Répondre à : KELLER, Richard – Le Huitième Soleil

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#152119

XXIX

La geisha du campanile venait de révéler son identité aux enquêteurs. Il ne manquait que les résultats des tests ADN et un nom pourrait être inscrit sur le tiroir de la chambre mortuaire. Trente heures s’étaient écoulées entre le crime et la révélation de l’identité de la belle blonde. Licci et ses hommes ne perdirent pas leur temps. Le commandant savait que les énigmes policières se résolvaient dans les premiers jours ; chaque tour de cadran les éloignait de la découverte de la vérité. La notoriété médiatique d’Isabelle Rivet s’arrêtait aux frontières de l’hexagone. Ici, elle n’était qu’un cadavre rangé dans un casier en attendant de terminer dans un cimetière. Les Italiens voulaient temporiser le plus longtemps possible avant d’autoriser le transfert du corps en France. Ils pouvaient ainsi agir à leur guise. De plus, les autorités françaises n’avaient toujours pas formulé de demande de rapatriement. Un autre travail commençait. Les enquêteurs devaient à présent reconstituer les dernières heures de l’emploi du temps de la victime. Ils espéraient qu’elle figurait sur la liste des clients d’un hôtel, mais les policiers en doutaient. Les célébrités utilisaient rarement leur patronyme et se cachaient derrière des noms d’emprunt très ordinaires. Toutefois, Gilles obtint un renseignement intéressant concernant le compagnon d’Isabelle Rivet à Paris. Il se nommait Rodrigue Bonifay et accusait dix années de moins qu’elle. Ils s’étaient rencontrés sur un plateau de télévision où le pianiste virtuose avait témoigné de sa difficulté à s’insérer dans la société. Personne n’avait aperçu le jeune homme depuis le jeudi ou le vendredi précédent. Les enquêteurs apprécièrent ce détail. Il impliquait que si les amants étaient venus ensemble à Venise, ils étaient arrivés le vendredi ou le samedi matin. Ils décidèrent d’interroger le personnel des deux trains de nuit en question et de l’aéroport, la situation aisée de la victime lui permettait de voyager en avion. L’interrogation principale résidait sur le choix du lieu de séjour de la geisha. Dans quel hôtel avait-elle choisi de se poser ? Une synthèse s’avéra nécessaire afin de mettre de l’ordre dans la collecte d’informations. Le commandant Licci, en accord avec sa hiérarchie et les gendarmes, partagea le dossier en deux parties distinctes. Les recherches en Italie et plus particulièrement à Venise et dans la lagune et les investigations françaises, notamment à Paris, qu’il confia à Sagol et Gilles. Ces derniers effectuèrent leurs préparatifs et prirent congé de leurs confrères vénitiens. Néanmoins, leur séjour était seulement interrompu et non écourté. Ils reviendraient dès que l’affaire aurait livré son coupable et dévoilé tous ses secrets. Ils empruntèrent le même train que Rodrigue, vingt-quatre heures séparaient désormais les trois hommes. Le convoi se traîna dans la première partie du parcours, le manque de confort et d’hygiène agaça les deux amis. Par économie, probablement, le nettoyage des compartiments se révéla superficiel, des immondices jonchaient le sol çà et là, dans les moindres recoins. C’était souvent le lot des destinations prisées ou l’optimisation des moyens primait sur toute autre considération. Ils s’endormirent très tard, après avoir passé deux longues heures à récapituler les démarches à entreprendre dès leur arrivée. Lorsqu’ils poseraient un pied sur le quai, un dur labeur commencerait. Gilles déploierait les effectifs de la cellule de recherche et travaillerait en binôme avec son ancien chef devenu en la circonstance son subordonné. Ils ne fonctionnaient plus de façon hiérarchique, la complicité et l’efficacité les guidaient. Ils s’emploieraient à passer au crible la vie de la victime. Ils s’attendaient à quelques trouvailles, mais rien de nouveau ne pouvait les alarmer. Tous les deux en avaient tellement vu durant leur carrière, qu’ils ne s’égaraient pas sur un détail croustillant. Cela faisait partie des règles du jeu et donnait du piquant à leur métier. La rencontre des proches d’Isabelle Rivet devait permettre de cerner un peu mieux la personnalité de la colombine. L’enquête de voisinage et l’audition de ses fréquentations compléteraient les investigations des deux complices. Il faudrait aussi décortiquer les habitudes, bonnes et mauvaises, de la jeune femme. Rien ne devait laisser place au hasard, il convenait d’agir en spécialiste. En outre, le secret le plus absolu prévalait. Les deux hommes décidèrent de traiter cette affaire sans aucune aide. Cela s’avérait le meilleur moyen d’éviter les fuites. Ils allaient interroger les proches et les amis de la défunte sur ses comportements sexuels et ses déviances. Toutefois, ils tairaient la découverte des boules de geishas, qui ne devait pas ternir la mémoire de l’ex-icône des médias. Les deux gendarmes jugeaient parfois préférable d’enfouir certaines vérités sous des tonnes de mensonges.

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