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XII
– Chez nous, huit soleils illuminent la contrée, me déclara l’expatrié, la nuit n’existe pas. Lorsqu’un astre se cache, un autre prend le relais. Il en a toujours été ainsi.
Ces déclarations m’amenèrent à poser de nombreuses questions. Il connaissait le soleil de minuit. Je lui parlai de ce phénomène, mais il trouva banal ce cycle solaire. J’essayai de me mettre à sa place. Malheureusement, je ne possédais pas suffisamment d’éléments sur son univers.
Je réfléchis longtemps à l’ordonnancement des huit astres. La difficulté résidait dans le schéma. Je raisonnais sur des bases académiques pour répondre à une situation inédite. Mon obsession alimentait le casse-tête. Seul l’expatrié pouvait dénouer l’écheveau inextricable de ma pensée. Mon impuissance lui fit de la peine, aussi il reprit ses explications en y mettant plus de pédagogie.
Je compris enfin ce qu’il voulait me dire. Nous n’étions plus dans la même dimension. L’expatrié s’employa alors à réduire son univers. Nous réussîmes à miniaturiser son monde et il devint plus petit qu’un grain de sable. Une ampoule de lampe torche représentait un soleil, voici que je me hissais à sa hauteur.
L’expatrié m’obligeait à revoir mon raisonnement. Il m’entraînait sur une route particulière. Il me guidait sur un chemin initiatique. Ici, commençait une autre quête. Il souhaitait me parler des fondements des sociétés humaines. Je pris peur face à la force de son intelligence. Malgré le rétrécissement des soleils, j’admis qu’il évoluait à un niveau supérieur.
L’étude du pouvoir, de la vanité, de la religion, de la hiérarchie nous permet d’éviter de commettre des atrocités. Il aborda ces thèmes à sa manière. Il commença par m’expliquer le but recherché. Ensuite, il me commenta les enseignements qu’il avait tiré de son observation et je reconnus le bien-fondé de son analyse. Il lamina le pouvoir sous toutes ses formes. La vanité engendrait le conflit, il fallait l’éradiquer. La religion, sous un emballage de bonté, représentait l’asservissement. La hiérarchie créait d’autres sentiments pervers, l’ambition et la jalousie arrivaient en tête. Je dus admettre que son jugement éclaira mon esprit d’une lumière plus profonde.
Nous n’utilisions pas le langage au sens où on l’entend généralement. Nous communiquions par ondes en permanence. Nos pensées étaient communes, nombreuses et simultanées. Je ne savais pas comment restituer nos propos sur mes cahiers à spirales. Ainsi, je décidai d’écrire les mots de l’expatrié.
Il ne m’avait jamais parlé de ses semblables. Je ne parvenais pas à imaginer des contemporains débitant un flot ininterrompu de phrases et encore moins un continent émettant une opinion identique au même instant. Je reconnus ma faiblesse, l’expatrié s’avérait supérieur à n’importe lequel d’entre nous.
Il me lâcha une nouvelle information qui me déclencha une migraine. Je dus m’employer pour décortiquer le sens que l’expatrié lui donnait. Il me déclara qu’ici-bas, sur terre, leurs missions étaient temporaires à l’inverse de leurs existences. J’en déduisis qu’il possédait l’immortalité et qu’il existait d’autres expatriés à proximité. Cette révélation revêtit un double aspect et j’éprouvais un mélange d’intérêt et de crainte.
Je compris l’intelligence des expatriés. Ils savaient que mes divulgations éventuelles ne pourraient être validées. Leur choix était judicieux. J’hésitais, je n’arrivais pas à affirmer avec certitude leur dessein. À ce stade de notre relation, l’angoisse prit le dessus. L’expatrié perçut ce changement. Il préféra revenir sur des sujets qui ne portaient pas le germe du quiproquo. Il m’accorda un repos bien mérité. Je dormis plus de douze heures d’affilée. Mes nerfs avaient été mis à rude épreuve.