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La visite des clubs échangistes permit aux enquêteurs de constater l’ampleur du phénomène. Cette liberté sexuelle avait gagné toutes les couches de la société. Malgré l’arrivée du Sida, un nombre croissant de couples s’adonnait à ces pratiques. Autres temps, autres moeurs, ne cessait de scander Sagol. Ils obtinrent la confirmation qu’Isabelle Rivet fréquentait certains cercles privés et que ses prestations séduisaient les participants. Un duo de gendarmes participa à quelques parties fines afin d’approcher certains protagonistes. Malheureusement, peu d’informations transpirèrent, l’omerta était de mise. Peu de prostituées collaborèrent avec les représentants de l’ordre. Depuis des lustres, elles subissaient les tracasseries policières, il ne pouvait donc pas en être autrement. Le silence s’érigea en système d’autodéfense. La clientèle recherchait la discrétion et le quidam, se trouvant sous les projecteurs, risquait gros. La fréquentation de ces dames clouait au pilori celui qui révélait cette perverse habitude. Les filles devaient aussi se méfier de leurs protecteurs, car ceux-ci prenaient vite ombrage de l’excès de bavardage de leur gagne-pain. Leur papotage se limitait aux discussions typiquement féminines entre consoeurs. Quelques associations arrivaient à maintenir un lien avec ces péripatéticiennes pour la plupart en situation irrégulière. L’arrivée sur le marché des proxénètes des pays de l’Est avait profondément modifié le paysage de la prostitution. Les méthodes pour maîtriser les filles démontraient toute la bestialité de ce milieu et justifiaient le mutisme des jeunes femmes. Il ne s’écoulait pas un mois sans qu’un cadavre atrocement torturé ne soit découvert. L’identification s’avérait impossible, chaque victime ne figurant dans aucun fichier de police. La perspective d’un dernier voyage dans la fosse commune tenait d’une main de fer ce petit monde. Gilles et Sagol pensaient qu’il fallait s’attaquer au porte-monnaie des souteneurs, unique façon, selon eux, de combattre efficacement cet esclavage avilissant. Une prostituée moldave rompit la loi du silence. Elle confia à une inspectrice qu’elle connaissait l’assassin et la victime. Cette révélation ragaillardit l’équipe chargée d’investiguer dans ce secteur. Les gendarmes lui donnèrent un rendez-vous pour recueillir plus d’éléments, mais elle ne vint jamais au point de rencontre. Les proxénètes avaient pris les enquêteurs de vitesse et la fille devait se trouver en mauvaise posture. Elle savait qu’elle jouait sa vie si elle parlait et, le combat perdu, il fallait en payer le prix fort. Le coup de pied dans la fourmilière mettait en péril les plus faibles. Les caïds migrèrent immédiatement vers des cieux plus cléments. Ils confièrent leur fonds de commerce à des seconds couteaux, en attendant de pouvoir réapparaître lorsque le calme serait revenu. Gilles et Sagol décidèrent d’intensifier l’action en direction de ce milieu. Une autre fille révéla l’identité de la geisha du seizième et sa fin atroce. La punition avait été maquillée en crime sexuel. De nombreux proxénètes firent les frais de l’opération montée par la cellule spécialisée, mais les gros poissons passèrent au travers des mailles du filet. Les deux gendarmes savaient que, dès le lendemain, une filière se remettrait en place, la nature a horreur du vide. Assurer la sécurité de l’indicatrice jusqu’au procès s’imposa prioritairement à la justice. La pauvre Sylvia ne doutait pas de la suite de son histoire, les balances finissent toujours mal. Notre système judiciaire ne prévoyant pas une protection prolongée, elle n’était devenue qu’une morte en sursis. Il fut établi qu’aucun lien ne reliait les trois meurtres. Les Moldaves avaient utilisé le subterfuge du loup et des boules de geisha pour tromper les représentants de l’ordre. L’un d’entre eux avait entendu parler de la fin tragique de la colombine du campanile et s’était inspiré des potins parisiens pour mettre en scène le crime… Rodrigue restait donc le seul présumé coupable de la mort des deux Isabelle.