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XXXI
Le chemin qui montait chez Isabelle longeait la falaise. La nuit commençait à étendre sa noire solitude et le contraste, entre les blocs de calcaire et les bois, révélait la beauté sauvage de l’endroit. Je pensais à des contrées lointaines, je laissais mon esprit vagabonder, aucun obstacle n’obstruait ma route. Les arbres dévêtus dans le crépuscule m’évoquaient les forêts de Transylvanie, je me transformais en comte Dracula. J’évoluais dans le royaume des ténèbres et m’y trouvais bien, en paix avec moi-même. Dans l’obscurité, j’aperçus une lumière dans le hameau. J’approchai précautionneusement des habitations, en cette saison presque toutes les maisons étaient désertées. Le halo provenait de chez Isabelle et, arrivé à quelques mètres, je pus distinguer une lueur vacillante. Elle disposait des bougies sur une table. En passant devant la fenêtre, je vis les flammes crépitant dans la cheminée. L’odeur caractéristique de la résine m’avait chatouillé les narines avant même de pénétrer dans le hameau. Elle me reçut en toute simplicité. J’appréciai le naturel de la jeune femme, cela me changeait de ma précédente compagne. Un long pull marron la recouvrait jusqu’à mi-cuisses et je la félicitai pour le choix de ce vêtement. Elle me précisa qu’il lui venait d’une amie qui élevait des chèvres de race mohair et qui tricotait cette laine. Elle me désigna un pouf et s’installa sur un autre. Je m’aperçus très vite qu’elle ne portait pas de sous-vêtements, le mohair l’habillait si bien. Elle bavarda beaucoup ; moi, peu. Je l’entendais me raconter sa vie. Originaire de la capitale, une histoire d’amour l’avait amenée jusqu’ici. Les sentiments s’étaient émoussés et Isabelle avait choisi de rester dans la région. Sa formation journalistique l’avait tout naturellement incitée à chercher un emploi dans son domaine de prédilection. La presse ne recrutait pas, alors elle avait accepté un poste à temps partiel dans la radio locale. De fil en aiguille, elle avait évolué et animait désormais une rubrique plébiscitée par les auditeurs. Je l’écoutais par politesse, son pedigree ne m’intéressait guère et je lui sus gré d’abréger cet inventaire. J’avais l’expatrié dans la tête. Il rodait autour de moi, sans se montrer vraiment ; il testait mes réactions. Je ne parlai pas de ce merveilleux complice à ma nouvelle amie. Malgré son intelligence, elle n’aurait pas tout compris et m’aurait pris pour un fou. Je gardai pour moi les heures délicieuses et les conseils avisés qu’il me prodiguait. Ma tranquillité se payait par le silence, je voulais vivre en paix. Le repas fut banal. Une soupe de légumes et du jambon blanc composèrent le menu. Un accord tacite nous liait, la table importait peu. Il s’agissait de faire connaissance et de passer un bon moment ensemble. Le dessert se réduisit à une corbeille de fruits et Isabelle déclencha les hostilités à l’instant précis où elle prit une banane. Sa façon de l’éplucher et de savourer sa chair ne laissa planer aucun doute sur la suite des évènements. La cheminée fit monter la chaleur dans la pièce. Les bûches incandescentes diffusaient leurs rayonnements à plusieurs mètres. Malgré le souper sans alcool, une douce tiédeur m’envahit. Je quittai mon col roulé et Isabelle enleva sans pudeur son pull pour enfiler un tee-shirt. Sa plastique se révéla parfaite, la nudité l’embellissait. Le vêtement, plus court, dévoilait sa toison couleur de blé mûr et ses jolies fesses rebondies. Cela ne la gênait pas et moi non plus. Je compris, à ses poses et à ses allusions, qu’elle voulait goûter à des fruits plus consistants. Je tentai donc une approche plus franche. Isabelle y répondit de façon positive et, cinq minutes plus tard, nous nous unîmes nus devant les flammes. L’intensité variable du feu projetait des jeux d’ombres dans la pièce et sur nos corps excités. La parade amoureuse nous occupait. Il fallait satisfaire les désirs et l’appétit de ma partenaire. Le premier assaut fut fougueux, presque bestial, nous avions éprouvé le besoin de lâcher cette énergie le plus vite possible. À droite de la cheminée, un piano quart de queue était disposé légèrement en biais. Je me dirigeai vers lui, il sonnait juste. J’inventai du jazz et Isabelle vint s’asseoir sur mes genoux. Sa présence dans cette posture exacerba davantage ma libido, le désir prenait le pas sur toute autre considération. Le rythme de la musique et la position de ma partenaire m’obligèrent à la pénétrer et nous évoluâmes au son d’un standard du Duke arrangé à ma manière. La diablesse montait et s’enfonçait de plus en plus profondément et rapidement. Elle voulait s’amuser toute la nuit et j’improvisai en jouant souvent d’une main, l’autre titillant la poitrine tendue de la bougresse. Je ne tins pas la comptabilité de mes prouesses sexuelles, mais je dus reconnaître que cette nuit-là fut particulièrement frénétique. Je m’endormis vers cinq heures du matin, vidé de toute substance, complètement épuisé. Isabelle dormit impudique à mes côtés, sur des coussins disposés au pied de la cheminée, l’appel des sens avait gagné la partie.