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#152118

XXVIII

Gilles et Sagol méditaient sur les résultats de l’autopsie. L’aspect croustillant

de l’affaire étant désormais évacué, ils réfléchissaient sur d’autres éléments. Le

corps de l’inconnue du campanile ne portait aucune trace de sévices. Ses ongles des

pieds et des mains laissaient supposer un entretien fréquent. Le légiste avait

d'ailleurs précisé qu’ils avaient fait l’objet de soins deux jours auparavant. Ils

envisagèrent de visiter les instituts de beauté vénitiens, mais ils émirent cette idée

sans grande conviction. Cette piste pouvait s’avérer pertinente seulement si la

victime habitait Venise ou si elle séjournait depuis plusieurs jours dans la lagune.

Une logique identique les amena à évoquer le bronzage intégral de la jeune

femme. Un tel hâle ne pouvait être obtenu que dans une cabine. Décidément, se

dirent les enquêteurs, les salons de soins corporels et d’esthétique bénéficiaient

d’une fréquentation assidue de « la geisha ». Après la découverte des boules dans

l’intimité de la victime, les Italiens l’avaient rapidement rebaptisée.

Sagol aimait les situations délicates, il se sentait bien là où les autres

commençaient à douter. La difficulté des enquêtes lui procurait un supplément

d’adrénaline et la pression augmentait ses capacités. Gilles appréciait également les

investigations difficiles, cela pimentait sa vie et il adorait cette facette de son métier.

Les deux gendarmes s’attaquaient à présent à un sacré plat de résistance et ils

venaient d’absorber la première bouchée. Il leur faudrait digérer tout le reste et

arriver à identifier la composition de l’assiette.

Le commandant Licci marmonnait dans un coin de la pièce, son

tempérament latin s’exprimait à travers ses gestes. Malgré ses mimiques, sa

perplexité se percevait aisément. Le brave homme donnait des ordres, mais dans

son for intérieur, il évoluait dans le brouillard le plus complet. Sa position de

meneur l’empêchait de reconnaître l’impuissance de ses services devant ce crime

insolite. Il faisait de grands moulinets avec ses mains, mais personne n’était dupe. Il

convenait de reprendre l’enquête depuis le début et de revoir certaines auditions.

Les recherches effectuées auprès du personnel des hôtels ne semblaient pas

satisfaisantes. Deux équipes différentes repartirent à zéro et entreprirent un travail

de fourmi. Licci ne comprenait pas. Il devait bien exister un garçon d’étage ou un

portier qui avait remarqué le comportement particulier de certains clients. Le retour

d’informations paraissait trop lisse pour être acceptable.

Le commandant mesura immédiatement le danger de son initiative. Il s’avéra

fin stratège et désamorça sur-le-champ la mine qu’il venait de poser. Il expliqua que

la permutation des groupes permettrait une approche différente et servirait la

recherche de la vérité. Afin de ne pas désavouer ses hommes, il confia aux anciens

le soin de recueillir des indices auprès des salons de beauté de la cité. Le chef se

révéla convaincant et chacun repartit plein d’espoir à la conquête de révélations

décisives.

Les deux Français se penchèrent de nouveau sur les photos du visage de

l’inconnue, scrutant les moindres détails. Gilles fit une remarque concernant les

oreilles de la femme blonde. Il remarqua l’absence de boucles malgré le double

piercing à chaque lobe. Ils épluchèrent le compte-rendu du légiste, aucun

commentaire ne faisait état de ce constat. Ils demandèrent au commandant Licci de

faire procéder à une expertise supplémentaire afin d’éclaircir ce point.

La réponse du responsable du service médico-légal intéressa vivement les

policiers. L’examen confirma ce que supposait Gilles, la victime portait souvent des

boucles et notamment peu avant son décès. Une question taraudait Licci et les

Français. Pour quelle raison n’arborait-elle pas ces bijoux ?

Sagol montrait des signes d’impatience. Le visage de cette femme lui semblait

familier, mais il n’arrivait pas à mettre de l’ordre dans ses souvenirs. Il souffla à

Gilles qu’il se souvenait d’une émission de télévision. Ce dernier adhérait également

aux propos de son ami, cette blonde faisait très certainement partie du paysage

audiovisuel. Ils dressèrent l’inventaire des jolies plantes du petit écran, éliminèrent

quelques potiches, mais ne parvinrent pas à poser un nom sur l’inconnue du

campanile. Les deux hommes décidèrent d’employer les grands moyens. Ils

téléphonèrent à Paris et envoyèrent une photo par Internet.

Trois minutes plus tard, un cliché apparaissait sur l’ordinateur du

commandant Licci. Un article dans un journal du soir parlait d’Isabelle Rivet, la

jeune présentatrice pressentie pour animer une émission de téléréalité en prime

time. Elle ressemblait trait pour trait à la victime, « la geisha », comme la

surnommaient désormais les Italiens. Il s’agissait bien de la même personne et elle

portait des pendentifs aux oreilles. Gilles apporta l’entrefilet au commandant Licci

et le commenta. Ce dernier demanda aux deux hommes de faire procéder à des

analyses ADN de parents proches de la défunte.

Le lieutenant Gilles contacta la cellule de recherche et précisa que cette

opération devait être réalisée dans le plus grand secret et à l’insu de la famille. Les

gendarmes répondaient à ce type de demandes plusieurs fois par mois. Il suffisait

de récupérer un mégot ou une feuille de papier et le tour était joué. Gilles leur

adressa une autre requête, il désirait plusieurs photos montrant Isabelle Rivet avec

des boucles d’oreilles.

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