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XXXII
Le quatuor rapproché avait perdu sa raison d’exister, le ciment qui liait ses membres s’était désagrégé. L’absence allait anéantir chaque individu, la cruauté de la situation, consumer leur relation, et le temps privilégier l’oubli. L’égérie Isabelle Rivet deviendrait un fait divers. Sagol et Gilles se penchèrent sur la personnalité de chacun et le premier sélectionné fut Olivier Sadorlou. Il travaillait sur le projet d’un constructeur automobile en Nouvelle-Zélande. Il fut mis hors de cause en deux minutes, le temps de vérifier sa présence aux antipodes. Il avait rencontré l’ambassadeur de France le jour du décès d’Isabelle et une photo ainsi qu’un article d’un grand hebdomadaire le disculpaient. Il aurait pu faire un coupable idéal et les deux enquêteurs convinrent qu’il ne fallait pas l’éliminer de la liste, il avait très bien pu commanditer le meurtre. La jalousie fournissait un mobile et le publicitaire nourrissait une aversion certaine à l’égard de Rodrigue Bonifay. À ce stade des investigations, l’éviction des suspects semblait prématurée. Laurent Bischauf, critique littéraire, avait appris qu’Isabelle allait recevoir son père dans son émission et cette nouvelle l’avait contrarié au plus haut point. Il ne supportait pas de voir son géniteur s’approcher d’Isabelle, il connaissait trop ses penchants pour les jeunes femmes. Ce comportement le rendait jaloux, il ne concevait pas l’intrusion de son père dans la sphère de ses amis. Monsieur Bischauf senior devait venir parler de sa réussite en Asie, son fils ne l’admettait pas. Sa santé chancelante lui offrait un répit. La trithérapie l’épuisait et il voulait mettre ses soucis entre parenthèses. Afin d’oublier cette contrariété, il avait décidé de partir quelques jours à Venise avec un ami et amant. Il séjournait dans la cité des Doges le jour du décès de la geisha. Dès qu’il apprit la destination de ce membre du quatuor, Sagol informa Roberto Licci en lui fournissant le signalement complet de l’individu recherché. Il existait quelques raisons de ranger l’homme dans la catégorie des suspects ; la jalousie, la maladie et la réussite pouvaient en être les vecteurs. Le secret ne résista pas longtemps et la nouvelle se répandit comme une traînée de poudre. Une chaîne de télévision privée italienne s’était procuré des images par un canal non identifié à cette heure. Il se trouvait toujours quelqu’un, quelque part, prêt à se faire acheter. Les Italiens ne dérogeaient pas à la règle, ils avaient inventé le mot paparazzi. Le Tout-Paris fit ses choux gras de cette disparition d’une personnalité médiatique de premier plan. Sagol et Gilles se demandèrent pendant combien de temps les deux boules de geishas rouges porteraient un numéro anonyme dans un service de police de Venise. Lorsque la meute serait lâchée, plus rien n’arrêterait cette machine infernale, pensèrent les deux complices, et le travail des policiers s’avérerait plus difficile, les privant de l’effet de surprise. La partie de cartes sur table prévaudrait, le poker menteur n’aurait pas droit de cité. Brigitte Monal, qui reçut les enquêteurs dans son bureau du quartier des halles, tapa dans l’oeil exercé de Gilles. Elle portait des vêtements de sa ligne très près du corps et le tissu se distinguait par son aspect minimaliste. L’ex-star du porno cachait uniquement les endroits que la décence obligeait à dissimuler en public. Cette fille savait provoquer et user de ses atouts féminins. Sagol jubilait, il connaissait les petits travers de son collègue. Gilles aimait admirer la plastique des jolies filles, il se régalait la rétine. Elle refusa de fournir un alibi concernant la journée du meurtre. Les gendarmes devinèrent des activités peu avouables, la demoiselle ne voulait compromettre personne. Elle possédait un carnet d’adresses extraordinaire et les deux hommes présumaient qu’il devait abriter des personnages insoupçonnables. Ils en étaient donc réduits à recouper ses déclarations avec d’autres informations afin de s’assurer de la présence de Brigitte Monal à Paris. La fin tragique de son amie la bouleversait, elle jouait la comédie pour feindre l’indifférence. Louis Michalet noyait son chagrin dans des hectolitres de whisky. Toutefois, il avait commencé longtemps avant la mort d’Isabelle et la nouvelle n’avait fait qu’augmenter sa consommation excessive. Il avait donné un concert la veille de l’exécution d’Isabelle et de nombreux témoignages prouvèrent qu’il se trouvait dans la capitale à l’heure du meurtre du campanile. Au milieu de ses délires éthyliques, il prétendit qu’un seul homme pouvait assassiner sa meilleure amie : Rodrigue Bonifay. Les inimitiés secrètes ne résistaient pas à la disparition d’Isabelle Rivet. Lorsqu’ils furent seuls, Gilles et Sagol reprirent les habitudes du bon vieux temps. L’évolution de leurs carrières ne changeait rien, ils procédèrent à l’identique et échangèrent leurs points de vue sur les membres vivants du quatuor après un résumé de leurs investigations. Louis Michalet avait apporté la preuve qu’il se trouvait à Paris. Brigitte Monal ne justifiait rien, mais les enquêteurs pensaient trouver trace de sa présence dans la capitale. Il restait le cas de Laurent Bischauf. Son comportement marginal et sa jalousie possessive en faisaient un suspect malgré son homosexualité avérée. Les boules de geishas tromperaient tout le monde et le tour était joué. Ils convinrent que l’affaire devenait de plus en plus complexe et la célébrité de la victime n’arrangeait pas les choses.