Accueil › Forums › Textes › KELLER, Richard – Le Huitième Soleil › Répondre à : KELLER, Richard – Le Huitième Soleil
VII
Isabelle fut séduite par ma personnalité et mon itinéraire atypique l’interpella. Il est vrai que son parcours de jeunesse différait sensiblement du mien. Ses fréquentations n’évoluaient pas dans le même registre que les miennes. Adepte des sensations fortes, elle trouvait chez moi une terre vierge à explorer. Elle mit tout en oeuvre pour me conquérir. Avant tout, je succombai à sa beauté. Elle me prit sous son aile. Quelques mois plus tard, nous vivions ensemble. Sa célébrité nous obligeait à mener une vie particulière. Elle usait de mille stratagèmes pour semer les opportuns. La société de production détacha en permanence des gardes du corps à son service. Je n’avais jamais connu ce type de rapport avec le public. Ma notoriété musicale n’atteignait pas la renommée d’Isabelle Rivet. Cette existence sous protection requérait une organisation où le hasard n’avait pas sa place. Elle fonctionnait avec un agenda dans la tête. Les moments les plus intimes s’inséraient dans le planning et je suivais le mouvement. Comme un petit garçon docile, j’évoluais sous l’emprise de ma maîtresse. Je crois que mes années d’institutions m’aidèrent à intégrer ce mode de fonctionnement. Isabelle se révélait plus encore sous les draps. La différence d’âge lui procurait un avantage indéniable dans ce domaine et son appétit faisait le reste. Il fallait donner à la tigresse sa ration d’émotion. Ses hormones exigeaient et je me dévouais. Il ne s’agissait pas d’un supplice. Le plaisir se dévoilait à moi à des niveaux insoupçonnés. Je rencontrai ce qu’il convient d’appeler le Tout-Paris. Isabelle fréquentait un microcosme qui pratiquait l’autosatisfaction à haute dose. Je mis quelques semaines pour en assimiler tous les codes. Cet univers-là possédait ses préceptes. Il vénérait une égérie qu’il pouvait rejeter sans pitié à l’issue d’un revirement de tendance. Nous évoluions dans une société superficielle et impitoyable. Dans ce périmètre très délimité se côtoyaient des hommes politiques, des artistes, des noctambules et des paumés du petit matin. Cet agrégat hétéroclite s’appelait le monde de la nuit. Durant ces soirées sans fin, Isabelle buvait beaucoup. Elle évacuait le stress de son métier à sa façon. Le cannabis circulait à profusion autour de nous et Isabelle fumait des joints. Elle trouvait toujours une âme charitable pour lui en rouler un. Elle n’en achetait jamais, pourtant les dealers ne manquaient pas. Cependant, elle ne voulait pas risquer sa carrière pour détention de shit. Elle préférait consommer immédiatement. J’ai essayé une seule fois d’accéder à ces paradis artificiels. Ma soirée s’est terminée aux urgences d’un hôpital parisien. La leçon m’a servi, j’ai laissé ça aux autres. Isabelle m’emmenait dans des endroits que la morale réprouve. Dans des appartements luxueux, une amie recevait quelques couples. La plupart portaient des masques et se livraient à des jeux pervers. Pour pimenter le tout, les combinaisons variaient : couples, trios et parfois plus. Souvent, dans la soirée, un homme ou une femme se trouvait désigné par le groupe. Chaque participant obligeait alors l’élu à exécuter ses fantasmes. Je ne raconterai pas ce que j’ai vu. Pour l’anecdote, un ministre avait déambulé seul avec une grosse plume dans le cul. Elle comprit que ces distractions de blasés ne m’amusaient guère. La première fois, le spectacle m’intéressa. Après quelques séances, il me donna la nausée. Je dus me rendre à l’évidence, c’était sa façon de vivre. Le monde de la nuit fonctionne avec ces interdits. Ses acteurs croient réaliser un exploit en bravant la morale et la bienséance.