on pût trouver que cette comparution sur ces bancs infâmes où s’étaient assis avant lui des malfaiteurs, des filous, des filles publiques, des marchands de photographies obscènes ? Quoi ! Il était là ce poëte, cet honnête homme, essuyant avec son habit cette poussière immonde ! et ce n’était pas assez pour vous ?

    On se rappelle quelle fut l’issue du procès. On écarta le grief d’outrage à la morale religieuse, et six pièces furent retranchées de ce volume qui en contenait cent. Un illustre académicien, fort attentif au débat, faisait remarquer au condamné les termes du considérant : ― Attendu que si le poète…. « ― Notez bien ce mot, disait-il. Point d’accusé ; le poète !…. le poète ! Tout est là ! »

    Il triomphait de cette nuance. Baudelaire, lui, ne triomphait pas du tout. Pourtant, il ne fit point appel. Peut-être, après cette première épreuve, n’espérait-il pas un succès plus heureux devant une autre juridiction ; et peut-être sentait-il que la justice se dégagerait d’autant moins envers lui qu’elle manquait des lumières
    nécessaires pour le bien juger.

    J’ai déjà dit quelles étaient ses impressions en sortant de l’audience. Ce procès lui resta sur le cœur comme un affront.

    Lorsque, plus tard, après le succès de la seconde édition du livre, l’éditeur en voulut donner une troisième, plus ornée et faite à plus grands frais que les précédentes, Baudelaire eut la tentation de s’expliquer devant le public. On a retrouvé dans ses cartons trois projets de préface, ébauchés dans des tons différents.

    Tous trois accusent la lassitude, le dégoût de critiques injustes, un abandon de soi-même et de tout, qui fait peine, si l’on longe que sans doute le mal envahissant y avait part ; car ces courtes ébauches, incomplètes et inconséquentes nous sont revenues de Bruxelles. « S’il y a, » est-il dit, « quelque gloire à n’être pas compris, ou à ne l’être que très-peu, l’auteur de ce petit livre peut se vanter de l’avoir acquise et méritée d’un seul coup. Offert plusieurs fois à divers éditeurs qui le repoussèrent avec horreur, poursuivi et mutilé en 1857 par
    suite d’un malentendu fort bizarre, lentement rajeuni (?), accru et fortifié pendant quelques années de silence, disparu de nouveau grâce à mon insouciance, ce produit de la Muse des derniers jours, encore avivé par quelques nouvelles touches violentes, ose affronter encore aujourd’hui, pour la troisième fois, le soleil de la sottise…. « Ce livre restera sur toute votre vie comme une tache, » me prédisait dès le commencement un de mes amis. En effet, toutes mes mésaventures lui ont jusqu’à présent donné raison. Mais j’ai un de ces
    heureux caractères qui tirent une jouissance de la haine et qui se glorifient dans le mépris. Mon goût diaboliquement passionné de la bêtise me fait trouver des plaisirs particuliers dans les travestissements de la calomnie. Chaste comme le papier, sobre comme l’eau, porté à la dévotion comme une communiante, inoffensif comme une victime, il ne me déplairait pas de passer pour un débauché, un ivrogne, un impie et un assassin. » Ces derniers mots donnent la clef des inconséquences dont s’indignaient les simples, et qui n’étaient que forfanteries et mystifications.

    Ce qui lui tenait le plus au cœur, c’était le « malentendu » qui lui avait fait attribuer par bon nombre de gens les vices et les crimes qu’il avait dépeints ou analysés. Autant vaudrait accuser de régicide un peintre qui aurait représenté la mort de Céfar. N’ai-je pas entendu moi-même un brave homme porter sérieusement au décompte des mérites de Baudelaire le fait d’avoir maltraité un pauvre vitrier qui n’avait pas de verres de couleur à lui vendre ? Le naïf lecteur de journaux avait pris au positif la fable du Vitrier dans les Poèmes en prose ! Combien d’autres ont tout aussi logiquement accusé l’auteur des Fleurs du mal de férocité, de blasphème, de dépravation et d’hypocrisie religieuse ! Ces accusations, qui l’amusaient lorsqu’elles lui étaient jetées directement dans la discussion par un adversaire irrité et dupe de ses artifices de rhétorique, avaient
    fini par le lasser lorsqu’il s’était vu composer une légende d’abomination. Il avait été choqué, lors du procès, de trouver si peu d’intelligence ou de bonne foi chez de certains juges de la presse, les uns myopes, les autres tartufes de vertu. Aussi, dans les trois ébauches dont nous parlons ; le projet de se disculper est-il aussitôt retiré qu’annoncé.« Peut-être, dit-il, le ferai-je un jour pour quelques-uns et à une dizaine d’exemplaires » Et encore ce projet ainsi amendé et restreint dans son exécution lui parait-il bientôt superflu. « A quoi bon ?…. Puisque ceux dont l’opinion m’importe m’ont déjà compris, et que les autres ne comprendront jamais ? »

    Ce qu’on peut regretter le plus de ce projet abandonné, c’est l’exposition que Baudelaire avait voulu faire de sa méthode et de sa doctrine poétiques. Cette partie, dont le développement eût été si intéressant, gît à l’état de sommaire ou d’enoncé, en quelques lignes, sur un simple feuillet de papier :

    Comment la poésie touche à la musique par une prosodie dont les racines plongent plus avant dans l’âme humaine que ne l’indique aucune théorie classique ;

    Que la poésie française possède, comme les langues latine et anglaise, une prosodie mystérieuse ― et méconnue ;

    Pourquoi tout poëte qui ne sait pas au juste combien chaque mot comporte de rimes, est incapable d’exprimer une idée quelconque ;

    Que la phrase poétique peut imiter (et par là elle touche à l’art musical et à la science mathématique) la ligne horizontale, la ligne droite ascendante, la ligne droite descendante ; qu’elle peut monter à pic vers le ciel sans s’essouffler, ou descendre perpendiculairement vers l’enfer avec la vélocité de toute pesanteur ; qu’elle peut suivre la spirale, décrire la parabole, ou le zig-zag, en figurant une série d’angles superposés ;

    Que la poésie se rattache aux arts de la peinture, de la cuisine et du cosmétique par la possibilité d’exprimer toute sensation de suavité ou d’amertume, de béatitude ou d’horreur, par l’accouplement de tel substantif avec tel adjectif analogue ou contraire.

    Ici revient, comme application de ses principes, la prétention d’enseigner à tous venants, et en vingt leçons, l’art d’écrire convenablement une tragédie ou un poëme épique.

    « Je me propose, ajoute Baudelaire, pour vérifier de nouveau l’excellence de ma méthode, de l’appliquer prochainement à la célébration des jouissances de la dévotion et des ivresses de la gloire militaire, bien que je ne les aie jamais connues…. »

    Essaierons-nous à notre tour cette justification à laquelle Baudelaire avait renoncé par fatigue et par ennui ?

    Assurément ce n’est pas le courage qui nous manquerait, et les éléments ne nous feraient pas défaut. Si nous ne l’entreprenons point, c’est qu’il nous semble que ce n’en est plus la peine. Les Fleurs du mal ont gagné leur procès en appel au tribunal de la littérature et de l’opinion publique. Les magnifiques plaidoyers de Théophile Gautier, les approbations, tant publiques que particulières, des maîtres de la poésie contemporaine, de Victor Hugo, de Sainte-Beuve, d’Émile Deschamps, etc., etc., ont effacé jusqu’au souvenir de ce « malentendu, »
    dont notre ami avait été si vivement choqué. Reste le livre, déformais serein et inattaquable, et dont les blessures ont été richement réparées par de nouvelles pousses. Livre, sinon classique, du moins classé, Les Fleurs du mal n’ont plus besoin d’être défendues.  »


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