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Chapitre 11
En début d’après-midi, le chef Sagol rendit visite à la société « Médic Home ». Le bâtiment était en tôle comme on voit dans les zones industrielles à la périphérie des grandes villes. Il poussa la porte vitrée. Une musique d’ambiance était diffusée, le chef reconnut le morceau joué au piano, c’était du Richard Clayderman. Une jeune femme vint à sa rencontre.
– Bonjour, que puis-je faire pour vous, monsieur?
– Je désire voir monsieur Prigent s’il vous plaît.
– Je vous appelle mon mari.
Madame Prigent décrocha un téléphone et un homme arriva d’un pas décidé, du fond du magasin.
– Bonjour, je suis Claude Prigent, venez dans mon bureau nous serons plus à l’aise.
Monsieur Prigent était un homme dynamique, il avait compris au premier coup d’œil qu’il ne s’agissait pas de louer du matériel à la gendarmerie.& Les deux hommes pénétrèrent dans une pièce séparée du reste du magasin par des vitres. Aucun client ne pouvait échapper au regard de celui qui se trouvait dans cette tour de contrôle.
– Asseyez-vous, je vous en prie.
Le chef Sagol se posa sur une chaise au design futuriste, mais qui était confortable. Monsieur Prigent s’était installé de l’autre côté du bureau dans un fauteuil assorti.
– Que me vaut votre visite ? Demanda-t’il.
Le chef Sagol prit son temps pour lui répondre, comme un sportif qui retient son souffle avant de franchir un obstacle.
– J’enquête au sujet du décès de Madame et Monsieur Drochard, vous connaissiez ?
– Oui, ils étaient clients chez moi, c’est affreux ce qui s’est passé.
– Vous dites qu’ils étaient clients chez vous, les aviez-vous rencontrés dernièrement ?
– Je leur ai rendu visite le matin du meurtre, madame Drochard désirait installer un lit médicalisé. Je me suis présenté chez eux, quelques minutes avant midi. Je ne suis pas resté longtemps, juste le temps de leur montrer mon catalogue et d’expliquer quelques détails techniques.
– Avez-vous remarqué quelque chose de particulier lors de votre passage ?
– Non, mais chez les personnes âgées, la maison est parfois en désordre.
– Vous voulez dire que c’était le cas chez eux ?
– Un peu, je me souviens qu’elle devait préparer le repas car elle avait posé une casserole sur la table. J’étais assis le nez presque dedans.
– Que préparait-elle?
– Nous n’en avons pas parlé et je n’ai pas prêté attention à cela.
– Avez-vous fait affaire ?
– Je devais les livrer cette semaine. Dans mon métier, le temps est souvent un concurrent redoutable. Notre clientèle se recrute à plus de quatre-vingt pour cent dans le troisième âge.
Le chef Sagol était intrigué par cette casserole. Il demanda à Monsieur Prigent de lui montrer le volume de l’ustensile.
– C’est difficile d’être catégorique, je dirais qu’elle devait avoir un diamètre d’environ trente à trente-cinq centimètres et vingt de hauteur. Elle était en inox.
– Etait-elle remplie d’ingrédients ou vide ? Si vous aviez le nez dedans, vous avez dû humer des odeurs.
– Ça ne m’a pas frappé et je m’en excuse. Je ne suis pas un expert dans ce domaine.
Le chef Sagol n’insista pas. Monsieur Prigent lui avait dit tout ce qu’il savait. Il remercia son interlocuteur et lui demanda à quel moment de la journée il pourrait le revoir pour les besoins de l’enquête. Il ferait le nécessaire pour ne pas le perturber dans son activité professionnelle.
Monsieur Prigent répondit qu’il était à sa disposition, mais qu’il pensait avoir communiqué tout ce qu’il savait. Il raccompagna le chef jusqu’à la sortie.
Malgré la musique et le décor impeccable, Sagol n’aimait pas ce lieu. Il faisait une association avec la maladie et le handicap, ça le mettait mal à l’aise. Madame Prigent le salua et il sortit dans la rue. Il n’avait pas perdu son temps.
Il était seize heures trente, lorsque le chef Sagol arriva à la gendarmerie. Gilles l’attendait, il avait reçu des résultats d’analyses. Il en informa le chef et ils étalèrent devant eux les différents rapports.
– Il n'y a rien de transcendant, c’est pas suffisant, il va falloir procéder à des comparaisons.
Gilles ajouta qu’avec le concours de ses collègues, Liard et nordiste, ils avaient recueilli les empreintes du facteur, de l’entrepreneur, du cimentier, du plombier-professeur de yoga, des employés municipaux, et du transporteur à la retraite, sans oublier bien sûr, la boulangère. Ils avaient choisi la méthode douce, la plupart des empreintes avaient été recueillies à l’insu des protagonistes, en montrant une photo par exemple. Cela permettait de ne pas éveiller de soupçon ou de froisser quelque susceptibilité.
Sagol félicita le gendarme Gilles pour sa réactivité et son tact. Il s’en voulait de ne pas avoir procédé de la même manière avec certaines personnes auditionnées, cela aurait fait gagner un temps précieux. Il savait que le facteur temps était un paramètre non négligeable dans cette affaire. Plus les jours passeront, plus il sera difficile d’avancer dans le dossier.
Il y avait quand même un détail sérieux, aucune empreinte n’était répertoriée au fichier central. Cela laissait supposer que l’assassin n’était pas connu de la justice ou qu’il n’avait laissé aucune trace exploitable. Les premiers résultats des analyses ADN allaient dans cette direction: « aucune comparaison probante », tel était le commentaire du laboratoire au bas de chaque fiche.
Gilles demanda au chef s’il avait remarqué qu’il y avait peu d’empreintes en dehors de celles de Toinette et Germain.
– J’ai vu, mon cher, et sauf un coup de pouce de la providence, nous sommes dans la panade. Il va falloir procéder à des prélèvements sur les voisins et y inclure Nicolas Favant, Emile Quesnoy, René Deruaz et Joseph Cuchet. Je compte sur vous Gilles pour organiser cette opération rapidement.
Sagol décida de sa propre initiative de ne pas solliciter l’autorisation du juge Silovsky, il se débrouillerait pour fournir des explications sur le bien-fondé des analyses.
Gilles avait compris que le chef tapait au hasard. Il avait une impression identique : celle d’être à la barre d’un navire au milieu de la tempête, avec une brume, qui ne permettait pas de distinguer quoi que ce soit à l’horizon , et les marins qui hurlaient de tous bords face aux déferlantes d’eau salée. Sagol revint sur les résultats d’ADN.
– Nous n’avons pas encore ceux qui ont été réalisés sur la cordelette du jambon qui a disparu.
– En effet, je ne crois pas, chef qu’elles nous apporteront grand-chose.
– Moi non plus Gilles, mais si l’assassin a fait une erreur, il ne faut pas que ça nous échappe.
Le gendarme Gilles contacta immédiatement le docteur Tardieu.
– Il les fera lui-même car si sa présence est requise, l’acte peut être exécuté par une infirmière sous ses yeux. Nous avons convenu qu’il sera à la gendarmerie de huit heures à neuf heures et demie.
Le gendarme nordiste et Liard étaient chargés de rédiger les convocations et de les remettre eux-mêmes aux intéressés. Ils profiteraient de leur passage dans le hameau pour procéder à quelques recoupements et aller voir le responsable du centre d’accueil pour SDF et gens du voyage « Logis Nuit » . Ils y passaient deux fois par semaine au minimum.
Le centre « Logis Nuit » héberge, pour une brève durée, les marginaux de passage. Il y a souvent des soucis avec cette population, il leur arrive d’intervenir. Au mois d’avril, une rixe alcoolisée s’était terminée au couteau et deux belliqueux s’étaient retrouvés au service des urgences.