Répondre à : KELLER, Richard – Les Deux Bouts de la corde

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#151718
Richard KellerRichard Keller
Participant

    Chapitre 4

    Le lendemain matin, dès huit heures, les gendarmes sont réunis à la gendarmerie pour faire le point. Il y a le chef Sagol, le gendarme Gilles, les deux gendarmes qui se sont trouvés les premiers sur les lieux, ainsi que le chef de la brigade.

    Le chef Sagol prend la parole :

    – Messieurs, je viens de prendre connaissance du rapport d’autopsie concernant les deux personnes trouvées pendues hier en début d’après-midi. Je vais essayer de vous épargner au maximum les termes techniques. Toinette et Germain sont morts par pendaison. La cause du décès est bien la strangulation.

    Le chef Sagol se répète volontairement pour donner du poids à ses propos.

    – Ce n’est pas le plus intéressant. Ils ont été assommés tous les deux avec un objet métallique plat, probablement volumineux, du type poêle à frire. Ils n’avaient aucune nourriture dans l’estomac. Germain avait absorbé du vin rouge quelques minutes avant le décès que le légiste situe entre douze heures trente et douze heures cinquante. Ils ont des moyens très modernes et quasi infaillibles pour déterminer l’heure de la mort. C’est surtout par rapport à la détérioration de certains tissus. Bien entendu, j’ai demandé d’autres analyses qui nous parviendront ultérieurement: ADN, prélèvements sanguins et autres investigations sur leurs vêtements et chaussures. Maintenant, nous possédons des éléments supplémentaires et non des moindres. Il va falloir garder toutes ces informations pour nous, il y a trop de suspects et cela pourrait nous être préjudiciable.

    Puis, s’adressant aux deux Pandores, arrivés les premiers, il leur demande de récapituler au tableau noir ce qu’ils ont vu.

    Le nordiste s’attèle à la tâche. Il fait un schéma des lieux concernés, il n’oublie pas le chien. Dans le même temps, il commente son croquis. Jusqu’à présent, les différents protagonistes semblent d’accord avec lui et ne l’interrompent pas.

    A la fin de l’exposé, le chef Sagol reprend les choses en main :

    – Messieurs, y a-t-il un point qui vous chagrine ?

    Le gendarme Gilles intervient:

    – Pour moi ce qui m’interpelle, c’est de savoir pourquoi et comment ces deux personnes sont montées au grenier ?

    Le chef de brigade ajoute :

    – Des objets, bijoux ou argent, ont-ils disparu ?

     Le deuxième gendarme parle du mobile du crime et demande à qui profite-t-il ?

    Le chef Sagol s’adresse au groupe:

    – De notre travail d’équipe jaillira la vérité. Il est indispensable que chacun apporte son caillou à l’édifice. Si vous le voulez bien, je vais encore revenir sur la découverte des corps. Lorsque le facteur a vu les pendus, ça l’a effrayé et il est ressorti aussitôt pour aller chercher un voisin, en l’occurrence Monsieur Guccione. A ce stade de la découverte, et en admettant que Monsieur Favant n’est pas l’assassin, nous pouvons émettre deux hypothèses, soit le meurtrier est déjà parti, soit il est encore dans la maison.

    Le nordiste s’adresse au chef Sagol :

    – En ce qui me concerne, j’éliminerai votre deuxième supposition car nous n’avons pas trouvé l’objet ou l’ustensile dont s’est servi l’assassin pour les hisser à la hauteur du nœud et leur passer la corde autour du cou. S’il s’était trouvé dans les lieux, il n’aurait pas eu le temps d’évacuer ses outils.

    – Vous êtes perspicace. En effet, j’ai du mal à comprendre comment ce voyou s’y est pris. Il aurait pu mettre chaque corps sur une lessiveuse ou un escabeau par exemple, mais il y aurait des traces. L’interrogation aussi, c’est qu’il n’y a pas d’empreintes de pas, comme s’il avait enlevé ses chaussures. Gilles vous avez remarqué quelque chose?

    – Mes élucubrations chef, je n’ai pas tout à fait la même appréciation que vous. Je ne pense pas que le meurtrier ait eu besoin d’un escabeau ou d’une lessiveuse. J’ai pris des mesures avant le départ des corps pour la morgue. Si je tiens compte de la distance qui sépare chaque nœud du sol et de la taille des victimes, du cou à la pointe des pieds, il reste cinq centimètres tout au plus pour Germain et quatorze pour Toinette. Il ne peut y avoir de grosses variations entre le moment de la pendaison et celui où j’ai pris les mesures, tout au plus trois centimètres. Pour les empreintes de pas, je ne crois pas que notre homme (oui, je suppose que c’est un homme), je ne crois pas qu’il ait quitté ses chaussures car s'il n’a pas laissé d’empreintes, il a fait des traînées. Je présume qu’il a enveloppé ses souliers dans du tissu ou du plastique. Si c’est du plastique, ça ne doit pas être du type sac de supermarché. C’est trop mince, trop fragile et nous aurions quelques empreintes au milieu de la poussière du grenier.

     

    – Il va falloir retourner dans la maison et fouiller de fond en comble, méthodiquement, méticuleusement. Ce serait bien le diable s’il n’y avait pas quelque chose qui nous aide un peu, dit le chef Sagol. Il faut surtout passer le grenier au crible , il a sûrement quelques révélations à nous faire. Cela nous permettra aussi d’avancer sur la façon dont sont montés Toinette et Germain sous les toits. C’est un mystère à élucider et si vous avez des idées, allez-y, exprimez-vous.

    Le gendarme nordiste demanda à prendre la parole. D’un signe de tête, le chef Sagol la lui donna.

    – Pour la montée au grenier, il est possible que nos victimes soient montées à des moments différents. Je privilégierais d’abord l’éventualité, que Germain soit allé le premier dans la soupente.

    – En effet, c’est possible, mais j’ai oublié de vous préciser un point important dans les résultats de l’autopsie. Selon le médecin légiste, ils sont décédés au même moment ou à très peu de temps d’intervalle. Donc, pour quelle raison Germain serait monté seul dans un premier temps ? Oui, il y a les saucissons et les jambons. Peut-être venait-il en prendre pour le repas de midi, ce qui expliquerait aussi que le repas n’avait pas été préparé. J’avoue que dans l’état actuel de nos réflexions, nous pataugeons.

    Le gendarme nordiste revient à la charge :

    – Dans l’éventualité où Germain serait monté le premier, rien ne prouve que Toinette soit montée de son plein gré, peut-être était-elle déjà assommée. Dans ce cas, l’assassin l’aurait hissée sur son dos. Elle était légère.

    – Au fait, qu’est devenu le chien? s’enquiert le chef Sagol.

    – Monsieur Guccione l’a ramené chez lui en attendant de le confier à un de leurs enfants. Cette bête est assez calme et docile. De plus, elle connaît bien l’entrepreneur, répondit l’autre gendarme.

    – Je crois que nous avons assez disserté, nous retournons là-bas maintenant. Chef, si ça ne vous gêne pas, je vous emprunterais volontiers vos deux collaborateurs qui ont commencé l’enquête avec nous hier.

    – Pas de problème cher ami, faites au mieux.

     

    Les quatre gendarmes montèrent à bord d’une berline Peugeot et se dirigèrent vers la maison des victimes. Le chef Sagol donna ses dernières consignes pendant le trajet. Chacun savait parfaitement ce qu’il devait faire: revoir chaque élément et vérifier si, à première vue, il n’y a pas eu de disparition. Par exemple, inspecter les murs, pour déceler d’éventuelles différences de teintes laissant supposer qu’un tableau ait pu être décroché de son emplacement.

    Il y a aussi les tiroirs. Dans un tiroir bien rangé, il y a un ordre apparent ; il est facile pour un œil expert de faire la différence entre du désordre et du déballage. Il ne fallait pas non plus hésiter à solliciter les voisins et surtout les habitués, ceux qui fréquentaient assidûment les défunts. Nos Pandores devaient aussi rencontrer les enfants de Toinette et Germain. C’était une rencontre de première importance.

    – Le facteur est un informateur intéressant, son passage est quotidien. Il voit des choses qui peuvent lui sembler anodines, mais qui, pour nous, seront capitales. Il va falloir le rencontrer de nouveau. Gilles, je vous charge de le convoquer, soyez arrangeant avec lui, compte-tenu de son travail, de sa coopération hier avec nous, et de nos besoins futurs. Profitez de l’occasion pour revoir Monsieur Guccione, si possible dans la maison, il faut qu’il nous dise s’il y a des objets qui ont disparu. Le mystère est trop épais pour avancer le mobile des meurtres. A ce stade de nos travaux, c’est le flou le plus complet, pas l’ombre du début d’un indice.

    Le chef Sagol avait le sens de la formule et surtout il s’écoutait parler, un peu à la façon d’un Claude Nougaro ou du patriarche au bandana rouge, l’ex rugbyman Herrero. Il faut dire que beaucoup de gens du sud de la France ont ce type de comportement. Cela ne les empêche nullement d’être de braves gens. Ce sont des séducteurs, ils aiment capter l’auditoire. Le chef Sagol, originaire du Minervois, avait sa place dans ce club très ouvert.

    Malgré sa propension à s’écouter, ce n’est pas lui qui se servait du dictaphone enregistreur, mais le gendarme Gilles . Le chef Sagol préférait, et de loin, prendre des notes sur un petit carnet à spirale. Peut-être prenait-il autant de plaisir à se relire qu’à s’auditionner.

     

    Nicolas, le facteur, s’était levé tôt. Il descendit acheter des croissants pour faire plaisir à Elodie et  il poussa la balade jusque chez le marchand de journaux. Il voulait voir si le journal faisait écho des deux meurtres. Il remonta les escaliers quatre à quatre. Arrivé à l’appartement, il mit ses pantoufles pour ne pas faire de bruit, son amour dormait encore. Il mit de l’eau à bouillir, sortit la théière et prit une boite métallique dans le placard. La bouilloire siffla légèrement, Nicolas versa deux cuillerées à café de darjeeling, dans le fond de la théière et laissa infuser. Il regarda l’heure, il était six heures et quart, il commençait son service à sept heures. Il lut le journal en attendant. Il y avait juste un entrefilet : « un couple de personnes âgées découvertes pendues dans le grenier de leur maison. Une enquête a été ouverte. » Aucun détail, aucun protagoniste cité. Le journaliste avait dû avoir des consignes, ou alors il n’avait procédé  à aucune investigation. Nicolas inclinait plus en faveur de la première hypothèse. C’est quasi automatique, lorsqu’il y a un meurtre, les services de police imposent à la presse un black-out sur les informations qui pourraient être de nature à gêner les enquêteurs. Dans la plupart des cas, les journaux se plient de bonne grâce à cette injonction. L’affaire qui nous occupe ne dérogeait pas à ces principes.

    Le petit déjeuner était prêt, notre facteur mit sur un plateau en bois, deux croissants au beurre, une tasse de thé avec un petit pot de lait et un jus d’orange. Elodie somnolait sur le lit, entièrement nue, le drap roulé en boule au pied du lit. En la voyant ainsi, il se disait que la vie était belle, sa compagne encore plus, elle était son rayon de soleil. Il posa doucement le plateau sur la table de chevet. Délicatement, il  s’assit à côté d’elle, lui déposant un baiser derrière l’oreille droite. Son infirmière préférée entrouvrit un œil avec un sourire au coin des lèvres, elle se blottit dans les bras de Nicolas et l’embrassa généreusement.

    – Chérie il est presque sept heures, je dois y aller, je te souhaite une bonne journée, je t’ai laissé le journal. A ce soir mon amour.

    Elodie savoure autant son petit déjeuner que l’attention avec laquelle son amoureux le lui a préparé et servi. Ça cimente, s’il en était besoin, la demeure enchantée de leurs sentiments amoureux.

    A sept heures précises, Nicolas est devant son casier de tri . Le courrier est là, il n’attend plus que des bras vaillants pour entamer son dernier voyage avant de se trouver dans la boite à lettre de son destinataire. Nous sommes mercredi et le facteur se dit, qu’aujourd’hui, les enfants sont à la maison et les mamans aussi. Sur sa tournée, un grand nombre de mères se libèrent ce jour-là, certaines travaillent à temps partiel, d’autres posent leurs jours de RTT lorsque les enfants n’ont pas école. Ces jours-là, hormis le volume du courrier, Nicolas termine sa distribution bien plus tard que d’habitude. La raison est simple, notre homme aime bien la jeunesse et les gosses adorent discuter un peu avec lui, les mamans aussi. En s’arrêtant quelques secondes de plus à droite et à gauche, il a besoin facilement d’une heure de plus pour accomplir la même besogne.

    En plus de Nicolas, il y a neuf autres facteurs pour desservir les cinq villages et la ville. La population de la zone concernée est de huit mille personnes environ. Comme toutes les communes rurales, proches d’une grande agglomération, la démographie est galopante, au grand dam des préposés qui voient quotidiennement le volume augmenter sans personnel supplémentaire pour le distribuer.

    Ce matin, les questions fusent sur Toinette et Germain, chacun y va de sa demande. Nicolas, patient comme un ange, explique le plus simplement possible à ses compagnons ce qu’il a vu. Il essaie de ne pas donner de détails, surtout sur ses discussions avec les gendarmes. Il lui faut être diplomate et faire de l’importance avec presque rien.

    Il connaît beaucoup d’histoires plus ou moins savoureuses sur les femmes blondes notamment une qui parle du secret, il la ressort souvent : « il n’y a rien de mieux qu’une blonde pour garder un secret, d’ailleurs pour qu’il soit mieux gardé, elles s’y mettent à plusieurs. A bon entendeur salut, se dit Nicolas, moins j’en dit et mieux je me porte. »

    Un de ses camarades connaît très bien le hameau. Il habite cinq cents mètres plus loin en direction de la rivière. Ce collègue est surnommé Rabbit. Ce sobriquet fait référence au lapin, non pas pour sa fourrure, mais pour d’autres particularités spécifiques à Monsieur lapin,. Rabbit s’étant vanté, à plusieurs reprises, de ses prouesses avec la gent féminine, le surnom était tout trouvé. Malgré ce côté vantard, c’est un gentil garçon. Il est marié et père de jumeaux, un gars et une fille, qui ne se quittent jamais une seconde. Ils ont huit ans ses garnements. Le mercredi, ils guettent Nicolas pour discuter un peu avec lui. Rabbit lui aussi connaît pas mal de choses sur Germain et Toinette, il a même confié quelques ragots à Nicolas.

     

    Les gendarmes arrivent au hameau, ils essaient d’être le plus discrets possible. Ils n’ont pas utilisé le gyrophare ou la sirène. Un pandore sort de la Peugeot pour ouvrir le portail et le refermer aussitôt après. Le chef Sagol souhaite travailler un moment tranquille avant d’auditionner Monsieur Guccione, dit « l’entrepreneur ». L’ouverture de la porte d’entrée n’est pas facile. La porte, usée par les ans, est gondolée et le penne de la serrure ne tombe pas tout à fait en face. Il faut forcer pour faire tourner la clé. Toinette et Germain fermaient rarement la maison à clef.

    Une fois à l’intérieur, nos quatre mousquetaires ressentent un sentiment étrange. Chacun se tait et une sensation d’oppression gagne le groupe. Le gendarme Gilles est le premier à rompre le silence pesant ; il s’adresse au chef :

    – Avez-vous déjà rencontré une maison comme celle-ci ; je perçois des choses inexplicables, une impression de solitude. C’est difficile à développer, à croire que les habitations ont une âme.

    Quelques mois auparavant, le chef Sagol et le gendarme Gilles avaient eu à résoudre une enquête morbide. Ils se souviendraient longtemps de la dame aux chats . Outre le meurtre d’une vieille femme qui nourrissait les chats du quartier, ils avaient trouvé dans l’appartement une décoration à faire pâlir les maîtres des films fantastiques. L’assassin avait disposé sa victime sur un rocking-chair avec un chat empaillé dans chaque bras. Il y avait une trentaine de félins disséminés dans l’appartement. L’affaire était surprenante, aucun des chats n’était de race ou de pelage identique ; ce qui dénotait un goût certain pour la mise en scène

    Malgré les années de terrain, aucun enquêteur ne peut se débarrasser de ce climat. Avec le temps, les sensations s’atténuent. Pour l’anecdote, le mystère de la maison aux chats demeure entier.

    Rapidement, chacun s’est déployé dans une pièce et commence son inspection. Les murs ne sont pas bavards, aucun tableau ne semble avoir disparu. Les tiroirs sont également muets, pas de trouvaille de génie. A première vue, le vol ne semble pas être le mobile du crime.

    – N’éliminons pas totalement cette hypothèse. Nous pourrons le faire après l’audition des enfants et des proches, dit le chef Sagol.

    Le gendarme nordiste évoque une piste qui n’a pas été abordée jusqu’à présent.

    – Chef, vous avez vu dans les prospectus que nous avons trouvés hier sur la table , il y avait un dépliant d’une agence immobilière. En une année, le prix des terrains et des villas a grimpé de plus de vingt pour cent. Je pense qu’il serait judicieux d’explorer cette piste. Je crois que les défunts étaient propriétaires de terrains convoités par des promoteurs. Ici, il y a au moins dix acheteurs pour un bien à vendre. Ca devient préoccupant pour les jeunes. Bientôt, ils n’auront plus les moyens d’acheter une grange en ruine.

    – Votre réflexion est pertinente. Ca va faire partie des points à éclaircir avec les enfants de Toinette et Germain, il faudra aborder le sujet avec le facteur. Au fait, Gilles, vous feriez bien d’appeler la poste pour qu’on puisse revoir le facteur cet après-midi ou demain au plus tard. Tant que nous n’aurons pas trouvé le mobile du meurtre, nous pataugerons. Bon sang !  A qui profite le crime ? Pas de réponse ! Alors Messieurs, il va falloir mettre les bouchées doubles. Nous allons voir les voisins. Gilles, allez me chercher l’entrepreneur s’il vous plaît.

    Le gendarme Gilles revint cinq minutes après avec Monsieur Guccione. Le chef Sagol le salua et lui demanda s’il allait bien depuis hier, si la disparition de ses voisins ne l’avait pas trop perturbé et si la garde du chien ne lui avait pas posé de problèmes ?

    – Le chien est adorable, il a juste pleuré hier soir, il a mangé un peu. C’est une affaire de quelques jours, si le fils de Germain  l’emmène, il connaît la famille et il sera au large.

    – Monsieur Guccione, si je vous ai sollicité de nouveau, c’est pour faire appel à votre sens de l’observation. J‘ai remarqué que vous étiez assez proche de Toinette et Germain, vous devez bien connaître les lieux et les habitudes. J’aimerais que vous fassiez le tour de chaque pièce, si vous repérez une anomalie, je vous saurais gré de me la signaler.

    – Je n’y manquerai pas monsieur Sagol.

    Les deux hommes explorent minutieusement chaque salle, l’entrepreneur se prenant parfois pour un fin limier. Il fronce du sourcil en scrutant les bibelots, les tableaux et autres babioles. Il faut se rendre à l’évidence, Monsieur Guccione n’est pas Hercule Poirot ni Sherlock Holmes. Le verdict tombe. Rien n’a été volé ou déplacé, sauf peut-être à la cuisine. L’entrepreneur croit que sur une étagère, il y avait un ou deux plats de plus, mais il ne peut s’engager avec certitude.

    Le chef Sagol note quand même cette supposition et remercie encore l’entrepreneur de son étroite collaboration. Il est des collaborateurs occasionnels qu’il faut savoir flatter, l’entrepreneur en fait partie.

    Pendant ce temps, le gendarme Gilles s’est rendu en premier chez le couple de publicistes. C’est la fille, Maeva, qui vient répondre au coup de cloche. En fait, il s’agit d’une grosse clarine qui a jadis servi au cou d’une vache dans la vallée de Beaufort. Maeva est surprise par l’uniforme, elle demande à l’homme ce qu’il veut. Le gendarme Gilles désire rencontrer ses parents. Elle répond que sa mère est là, elle va l’appeler.

    – Bonjour Monsieur, je suis Patricia Montfort, que désirez-vous ?

    – Bonjour Madame Montfort, je suis le gendarme Gilles. J’enquête sur le décès de vos voisins, Toinette et Germain, auriez-vous quelques minutes à m’accorder?

    Patricia Montfort est une grande jeune femme d’environ trente-cinq ans. Les cheveux blonds et longs, des yeux d’un bleu très clair éclairent un visage d’une beauté de madone. Elle est vêtue d’un pantalon de survêtement et d’un body blanc. Sa plastique irréprochable est mise en valeur et notre Pandore n’est pas insensible à son charme. Madame Montfort lui fait penser aux beautés nordiques ou slaves. Il se remémore ce que lui a rapporté le chef lors de l’entretien avec Nicolas, le facteur, au sujet des revues et objets échangistes. Il y a des instants où il voudrait être transparent, le Pandore, pour voir ce qui se passe dans les alcôves.

    La maison de la famille Montfort est de type traditionnel à l’extérieur. A l’intérieur, le contraste est saisissant . Les murs sont presque nus, uniquement peints à la chaux blanche ornés de quelques masques en croûte de cuir. Les tapis sont en coco, les tables et les chaises en inox. Ici, c’est le parti pris de la modernité. Au milieu du salon un escalier en verre monte vers les chambres.

    – Maeva s’est repliée dans sa chambre. Mon fils est allé faire du tennis avec un copain,. Asseyez-vous, désirez-vous un café ou un verre ?

    – Un café, ce ne sera pas de refus. Si vous le voulez bien Madame, je souhaiterais avoir votre avis sur ce qui vient d’arriver. Je suppose que vous savez déjà que nous avons trouvé les deux victimes hier, en début d’après-midi, pendus dans leur grenier. Parlez-moi de tout ce qui les touche de près ou de loin ?

    – Vous savez, je suis là le mercredi et en fin de semaine, mon mari uniquement le week-end, alors nous ne pouvons pas consacrer beaucoup de temps au voisinage. Nous assistons tous les ans au méchoui et mon mari fournit quelques lots pour le concours de pétanque qui est organisé à cette occasion.

    C’étaient des gens charmants, sauf que Germain a toujours refusé de nous vendre le pré qui est derrière chez nous, pour nos chevaux. L’endroit semblait idéal, mais nous avons acheté un autre terrain en face. Il est moins grand et malheureusement ne jouxte pas notre propriété. Nous ne lui en avons jamais voulu. Dans ces campagnes, les anciens n’acceptent pas facilement de se défaire de leurs biens de leur vivant.

    Le gendarme Gilles reprend aussitôt Madame Montfort :

    – Vous venez de me dire que ce sera plus facile avec Germain mort que vivant?

    Elle se crispe et répond sèchement qu’il ne s’agit pas de déformer ses propos. Elle a parlé des anciens, en général et pas du petit différend concernant l’achat hypothétique d’un lopin de terre.

    Le gendarme a vite compris que sous un gant de velours se cache une poigne de fer. Cette femme est une dominatrice. Il faudra s’y prendre autrement s’il ne veut pas la braquer définitivement. Il marque une pause en absorbant une gorgée de café. Il félicite son hôtesse sur la saveur du breuvage.

    Elle l’informe que son mari est un grand amateur, il a séjourné au Brésil et en Colombie il y a quelques années.

    Gilles s’engouffre dans la brèche. Il parle de sa demande de mutation pour la Guyane qui est frontalière avec le Brésil. Madame Montfort répond qu’elle ne connaît pas l’Amérique du sud ni l’Amérique centrale ; dans la famille, c’est son mari le spécialiste. Il a onze ans de plus qu’elle et il a beaucoup bourlingué avant de poser ses valises auprès de Patricia

    – Parlez-moi des soucis de voisinage, Madame Montfort ?

    – Je me souviens d’un accrochage avec le transporteur au sujet d’un feu de paille, dit-elle. Ils se sont réconciliés rapidement, je ne pense pas que ce soit un indice de premier ordre.

    – Madame Montfort, c’est en collationnant, à la volée, des détails insignifiants, que souvent la vérité éclate. C’est l’histoire des grains de sable. Un seul n’est qu’une poussière; quelques milliards de plus et c’est la dune du Pyla ou les plus belles plages du Pacifique. Pour une enquête criminelle, le principe est identique, c’est un puzzle ou chaque pièce dépend de l’autre.

    Ils parlèrent encore une demi-heure, puis l’enquêteur prit congé en félicitant Madame Montfort pour son café et la décoration de sa demeure. Elle lui adressa un sourire en fermant la porte et l’au revoir mourut dans le bruit d’une serrure qui s’actionne.

    Le gendarme Gilles fantasmait sur la personne de Patricia Montfort. Le trajet, qui sépare la propriété de la famille Montfort de celle de Toinette et Germain, lui fut propice pour imaginer la blonde jeune femme dans une tenue autrement plus aguichante qu’en survêtement. Il rêvait éveillé, lorsqu’il entendit une voix qui lui disait:

    – Alors Gilles, on est sur son nuage?

    Il tourna la tête. Devant lui, le chef Sagol et les deux autres gendarmes s’apprêtaient à aller à sa rencontre.

    – Excusez-moi chef j’étais encore là-bas. (Il fit un signe évocateur, qui ressemblait à l’esquisse d’une silhouette féminine.)

    Les trois autres comprirent que, ce matin, c’était lui qui avait tiré le bon numéro.

    – Avez-vous collecté quelques éléments pour nous faire avancer ?

    – Pas grand-chose chef, sauf que les Montfort ont tenté d’acheter sans succès le pré adjacent à leur villa. Devinez qui sont les propriétaires ?

    – Gilles, la réponse est dans la question, seraient-ce Toinette et Germain par hasard ?

    – Bingo chef! Je ne crois pas que cela constitue une piste fiable. Madame Montfort en a parlé sans aucune gêne ni regret. Cela ne semble être qu’une péripétie dans leur vie. Il y a aussi deux détails: le mari a onze ans de plus que sa femme. Il a beaucoup voyagé en Amérique centrale et Amérique du sud.

    – C’est instructif, mais pas au point de fournir le mobile du meurtre. A vous entendre, cette charmante personne vous a tapé dans l’œil. Avez-vous évoqué le colis et ses objets surprises ?

    Le gendarme Gilles rougit un peu. Une fois son embarras évacué, il regarde ses trois autres acolytes et déclare qu’il ne pouvait décemment pas aller sur ce terrain trop glissant à son humble avis.

    Le chef Sagol lui confirme qu’il s’agit d’une plaisanterie. Il fallait être tordu pour trouver le moindre rapport entre la fin tragique de Toinette et Germain et des produits estampillés « jouets pour adultes ». Il apostrophe ses subordonnés en leur précisant qu’un point doit être fait sur les informations glanées ce matin.

    – Si vous n’avez rien de prévu pour le déjeuner, nous pourrions manger ensemble dans un endroit tranquille et faire le point pendant le repas. Ce serait un gain de temps appréciable.

    Tous acquiescèrent. La maison fermée, ils montèrent dans la Peugeot. Le gendarme nordiste prit le volant, Gilles ferma le portail.

    En chemin, ils croisèrent Nicolas qui n’était plus bien loin du hameau. Il était presque treize heures. Ils stoppèrent à sa hauteur, Nicolas vint vers eux pour les saluer. Le gendarme Gilles lui adressa le premier la parole, pour demander s’il était toujours d’accord pour se voir à la gendarmerie vers quinze heures. Le facteur, après avoir serré la main de chacun, déclara que c’était prévu depuis le coup de fil à la poste de ce matin. En leur souhaitant un bon appétit, Nicolas prit congé des Pandores.

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