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XXXXVI
Gilles et Sagol décidèrent de faire le point sur l’enquête et ils réunirent les collaborateurs qui planchaient sur les affaires Rivet et Mallardeau. Il convenait de recouper tous les éléments et d’effectuer une synthèse des travaux, la matinée ne serait pas de trop. Cela faisait déjà plus de trois semaines que la geisha du campanile avait rendu son dernier soupir et les gendarmes se retrouvaient avec un deuxième homicide sur les bras. Ils étaient bien conscients de l’urgence de la situation, d’autres jeunes femmes risquaient de subir le même sort si le dénouement tardait trop. L’adjudant Riffard, accompagné de trois de ses hommes, rejoignit ses collègues dans un bureau de la brigade. Pour le groupe, aucun doute ne subsistait, le coupable désigné s’appelait Rodrigue Bonifay. À présent, l’exercice consistait à reconstituer son emploi du temps et à identifier avec précision les étapes de ses pérégrinations. La fin cette odyssée meurtrière passait nécessairement par cette phase. Ils décidèrent d’accentuer les recherches dans l’avant-pays, Gilles insista beaucoup sur ce point et il persuada ses confrères du bien-fondé de ses convictions. La découverte du repaire savoyard du meurtrier permettrait de se rapprocher de la vérité et, se sentant talonné de près, il commettrait la faute qui le perdrait. Le lieutenant plaçait ses espoirs dans cette thèse. Rodrigue contacta sa soeur, Charlotte. Celle-ci lui proposa de venir se reposer dans la chambre d’une amie absente pour quelque temps. Il accepta ce coup de pouce et remonta par le premier TGV à destination de Paris. Il embarqua avec prudence dans le wagon, car il craignait de faire de mauvaises rencontres. Il valait mieux éviter les forces de police lancées à sa poursuite. Les gendarmes se rendirent de nouveau dans le hameau où habitait la pauvre Isabelle Mallardeau. Ils se déployèrent tout autour et bouclèrent le secteur, espérant ainsi découvrir la tanière de l’assassin. Toutes les maisons inoccupées furent investies et le quartier, d’ordinaire si paisible, se trouva en effervescence. Madame Mirkovic scrutait tout ce qui se passait derrière ses rideaux de dentelle. Ce déploiement des forces de l’ordre la conforta dans ses opinions sur sa défunte voisine, sa vie se révélait bien louche. Lorsqu’ils s’engagèrent dans la voie qui menait à la résidence secondaire des époux Barluocq, Sagol et Gilles se regardèrent, une pointe d’espoir luisait dans leurs prunelles. L’habitation isolée pouvait parfaitement servir de base arrière à un individu en cavale. Leur pugnacité fut récompensée, car des reliefs de repas dans le séjour attestèrent de la présence récente d’un occupant. Les gendarmes estimèrent que ce dernier avait dû quitter les lieux un ou deux jours avant leur arrivée. Les enquêteurs ne tardèrent pas à apporter la réponse à leur présomption. Les empreintes collectées dans la demeure des bois s’avérèrent similaires à celles qui avaient été relevées chez Isabelle Mallardeau. Le puzzle commençait à s’assembler de manière significative, mais quelques pièces manquaient encore. Rodrigue arriva à la gare de Lyon sans encombre. Il croisa quelques policiers sur le quai, mais ils ne lui étaient pas destinés. Il continua son chemin et attendit d’être à l’extérieur de l’enceinte ferroviaire pour appeler sa soeur sur son portable. Ils se rejoignirent non loin de la gare, la chambre se situait rue de Charonne sous les toits d’un immeuble de cinq étages sans ascenseur. Leurs retrouvailles furent poignantes. Ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre et pleurèrent longuement dans une étreinte sans fin. Chacun voulait libérer sa conscience, Charlotte parla la première. Elle lui avoua l’inavouable, son secret le plus intime, sa blessure qui ne cicatriserait jamais, dont le coupable était son père, leur père ! Ce monstre s’était servi d’elle comme d’un jouet, il s’était amusé jusqu’à l’inceste. Pour la première fois, brisée par les sanglots, elle révéla cette déchirure à son frère. Rodrigue ne se confia pas à sa soeur, il avait trop mal, mal à l’âme, mal au coeur. Ils pleurèrent longuement ensemble et s’endormirent blottis l’un contre l’autre, d’un sommeil secoué par des spasmes. Au petit matin, il décida de repartir afin de ne pas compromettre Charlotte et de l’impliquer dans ses ennuis. Il partit dans la maison de Jacques et Martine sans l’en avertir. Une nouvelle épreuve attendait sa soeur, car les gendarmes l’interpellèrent à son domicile. Elle refusa de dire où elle avait passé la nuit, mais le trousseau de clés allait lever le voile. Sa copine avait souscrit une assurance en cas de perte ou de vol et le porte-clés possédait un numéro d’identification. À l’instar de son frère, la jeune femme garda le silence, afin de gagner du temps. Dans la mansarde, les enquêteurs ne trouvèrent pas grand-chose à se mettre sous la dent, excepté un billet de TGV Chambéry-Paris effectué la veille. L’étau se resserrait autour de Rodrigue Bonifay, il se cachait dans ces parages, ils en étaient certains. Lorsque les gendarmes pénétrèrent dans la chambre avec sa soeur, le suspect possédait toujours une journée d’avance sur ses poursuivants. Il somnolait sur son siège, indifférent au paysage qui défilait à grande vitesse. Il descendit à Lyon et termina le trajet en auto-stop. Il fut convoyé par un couple de touristes hollandais jusqu’à la sortie d’autoroute située à cinq kilomètres de sa destination. Il avait plu dans la nuit et le chemin était boueux. Arrivé à la maison des époux Barluocq, il ne s’aperçut pas qu’elle avait été visitée par la maréchaussée. Gilles souhaita y retourner pour vérifier certains éléments. Son sixième sens lui disait que la solution se trouvait là-bas. Il convainquit Sagol de l’accompagner. Quatre gendarmes les escortèrent, car le lieutenant, informé de l’épisode parisien, pensait que l’assassin pouvait revenir sur les lieux de son crime. Il ne fallait surtout pas écarter cette éventualité. Ils remarquèrent immédiatement des traces de boue sur le perron, quelqu’un séjournait là. Les hommes se déployèrent discrètement autour du bâtiment, tandis que Sagol et Gilles pénétrèrent dans l’habitation. Ils braquèrent leurs torches en direction d’un canapé, le suspect dormait profondément. L’arrestation se passa en douceur, car il n’opposa aucune résistance à son réveil. Sagol félicita son ami pour cette intuition qui permettait de mettre enfin la main sur Rodrigue Bonifay. Gilles, modeste comme à son habitude, prétexta que les dés de la chance avaient choisi le bon moment.