Répondre à : KELLER, Richard – Le Huitième Soleil

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#152091
Richard KellerRichard Keller
Participant

    I

    Ils m’avaient déclaré irresponsable de mes actes. Ils prétendaient que j’étais anormal. Qui étaient-ils pour juger ma personne ? Qui étais-je pour mériter cela ? Ils s’étaient réunis pour statuer sur mon cas. Les blouses blanches aux crânes dégarnis veillent sur la société ; celles aux crânes bien remplis protègent le citoyen. Il existe toujours un chef dans un groupe. Avec sa blouse blanche différente, il était entouré de ses disciples. Il aurait pu s’appeler Dieu, si la place n’avait pas déjà été prise. Aussi, il dut se contenter du titre de professeur. Il parla à voix basse à ses apôtres. Ensuite, seulement, il s’adressa à moi. Recroquevillé dans mon coin, je ne le regardai pas. Nos yeux n’avaient rien à se dire, à quoi bon soulever les paupières ? Albert Péruchet dominait ses sujets de son mètre soixante-deux. C’était un ami d’enfance de mon père et, à ce titre, il avait accepté de m’accueillir dans son établissement. Comme mon cher papa, il faisait partie de ces hommes qui n’ont jamais eu d’âge. Ils sont vieux dès la naissance. Depuis des mois, je noircissais des pages pour témoigner de mon histoire. Le professeur avait consenti à me fournir des cahiers à spirale. J’écrivais du matin au soir sans relâche. Je n’avais pas besoin de réfléchir. Pour relater la vérité, il suffit de restituer son vécu. Ces souvenirs permettront d’éclairer mes contemporains et de comprendre mon comportement. Albert Péruchet lisait chaque jour les pages remplies la veille. Il prétendait que cela l’aidait à mieux cerner ma personnalité perturbée. Par prudence, je ne mentionnais pas tout. Je procédais souvent par paraboles et sous-entendus. Je consignais les évènements compréhensibles aux blouses blanches. J’étais quotidiennement interrogé sur les faits que j’ai abordés précédemment. Je persistais dans mon attitude, je ne disais rien. Eux papotaient à l’intérieur de leur cercle, ils mesuraient mon évolution. L’expatrié vous aurait développé ma vie mieux que je ne le fais. Lorsque le huitième soleil disparaîtra, je m’en irai. Il possède l’intelligence des êtres supérieurs. Je sais que le temps ne m’appartient pas. Je vole un peu du vôtre pour vous conter mon aventure. Mes carnets ouvrent le chemin vers une autre vérité, les sentiers de ma connaissance. Un matin, Albert Péruchet s’abstint de me rendre visite. Cela s’avérait inhabituel de sa part. Je ne tardai pas à trouver la réponse à mes interrogations. Le professeur absent, ses disciples défilèrent dans mon réduit capitonné. Ils portaient tous un morceau de crêpe noir accroché par une épingle à nourrice à la poche de leur blouse. Je compris que je ne verrai plus Albert Péruchet. Une malencontreuse faiblesse de son coeur marqua la fin de son parcours médical. Une ère s’achevait, une autre commençait. Ma vie en cellule changea radicalement. L’équipe des disciples ne passa qu’épisodiquement. Je fus souvent en rupture de feuilles blanches. Je n’osais pas trop insister, car ils pouvaient supprimer arbitrairement l’approvisionnement. Après une période de flottement, que j’évaluai entre quinze et vingt jours, un nouveau chef émergea du groupe. Il s’appelait Lionel Bourdin et ressemblait à Albert Péruchet jeune. Lionel Bourdin faisait partie de l’ancienne garde rapprochée. Il décida de me rencontrer une seule fois par semaine. Il opta pour un traitement médicamenteux qui m’infligea souvent des maux de tête. Je n’avais rien à lui dire de plus. Il ne regardait plus mes cahiers qui s’empilaient dans un coin de la pièce. À cette période, ils m’attachaient fréquemment avec une camisole. De ce fait, j’écrivais moins. Les jours s’égrenaient dans l’isolement le plus total. Aucune nouvelle ne me parvenait de l’extérieur. L’expatrié m’a quitté au plus fort de la tempête. Je ne lui en veux pas. Il m’a fait vivre des moments merveilleux. J’étais au bout du processus, peu m’importe la suite des évènements. Je savais qu’ils me considéraient comme un illuminé dangereux. Je dérangeais l’ordre établi. Trop de théories fumeuses s’envoleraient. Je tenais à laisser mon témoignage. L’anormalité arrange tout le monde. Grâce à ce subterfuge, ils pouvaient agir en toute impunité et en bonne conscience. Ils ne me comprendront jamais. Leur esprit s’avérait cerné par l’étroitesse du raisonnement. J’attendais un signe de l’expatrié pour rejoindre le huitième soleil au pays du bonheur permanent.


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