Répondre à : KELLER, Richard – Les Deux Bouts de la corde

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#151732
Richard KellerRichard Keller
Participant

    Chapitre 17



    Aujourd’hui, vendredi trente et un mai, cela faisait dix-sept jours que Toinette et Germain avaient été odieusement assassinés. Le chef Sagol avait été informé la veille, en fin d’après-midi, de la libération de l’unique accusé. C’était une évidence, monsieur Bekrane n’avait absolument rien à voir, de près ou de loin, avec cette affaire. Julie Silovsky, en personne, l’avait appelé. Elle ne lui avait épargné aucun détail.

    Le chef Sagol se remémorait cet épisode douloureux de la mise en demeure du procureur sur demande du juge.

    – Je vous écoute madame le juge.

    – Pour gagner du temps, je vous ai court-circuité. J’ai demandé au labo de me faire parvenir les résultats ADN, aucun rapprochement n’a pu être constaté. Je vous fais parvenir par navette un double. Il faut continuer les investigations monsieur Sagol, l’ADN parlera j’en suis convaincue.

    Le chef Sagol se demandait, depuis deux jours, s’il avait affaire à un sosie de Julie Silovsky, tant la transformation de la mentalité du personnage était évidente. Il s’agissait d’un virage à trois cent soixante degrés, il n’allait pas s’en plaindre.

    – Soyez assurée madame Silovsky que, mes hommes et moi-même, nous mobilisons encore davantage sur ce dossier. D’ailleurs cet après-midi, nous rencontrons le notaire de la famille Drochard, maître Radoin.

    – Effectivement, il peut y avoir une ouverture de ce côté monsieur Sagol, vous avez ma confiance. A bientôt.

    – Je vous remercie madame. Bonne soirée.

    Lorsqu’il eut raccroché, le chef Sagol rejoignit ses hommes pour leur transmettre les informations communiquées par madame le juge.

    Pendant ce temps, maître Gaël Raynaud  s’était levé de fort bonne humeur. Il était en route pour son bureau, il était presque neuf heures. Il avait une heure à lui, il appela Jane. Il discutèrent un bon moment, puis il raccrocha. Il était radieux, un soleil l’avait ébloui : Jane arrivait ce soir. Il composa un autre numéro, il s’agissait d’un centre médicalisé pour sevrage alcoolique. Ce centre se situait dans le département de l’Ain. A force de persuasion et de ténacité, il arracha une place pour Youssef Bekrane. Il fut convenu qu’il intégrerait l’unité de soins dès cet après-midi.

    Gaël réfléchit et prit la décision d’emmener Youssef lui-même. Il ne fallait pas lui laisser la possibilité de rejoindre le monde de la bouteille. Il alla récupérer sa voiture garée à quelques rues de son bureau.

    Maître Raynaud frappa à la porte de la chambre où logeait Youssef, pas de réponse. Il  cogna plus fort, pas de réaction. Il frappa encore plusieurs fois. En dernier ressort, il demanda à son ami Théo Cipriani de faire ouvrir la chambre. Il craignait le pire. Lorsqu’ils entrèrent, ils éclatèrent de rire. Youssef Bekrane ronflait du sommeil du juste.

    – Monsieur Bekrane, il est dix heures et quart, c’est Gaël Raynaud, réveillez-vous.

    Youssef ouvrit un œil et se leva d’un bond, il se demandait où il était. Il toucha de la main son sauveur.

    – Oui monsieur Bekrane, c’est bien moi.

    – Je crois bien dormi.

    – Ah ça oui ! Vous avez presque fait le tour du cadran. Il vous faut prendre une douche, déjeuner et après nous avons des choses à faire ensemble.

    – Oui monsieur Gaël.

    – Je vous attends dans le bureau du directeur.

    – Compris monsieur Gaël.

    Gaël et Théo descendirent les escaliers quatre à quatre. Ils conversèrent un moment. Ils se connaissaient depuis l’école maternelle. Ils ne se voyaient plus très souvent, mais ils savaient qu’ils pouvaient compter l’un sur l’autre à la vie à la mort. Une amitié solide les unissait.

    – Théo, j’emmène monsieur Bekrane à Hauteville, j’ai trouvé une place pour un sevrage médicalisé en milieu fermé. Ce gars-là mérite d’être sorti de la galère.

    – Je te reconnais bien là, toujours à défendre la veuve et l’orphelin.

    – Et toi, tu n’as pas choisi un métier de tueur, il me semble ?

    – Tu as raison, le social m’a également rattrapé.

    Youssef Bekrane mit fin à leur conversation. Il venait de terminer son petit déjeuner et il était prêt à suivre maître Raynaud. Gaël l’informa de la destination finale.

    Youssef se renfrogna :

    – Pas de suite.

    – Vous m’avez fait une promesse Youssef, ne l’oubliez pas.

    – Oui monsieur Gaël, Bekrane tenir parole.

    – C’est raisonnable Youssef, je vous emmène à Hauteville. Vous verrez, dans quelques semaines, vous serez un autre homme.

    Youssef secoua la tête. Gaël savait que la partie serait rude et longue à jouer. Youssef prit son baluchon et rejoignit la vieille Opel Corsa de Gaël, le moteur tournait déjà. Théo Cipriani, sur les escaliers du foyer des jeunes travailleurs, regarda s’éloigner Youssef Bekrane et son ami d’enfance.

     

    En ce dernier jour du mois de mai, le ciel était d’un bleu azur. Après un repas rapide, le chef Sagol décida d’aller se dégourdir un peu les jambes. Il se dirigea vers le bord de la rivière. Sous l’ombre des grands arbres, la promenade était agréable. Il arriva à la passerelle des amants et il s’arrêta au milieu pour regarder le gouffre quelques mètres plus bas. Il ne connaissait pas la légende, mais il apprécia le site et s’en retourna vers la gendarmerie. Dans quelques minutes le chef Sagol aurait connaissance des volontés des défunts époux Drochard.

    Le gendarme Gilles accompagna son chef. Liard et le nordiste s’occupaient des investigations concernant le voisinage et la famille.

    Maître Radoin était un homme ponctuel. Une employée reçut les Pandores dans le hall de l’étude. Une odeur de vieux papier et d’encaustique imprégnait les lieux. Le hall, haut de plafond, avec de vieux rayonnages remplis de dossiers, faisait penser à un décor de roman d’Agatha Christie.

    Le clerc vint se présenter aux gendarmes.

    – Bonjour messieurs, je suis Joseph Derhoux, premier clerc. Maître Radoin vous attend.

              Le bureau du notaire était à l’identique du hall, excepté un bureau qui trônait au milieu de la pièce. Maître Radoin s’extirpa d’un fauteuil club en cuir râpé sur les accoudoirs.

              Enchanté messieurs, je vous en prie, prenez place.

              Il désigna deux chaises capitonnées de cuir. Elles avaient traversé bien des épreuves à en juger par la patine et l’affaissement de l’assise.

    Le chef Sagol fit les présentations :

    – Je suis l’adjudant-chef Sagol et je vous présente le gendarme Gilles, mon adjoint. Comme vous le savez, nous sommes en charge de l’affaire Drochard.

    – Triste fin messieurs, je suis à votre disposition.

    – Suite à la réquisition du juge d’instruction, nous sommes mandatés pour prendre connaissance du ou des testaments des victimes, maître .

    – En effet, j’ai devant mes yeux une réquisition signée du juge Silovsky.

    – Pouvons-nous voir ces documents maître ?

    – Un instant je vous prie, j’appelle monsieur Derhoux.

    Maître Radoin appuya sur un bouton situé sur son bureau à l’extrémité droite du plateau.

    – Vous désirez quelque chose, maître ?

    – Oui monsieur Derhoux, apportez-moi l’ensemble du dossier de la famille Drochard.

    – Tout de suite, maître.

    Le clerc ne mit que quelques secondes. Il réapparut avec un dossier d’une dizaine de centimètres d’épaisseur.

    – Merci monsieur Derhoux. Ne vous inquiétez pas messieurs, il y a ici l’ensemble des actes effectués pendant des décennies. La partie qui nous occupe aujourd’hui ne doit concerner que quelques feuillets.

    Le chef Sagol précisa que ce qui l’intéressait en priorité était le testament ainsi que les actes effectués ces vingt-quatre derniers mois.

    – C’est entendu, voici le testament de monsieur Germain Drochard, j’ai rendez-vous avec la famille la semaine prochaine.

    – Merci maître.

    Le document, sous enveloppe scellée à la cire, fut ouvert par maître Radoin. Ce dernier apposa un paraphe au dos de l’enveloppe avec la mention « ouvert le trente et un mai de l’an … sur réquisition de justice en date du… », le chef Sagol parcourut rapidement le début du document qui ne présentait aucun intérêt.

    Germain Drochard avait décidé de ne transmettre que la quotité réservée à ses trois enfants. Suivait une évaluation des terrains et de la maison du hameau. Ginette Drochard avait droit à la même part que son frère et sa sœur. Chaque enfant héritait d’une parcelle importante de terrain. La quotité disponible était attribuée à une seule personne mademoiselle Vanessa Drochard, petite fille du défunt. Elle héritait de la maison et des terrains adjacents. Il n’y avait rien de prévu pour les autres petits enfants.

    Le chef Sagol était perplexe, les trois enfants étaient en partie déshérités au profit de Vanessa. Ginette Drochard bénéficiait du même traitement que les autres. Il posa une question à maître Radoin :

    – Maître, que savez-vous sur Ginette Drochard ?

    – Pas plus que vous je suppose. Les Drochard ne  se sont jamais exprimés sur le sujet, je pense qu’il s’agit d’un lourd secret de famille. Une chape de plomb s’est posée sur l’histoire. Je n’ai jamais eu l’impression qu’Antoinette et Germain Drochard souhaitaient éliminer leur fille de la succession. Ils n’en parlaient jamais.

    – Maître avez-vous une explication sur la préférence accordée à la jeune Vanessa ?

    – Oh ! Vous savez, il n’y a rien de cartésien dans tout ça, il s’agit d’un élan du cœur. Je rencontre fréquemment ce type de situation chez les personnes âgées. Parfois on veut punir quelqu’un, d’autres fois on souhaite favoriser. Il n’y a pas de vérité en la matière.

    Le gendarme Gilles demanda à maître Radoin si madame Drochard avait rédigé un testament.

    – Le voici messieurs.

    Le testament de Toinette avait été rédigé à l’étude de maître Radoin le même jour que celui de Germain. Le chef Sagol fut surpris par son contenu.

    – Il y a quelque chose qui vous chagrine monsieur Sagol ?

    – Oui maître, je ne pensais pas que madame Drochard possédait autant de terrains.

    – Elle a bénéficié d’un héritage et des legs d’un ami de sa famille.

    – Il y a longtemps maître ?

    – Une dizaine d’années.

    Le testament de Toinette reprenait les termes du précédent, mais il y avait des variantes très importantes. La quotité réservée était, elle aussi, partagée entre Régis, Martine et Ginette, ses trois enfants. En revanche, la moitié de la quotité réservée était attribuée à Vanessa et le reste était réparti entre Kévin, Franck et Hugues, les autres petits enfants. Les bijoux étaient partagés équitablement entre tous à l’exception de Ginette qui n’avait droit qu’à une bague de pacotille.

    Sagol inspira longuement.

    – Maître, que pensez-vous de celui-là ?

    – Monsieur Sagol, il est clair qu’un message est délivré à travers le bijou attribué à mademoiselle Ginette Drochard, mais je ne possède pas le code pour en déchiffrer la teneur.

    – Justement maître, savez-vous où se trouvent les bijoux?

    – Ici, dans mon coffre, je vais vous les montrer.

    – C’est surtout la bague dévolue à mademoiselle Ginette Drochard qui nous intéresse.

    – C’est celle-ci monsieur Sagol, vous voyez elle est en argent avec un camée.

    – Que représente le camée, maître ?

    – C’est une scène de la nativité, il s’agit de la vierge Marie avec l’enfant Jésus dans ses bras.

    – Je vous remercie, maître. Y-a -t-il eu des transactions ces deux dernières années?

    – Aucune messieurs.

    – Eh bien ! Je vous remercie de votre accueil maître, je ferai récupérer une copie des testaments la semaine prochaine.

    – Tout le plaisir a été pour moi, je vous fais raccompagner.

    Il appuya sur le bouton.

    – Veuillez reconduire ces messieurs.

    Monsieur Derhoux passa devant les gendarmes et les dirigea vers la sortie.

    – Au revoir messieurs.

    – Au revoir monsieur Derhoux.

    Le chef Sagol et le gendarme Gilles étaient perplexes. Le contenu des testaments n’avait pas éclairci le mystère.

    – Mon cher Gilles, je crois qu’il reste du chemin à faire avant que la solution nous éclaire.

    – Chef, il y a deux éléments troublants.

    – Oh oui, Gilles ! En premier lieu la bague, que veut-elle bien dire ? Je suis sûr qu’il y a un message posthume autour de ce bijou.

    – Je suis de votre avis, il serait intéressant de savoir si un ou plusieurs membres de la famille Drochard connaissaient la teneur des testaments.

    – En quelque sorte nous revenons à l’éternelle interrogation Gilles : le mobile du crime et à qui profite-t’il ?

    – C’est tout à fait cela, chef.

    – Nous devons entendre les enfants et les petits enfants avant que maître Radoin procède à la lecture des testaments à la famille.

    – J’organise les auditions, chef.

     

    Pendant que les gendarmes recoupaient leurs informations, le jeune avocat Gaël Raynaud était sur le chemin du retour. Il avait réalisé sa bonne action de la journée.& Youssef Bekrane avait été pris en charge par le centre de sevrage d’Hauteville. Arrivés devant l’établissement, Gaël eut peur de la réaction de son client. Le centre était une grande bâtisse sinistre entourée de hauts murs. Heureusement en cette saison, le parc était fleuri et ombragé. Youssef ne se plaignit pas, il était heureux que quelqu’un s’occupe de lui sans rien exiger en retour.

    Maître Raynaud aida Youssef pour les formalités d’admission. Il lui promit de venir le voir au moins une fois et de lui téléphoner au minimum une fois par semaine. Youssef lui demanda son numéro de portable. Gaël n’aimait pas le communiquer à ses clients, mais Youssef avait besoin d’être rassuré et valorisé. Il le lui donna en lui recommandant de ne pas le transmettre à d’autres personnes.

    Gaël avait juste le temps de se changer avant l’arrivée de Jane. Il enfila une chemise blanche sur un jean et des mocassins. Le TGV entra en gare à l’heure prévue, il était presque vingt heures. Jane descendit du train. Elle portait un jean moulant et un débardeur qui mettaient ses formes en valeur. Gaël se précipita dans sa direction, arrivé à sa hauteur, Jane posa son sac de sport sur le sol et lui passa ses deux mains autour du cou. Lorsqu’ils mirent fin à leur premier baiser, le quai était vide, leur voyage avait été merveilleux.

    Gaël, le premier, rompit le silence :

    – Jane vous…

    Elle lui mit un doigt sur la bouche.

    – Il y a quelque chose qui cloche Gaël, n’est-ce pas ?

    Gaël n’eut pas à réfléchir longtemps, au lieu de répondre ils s’embrassèrent de nouveau.

    A la fin du deuxième baiser, elle lui remit un doigt sur la bouche.

    – Oui Jane, je t’aime, je jette le « vous », Jane je t’aime !

    – Moi aussi je t’aime, je t’aime, je t’aim…

    Les mots furent étouffés par le bruit strident du freinage d’un train qui arrivait à quai. Gaël prit le sac de Jane et ils sortirent main dans la main. L’amour était sorti vainqueur, Jane et Gaël à ce moment précis étaient seuls au monde.

     

    Les gendarmes étaient à pied d’œuvre de bonne heure, ce lundi trois juin. La journée s’annonçait chargée. Le gendarme Gilles, aidé de ses collègues, avait réussi à contacter tous les enfants et petits enfants de Toinette et Germain, à l’exception de Ginette Drochard.

    Martine Bedel arriva la première accompagnée de son fils Hugues. Le chef Sagol la reçut d’abord en compagnie du gendarme Gilles. Sagol aimait bien la capacité d’analyse de son collègue.

    – Bonjour madame Bedel, je souhaite vous entendre au sujet de l’héritage et des biens de vos parents ?

    – Je suis à votre disposition monsieur.

    – Pourriez-vous me faire une description approximative des biens immobiliers de votre père ?

    – Maître Radoin pourrait vous le dire mieux que moi.

    – Nous avons rencontré votre notaire, madame Bedel, je répète que je souhaite une description de votre part.

    – Bien entendu, il y a la maison familiale, des terrains autour de la maison et d’autres disséminés dans d’autres hameaux près du village.

    – Je suppose que maître Radoin vous a informée que votre père avait rédigé un testament.

    – Je confirme, ma mère aussi je crois.

    – En effet. Vos parents vous avaient-ils fait part du dépôt chez le notaire?

    – Nous ne parlions jamais d’héritage ou d’argent.

    – Madame Bedel, auriez-vous une idée de la part qui vous revient ?

    – Pas le moins du monde monsieur.

    – Maître Radoin a inventorié les bijoux, pouvez-vous me décrire ceux que vous connaissez?

    Sagol espérait qu’elle parlerait de la bague avec le camée.

    – Vous me demandez beaucoup ce matin. Je me rappelle le collier en perles noires, offert pour le dernier anniversaire de maman ainsi qu’un collier en or tressé que je lui ai acheté pour ses quatre-vingt ans. C’est tout ce qui me vient à l’esprit pour le moment.

    – Parlez-moi des bagues madame Bedel . Je vois que vous en avez aux doigts ; votre mère en avait quelques unes?

    – Elles n’ont pas de grande valeur, ce sont seulement des bijoux de famille.

    – Une bague en argent avec un camée, ça vous dit quelque chose?

    Le gendarme Gilles observa un léger tressaillement chez Martine Bedel.

    D’un air le plus naturel possible, elle répéta :

    – Une bague en argent avec un camée tiens donc ! 

    Le chef Sagol haussa un peu la voix :

    – Vous connaissez ce bijou oui ou non, madame ?

    – Je n’ai jamais vu cette bague.

    Sagol n’insista pas davantage, il ne tirerait rien de plus. Il la remercia et la raccompagna dans le hall.

    Avant de prendre congé, madame Bedel, demanda au chef Sagol :

    – J’ai appris qu’un suspect était sous les verrous, est-ce exact ?

    – Ça l’était madame Bedel, la personne suspectée a été innocentée et remise en liberté vendredi. Je suis désolé. C’est d’ailleurs la raison de votre convocation, l’enquête continue jusqu’à la découverte du coupable.

    – Je vous remercie monsieur Sagol.

    Hugues Bedel prit immédiatement le relais. Le chef Sagol parla tout d’abord des bijoux. Il posa les questions différemment, en faisant une description des pièces. Il lui demanda à quelle occasion il avait vu ce bijou pour la dernière fois. Le fils Bedel apporta une réponse à chaque description, sauf bien sûr pour la bague au camée. A l’inverse de sa mère, il semblait ne pas connaître ce bijou.

    Le chef procéda de la même manière pour les autres biens. A l’aide d’une carte IGN bleue, il demanda à Hugues de lui situer les terrains. Le petit-fils connaissait bien le patrimoine foncier de ses grands-parents.

    Le chef Sagol le reconduisit vers la sortie, madame Bedel l’attendait.

    Le gendarme Gilles et le chef firent le point. Ils avaient repéré la réaction de Martine Bedel au sujet de la bague au camée. Concernant le partage des biens, la mère et le fils n’étaient pas au courant des surprises dont maître Radoin serait le grand ordonnateur.

    A neuf heures et demie, Régis Drochard se présenta, il était venu avec Franck, son fils aîné. Le chef Sagol les prit en charge et il commença par entendre Franck Drochard. Ce dernier connaissait bien le patrimoine de ses grands-parents. En revanche, il ne put donner de détails sur les bijoux de sa grand-mère.

    Régis Drochard réagit de la même manière que sa sœur. La bague au camée avait une histoire, Sagol et Gilles voulaient la connaître. Gilles demanda à Régis Drochard pourquoi il avait pâli lors de la description du bijou par le chef Sagol. Régis Drochard lui répondit qu’il avait mal dormi et que c’était une réaction de fatigue. Personne n’était dupe, les attitudes du frère et de la sœur trahissaient l’existence d’un secret.

    Le patrimoine foncier était bien connu de Régis Drochard, mais il n’avait aucune hypothèse concernant les testaments. Il ajouta que ses parents avaient décidé, en leur âme et conscience, et il respecterait leur décision.

    Le chef Sagol s’excusa de l’avoir dérangé et l’informa de la libération de monsieur Youssef Bekrane. Régis Drochard l’assura de sa pleine confiance.

    Régis et Franck Drochard quittèrent les locaux, au moment où Kévin et Vanessa arrivaient. Ils firent un signe à leur père et à leur frère.

    Kévin n’apporta pas d’élément intéressant. La description qu’il fit du patrimoine prouvait qu’il n’y accordait pas un grand intérêt. Toutefois, la bague au camée lui inspira une réflexion :

    – En ce temps-là, il y avait de l’académisme.

    Le gendarme Gilles lui demanda d’expliciter son propos.

    – Une bague avec un camée, c’est un bijou qui ne se fait plus de nos jours. Je pense qu’il a dû appartenir à un de nos ancêtres.

    Kévin, contrairement à son père et sa tante, était décontracté . Sagol et Gilles, habitués à l’interrogatoire de suspects, le considéraient comme un garçon bien dans sa peau et certainement pas comme un assassin en puissance.

    Vanessa fit un grand sourire à son frère en entrant dans le bureau.

    D’emblée, Sagol demanda à Vanessa si elle aimait les bijoux.

    – Comme la plupart des femmes je suppose, monsieur Sagol ?

    – Quel type de bijou préférez-vous, mademoiselle ?

    Vanessa ne voyait pas bien où le gendarme voulait en venir.

    – L’élégance a ma préférence.

    – Oui, mais si vous aviez à choisir entre un collier, un bracelet ou une bague, quel serait votre choix ?

    – Je ne sais quoi vous répondre, il me faudrait voir chaque pièce.

    – Connaissez-vous les bijoux de votre grand-mère ?

    – Un peu, elle me les montrait de temps en temps.

    – Etes-vous capable de me les décrire ?

    – Tous, je ne peux pas.

    – Les bagues par exemple, mademoiselle Drochard ?

    – Grand-mère avait surtout des bagues anciennes, des bijoux de famille.

    – Une bague en argent avec un camée ?

    – Oh! Il y a longtemps que je ne l’ai pas vue celle-là. Je croyais qu’elle était perdue.

    – Vous la connaissez ?

    – Oui, elle est même attachée à un souvenir d’enfance.

    – Quel souvenir ?

    – Je ne pense pas que ça puisse vous passionner, mais je vais tout de même vous raconter ce qui s’est passé . Je devais avoir cinq ou six ans, j’étais en train de m’amuser dans la salle à manger de mes grands-parents. J’étais curieuse et j’avais vidé un tiroir du buffet. Je m’amusais avec tout ce que j’avais trouvé. Il y avait cette bague et je l’avais mise à un doigt, bien sûr elle était trop grande. Lorsque ma grand-mère me trouva assise devant le buffet, son sang ne fit qu’un tour. Elle m’arracha la bague, en me faisant mal au doigt, elle me cria après comme jamais personne ne l’avait fait.

    – Pour quelle raison votre grand-mère Toinette, d’ordinaire douce et calme, s’est-elle mise dans  une telle colère mademoiselle ?

    – Je ne me suis jamais posé cette question. J’ai beaucoup pleuré ce jour-là et puis j’ai oublié. C’est vous qui  avez fait ressurgir le souvenir de cet incident.

    – Vous n’avez jamais revu ce bijou ?

    – Jamais monsieur Sagol.

    – Avez-vous une idée de la teneur des testaments de vos grands-parents ?

    – Non, c’est leur décision et puis ils ont trois enfants, alors les petits enfants en principe nous n’aurons que des souvenirs.

    – Vous semblez le regretter, dit le gendarme Gilles.

    – Pas du tout, c’est dans la logique de la vie. Vous savez les questions d’héritage ne sont pas mon souci.

    – Ce sera tout mademoiselle Drochard, je vous remercie beaucoup.

    – De rien messieurs, c’est votre travail et j’espère de tout cœur que le coupable sera puni.

    Vanessa rejoignit son frère, il montèrent ensemble dans la voiture de Kévin.

    Le chef Sagol et le gendarme Gilles avaient un petit indice. La bague au camée était un sujet tabou dans la famille Drochard. Vanessa était la seule, parmi ceux qui connaissaient ce bijou, à s’exprimer librement. Malheureusement, la petite n’en savait pas davantage.

    – Avez-vous remarqué, chef que cette bague n’était pas avec les autres bijoux ? Elle se trouvait au fond d’un tiroir.

    – Absolument, c’est un signe qui ne trompe pas. J’ai une toute petite idée là dessus.

    – Moi aussi chef, mais ce n’est qu’une intuition.

    – Je crains Gilles, qu’une fois de plus, notre raisonnement soit le même ?

    – Chef, cette bague a un rapport avec Ginette Drochard.

    – D’autant plus qu’elle lui revient dans le partage des biens du testament de Toinette.

    – Nous aurons du mal à en savoir davantage, chef. Il faut que nous regardions dans les albums de famille, la réponse se trouve peut-être sur la main de Toinette.

    – Vous avez raison, il faut visionner toutes les photos de Toinette et Germain.

     

    Pendant que Sagol et Gilles auditionnaient Vanessa Drochard, le directeur de l’agence bancaire avait laissé un message à l’intention du chef Sagol. le coup de fil avait été traité par le gendarme de permanence. Le contenu était bref : «  A l’attention de l’adjudant chef Sagol, le dossier est prêt. ».

    En effet, Sagol attendait une réponse de la banque. Il avait demandé, depuis le début de l’enquête, une copie des comptes de la famille Drochard, ainsi que les mouvements des douze derniers mois. Le directeur de l’agence était un homme charmant, il avait transmis la réquisition du juge au siège régional. Le responsable juridique était absent pour quelques jours et il avait fallu attendre son retour.

    Le chef Sagol regarda sa montre, il était presque midi. Il décrocha rapidement le téléphone et appela le directeur de l’agence.

    – Allô ! Monsieur Dacruz s’il vous plaît, de la part de l’adjudant-chef Sagol.

    – Je vous le passe, ne quittez pas.

    – Allô ! José Dacruz, bonjour monsieur Sagol.

    – Bonjour monsieur Dacruz, vous fermez bientôt ?

    – A douze heures trente, monsieur Sagol.

    – Puis-je venir récupérer les documents et vous voir cinq minutes?

    – Je vous attends, monsieur Sagol.

    – Entendu, à tout de suite.

    Le chef Sagol partit aussi vite que possible. Trois minutes plus tard, il était dans le bureau de monsieur Dacruz.

    – Bonjour monsieur Sagol, comment allez-vous ?

    – Bien monsieur Dacruz, avec les beaux jours que nous avons, et vous ?

    – La crise nous préoccupe. Ici, l’emploi est rare et, pour une banque, le plein emploi est une source d’affaires.

    – Je vous comprends, c’est le même constat pour la délinquance.

    – Monsieur Sagol, j’ai la copie des comptes des époux Drochard, ainsi que ceux des enfants et petits enfants. Nous avons la chance d’avoir gardé toute la famille dans notre clientèle.

    – Je vous remercie, qu’avez-vous de significatif à me dire ?

    – Pas grand chose, hormis un retrait en liquide de deux mille euros, effectué par monsieur Germain Drochard, quelques jours avant le meurtre.

    – Avez-vous une idée de l’emploi de cette somme.

    – J’ai demandé à la guichetière. Pour les retraits importants, nous sondons toujours le client, afin de lui proposer éventuellement une solution équivalente à la concurrence,. Monsieur Drochard lui a déclaré que c’était pour un achat payable en liquide.

    – C’est tout ce qu’elle a appris, monsieur Dacruz ?

    – Oui, avec ce type de réponse de la part du client, nous n’insistons pas.

    – Concernant madame et monsieur Bedel, que pouvez-vous me raconter ?

    – Vous n’avez que les comptes du ménage. Les mouvements sur le compte de l’entreprise sont d’un tout autre volume et nécessitent une expertise.

    – Seuls les comptes du ménage ont un intérêt à ce stade de l’enquête.

    – Je n’ai rien remarqué de différent d’un mois à l’autre, l’ensemble me semble en adéquation avec leur train de vie.

    – Entendu et les petits enfants ?

    – Je vais vous décevoir, mais les enfants de Régis ont des dépenses conformes aux gens de leur âge. Hugues Bedel bénéficie d’un virement automatique de ses parents tous les mois. Ils font virer cette somme à une banque partenaire à Osaka.

    – Et les comptes d’épargne et autres placements?

    – Il n’y a pas eu d’opérations ces derniers mois. Maître Radoin a fait procéder au blocage de l’ensemble des comptes de madame Antoinette et monsieur Germain Drochard.

    – Je vous remercie pour tous ces renseignements, monsieur Dacruz, je vous souhaite un bon appétit et je vous dis à bientôt.

    – Pareillement monsieur Sagol, comme on dit : il n’y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas !

    Le chef Sagol constatait que, depuis la visite chez maître Radoin, chaque audition apportait une révélation. Il fallait retrouver la trace des deux mille euros retirés par Germain la semaine qui précédait l’assassinat.

     

    Le chef Sagol, accompagné de Liard, se rendit en début d’après-midi au domicile de Toinette et Germain. Les gendarmes n’avaient pas encore restitué les clés à la famille.

    Comme à l’accoutumée, la porte d’entrée fut difficile à ouvrir. Le chef Sagol eut une impression désagréable en pénétrant dans la cuisine. Il se sentait oppressé, l’atmosphère lui semblait pesante. Liard lui confessa un trouble semblable.

    Les deux hommes se dirigèrent vers la salle à manger, Sagol se rappelait parfaitement où se trouvaient les photos. Elles étaient rangées dans une boîte à chaussures et l’album sur une étagère du buffet. Le chef Sagol s’empara de la boîte, le gendarme Liard prit l’album. D’un coup d’œil circulaire, Sagol s’assura qu’il n’y avait pas d’autres photos de Toinette dans un cadre, aux murs ou sur un guéridon. Il n’y en avait pas d’autres. Les deux hommes fermèrent la porte et revinrent à la gendarmerie.

    Il y avait un nombre conséquent de photos. La boîte à chaussures était pleine d’images en noir et blanc et en sépia, les photos en couleur se comptaient sur les doigts des deux mains.

    Gilles se joignit à eux, pour visionner les tranches de vie fixées sur pellicule. La consigne était claire : ne garder que les photos où les mains de Toinette étaient en évidence. Quelques minutes plus tard, la boîte était vide. Plusieurs tas important avaient été fait, un seul contenait une trentaine d’images. Les gendarmes réintégrèrent dans la boîte les clichés sans intérêt pour leurs recherches.

    Sagol, quant à lui, avait glissé un bout de papier journal qui dépassait de l’album, c’était la marque d’une photo de Toinette.

    – Messieurs, leur dit-il, regardez bien les mains de Toinette, nous cherchons la bague en argent avec un camée. Si l’image vous pose un souci, mettez-là de côté, nous la regarderons avec une loupe.

    Les trois hommes se partagèrent la tâche. Il ne resta que huit photos de la boîte et  deux dans l’album.

    – Maintenant messieurs, il nous faut dater ces photos.

    Liard montra au chef Sagol le dos des images. La plupart possédaient une inscription manuscrite précisant le lieu et la date du cliché.

    Le chef Sagol extirpa de l’album les deux photos de Toinette portant la bague au camée. Il prit les huit autres et les aligna par ordre croissant de date.

    – Messieurs, les dix photos que nous avons devant les yeux ont été prises entre mille neuf cent cinquante et mille neuf cent soixante-cinq.

    – Oui chef, il n’y en a aucune en couleur, ajouta Liard.

    – Il faudrait savoir pourquoi il n’y en pas avant et après ces deux dates, dit Gilles.

    – Messieurs, reprit Sagol, procédons par ordre. Quel événement s’est-il produit en mille neuf cent cinquante? Gilles, je vous écoute.

    – La naissance de Ginette Drochard.

    – Je suis d’accord. Et en mille neuf cent soixante-cinq ?

    – La naissance de Stéphanie de Monaco. Je crois que j’ai dit une connerie, rectifia Liard.

    – Merci ça détend, mais je ne suis pas sûr que cette jeune personne connaisse Toinette et Germain, ajouta Sagol.

    Gilles prit la parole :

    – A supposer que la première date soit en rapport avec Ginette, pourquoi quinze ans après il n’y a plus de photos ?

    – Je vous le demande, messieurs ?

    – Ça ne colle pas avec le départ de Ginette pour l’Afrique, remarqua Gilles.

    – En effet, Ginette est partie en Afrique en mille neuf cent soixante-treize, ça ne colle pas, répéta Sagol.

    Le gendarme Gilles n’en démordait pas :

    – Chef, je reste convaincu qu’un événement s’est produit en soixante-cinq.

    – Messieurs, en ce qui concerne la piste familiale, nous devons trouver une réponse pour chacune des questions suivantes : quelle est la provenance de la bague au camée ? Pourquoi Toinette ne l’a plus portée après l’année soixante-cinq ? A quoi ont servi les deux mille euros retirés par Germain une semaine avant le meurtre ? Celui qui trouvera les trois réponses aura droit à ma considération éternelle.

    Le gendarme Gilles revint sur la bague au camée :

              Ce qui semble aller à l’encontre de notre hypothèse familiale, est que l’assassin n’a pas fait disparaître ce bijou.

    Sagol informa ses collaborateurs :

    – Messieurs, je rencontre demain le responsable de la société « Plein Soleil », entreprise de pose de vérandas, volets et fenêtres en PVC. Il faut en savoir plus sur cette boutique.

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