Répondre à : PÉGUY, Charles – Poèmes (sélection)

Accueil Forums Textes PÉGUY, Charles – Poèmes (sélection) Répondre à : PÉGUY, Charles – Poèmes (sélection)

#150053
VictoriaVictoria
Participant

    PÉGUY, Charles – La Deuxième vertu (Extraits)





    Ce qui m'étonne, dit Dieu, c'est l'espérance.
    Et je n'en reviens pas.
    Cette petite espérance qui n'a l'air de rien du tout.
    Cette petite fille espérance.
    Immortelle.

    Car mes trois vertus, dit Dieu.
    Les trois vertus mes créatures.
    Mes filles mes enfants.
    Sont elles-mêmes comme mes autres créatures.
    De la race des hommes.
    La Foi est une Épouse fidèle.
    La Charité est une Mère.
    Une mère ardente, pleine de cœur.
    Ou une sœur aînée qui est comme une mère.
    L'Espérance est une petite fille de rien du tout.
    Qui est venue au monde le jour de Noël de l'année dernière.
    Qui joue encore avec le bonhomme Janvier.
    Avec ses petits sapins en bois d'Allemagne couverts de givre peint.
    Et avec son bœuf et son âne en bois d'Allemagne.
    Peints.
    Et avec sa crèche pleine de paille que les bêtes ne
    mangent pas.
    Puisqu'elles sont en bois.
    C'est cette petite fille pourtant qui traversera les
    mondes.
    Cette petite fille de rien du tout.
    Elle seule, portant les autres, qui traversera les
    mondes révolus.

    […] La petite espérance s'avance entre ses deux gran-
    des sœurs et on ne prend pas seulement garde à
    elle.
    Sur le chemin du salut, sur le chemin charnel, sur
    le chemin raboteux du salut, sur la route inter-
    minable, sur la route entre ses deux sœurs la
    petite espérance
    S'avance.
    Entre ses deux grandes sœurs.
    Celle qui est mariée.
    Et celle qui est mère.
    Et l'on n'a d'attention, le peuple chrétien n'a d'attention que pour les deux grandes sœurs.
    La première et la dernière.
    Qui vont au plus pressé.
    Au temps présent.
    À l'instant momentané qui passe.
    Le peuple chrétien ne voit que les deux grandes sœurs, n'a de regard que pour les deux grandes sœurs.
    Celle qui est à droite et celle qui est à gauche.
    Et il ne voit quasiment pas celle qui est au milieu.
    La petite, celle qui va encore à l'école.
    Et qui marche.
    Perdue entre les jupes de ses sœurs.
    Et il croit volontiers que ce sont les deux grandes qui traînent la petite par la main.
    Au milieu.
    Entre les deux.
    Pour lui faire faire ce chemin raboteux du salut.
    Les aveugles qui ne voient pas au contraire.
    Que c'est elle au milieu qui entraîne ses grandes sœurs.
    Et que sans elle elles ne seraient rien.
    Que deux femmes déjà âgées.
    Deux femmes d'un certain âge.
    Fripées par la vie.

    C'est elle, cette petite, qui entraîne tout.
    Car la Foi ne voit que ce qui est.
    Et elle elle voit ce qui sera.
    La Charité n'aime que ce qui est.
    Et elle elle aime ce qui sera.

    ×