Répondre à : KELLER, Richard – Le Huitième Soleil

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#152120

XXX

Le docteur Bourdin m’apporta des cahiers et des crayons neufs, je pourrais continuer mon récit. Ce médecin se situait dans le camp des hommes bizarres. Il devint plus aimable avec moi excepté qu’il emporta quelques carnets qu’il ne me restitua pas. Je décidai de persister dans mon attitude, je ne souhaitais pas communiquer avec lui. Toutefois, je me relâchai légèrement, je sortis du coin où je me réfugiais la plupart du temps. Je m’impatientais, l’expatrié m’avait oublié. Depuis plusieurs jours, il restait sourd à mes appels. J’écrivais en noircissant les pages de mes nouveaux calepins, son absence me permettait de consigner mes souvenirs. Je stockais en vrac tout ce qui me passait par la tête. Je comparais le déroulement du fil de mes commentaires à celui de mille vies. Je savais que je pourrais rejoindre mentalement le huitième soleil. Là-bas, mon périple regorgerait de richesses innombrables et mon esprit, d’anecdotes à foison. Mon compagnon se présenta comme à son habitude à l’instant le plus inattendu. Il passa par les toilettes au moment le plus intime, je ne lui en tins pas rigueur. Le dialogue s’amorça et il me parla du sable. Il trouvait que celui du désert rejoignait sa pensée, il se rendait souvent insaisissable. Réceptif à son raisonnement, je m’engouffrai dans la brèche, le sujet me parut digne d’intérêt. L’humanité avait été fascinée très tôt par les grains qui composaient le sable. Il avait essayé de le maîtriser et s’en était servi pour évaluer le temps qui passe, la clepsydre illustrait bien le propos. Le spectacle des heures s’écoulant par l’orifice du sablier avait envoûté des millions d’hommes. L’expatrié butait sur l’insistance des humains à mesurer le temps. Il se trouvait confronté à un problème dont il ne possédait pas toutes les réponses ; il ignorait ce paramètre. Le château de sable apporta son lot de réflexion. Mon camarade appréciait le jeu de construction des enfants. Il voulait surtout mettre en avant l’aspect éphémère de l’édifice qui ne reposait sur rien de solide. Je lui rétorquai qu’il existait une variante : le château de cartes. La menace venait du vent ; un courant d’air et tout s’écroulait au grand dam des adeptes de ce jeu de patience. Il extrapola sur les sables mouvants. Il s’agissait de payer le prix du risque et de ne s’aventurer qu’avec certitude, le danger devait s’évaluer. Je réfléchis à cette situation, à laquelle je ne m’étais jamais mesuré, mais des situations analogues pouvaient se rencontrer. Tout se rejoignait : il convenait de marcher sur des routes solides et de tracer son chemin sur un sol stable. Nos pensées convergèrent, le décryptage me permit d’avancer de conserve avec l’expatrié. Je lui parlai du grain qui bloque le mécanisme, grippe la machine et perturbe l’homme. Il m’exposa la puissance de l’infiniment petit face à l’immensité et il démontra la preuve du besoin de l’autre qu’il ne faudrait jamais ignorer. Nous sommes tous des grains de sable dans l’étendue du désert terrestre. Le marchand de sable commençait à me voiler les yeux, mon compagnon décida de s’éclipser. Je rêvais d’une plage paradisiaque où je me reposerais sur le sable chaud. Le marchand souffla un bon vent qui me plongea dans un profond sommeil. Le huitième soleil faisait-il briller du sable dans la contrée de mon ami ? Je lui poserais la question la prochaine fois. L’infirmière vint vérifier si tout se passait bien dans la cellule de Rodrigue. Elle vit un jeune homme aux traits détendus. Il dormait allongé de tout son long, un large sourire aux lèvres. C’était la première fois qu’elle constatait un relâchement chez ce patient. Elle consigna cette constatation dans son rapport, le docteur Bourdin apprécierait.

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