Répondre à : KELLER, Richard – Le Huitième Soleil

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LV

Je me trouvais dans un tunnel blanc éclairé par huit soleils. Je me souvenais des explications de l’expatrié et j’essayais d’identifier chaque astre. Le huitième s’appelait plénitude, une dénomination étrange pour celui qui n’avait pas préparé son voyage. J’espérais que chacun poserait son nom dans la lumière de ses rayons. Malgré mon immobilité, j’avançais entre des parois immaculées, une douce chaleur m’envahissait, je volais vers ma révélation. Je venais de passer devant mon père qui était accoudé à la margelle. Il cherchait sa vérité, ses yeux fixaient le fond du puits. Il ne s’était jamais trouvé aussi près de moi. Il ne me voyait pas et je scrutais son âme. Elle souffrait face au miroir qui reflétait le visage hagard dans lequel elle était emprisonnée. À ce jeu, la nudité révèle la cruauté des mensonges et les secrets enfin mis à jour. Ses larmes tombaient doucement et ridaient la surface de l’eau. Un monstre m’apparut, ce fantôme ne me faisait plus peur. Sur l’autre flanc du tube immaculé se trouvait ma mère. Elle avait le teint blafard et était recroquevillée comme un foetus, elle cherchait à renaître. Elle essayait de parler, mais après toutes ces années de silence, aucun son ne sortait de sa bouche, hormis un fil de soie blanche qui s’enroula pour former les mots : regrets éternels. Elle rentra sa tête dans ses épaules, je contemplais une statue de marbre. Isabelle me poursuivait, elle était nue, son habit de colombine s’était consumé à la lumière des soleils. Il ne subsistait qu’un voile neigeux accroché à ses cheveux. Elle était belle, trop belle pour moi. J’eus mal aux yeux en fixant sa nuque, ma vue se brouilla. J’aperçus des dizaines de filles blondes qui me pourchassèrent avec pour seul ornement un loup noir sur leur visage. Les huit soleils illuminaient les courbes de leurs corps. Je volai en direction des astres. Au-dessous de moi, une cohorte de policiers s’activait, ils cherchaient un coupable. Je haïssais cette société qui punissait sans comprendre. L’expatrié m’avait confié qu’au pays du huitième soleil il n’existait ni police, ni prison, ni asile. Chacun gérait son existence et s’épanouissait dans l’harmonie. J’éprouvai une inquiétude, je n’avais pas vu de piano jusqu’à présent, seulement des humains. J’aurais voulu jouer la Sonate au clair de lune, ils ne la connaissaient pas. Au fond du tunnel coulait une eau nimbée d’un léger brouillard qui voilait sa surface. Les gondoliers ramaient, les pantins du carnaval, qui étaient assis à bord, se levèrent et jetèrent leur masque. Tous se trouvaient là, les fantômes de mes nuits, ceux de mes jours. Ils se dévoilaient chacun à leur tour, comme s’ils adressaient leur dernier salut à l’artiste. Chaque personnage arborait une ardoise sur laquelle il avait écrit ses principales fautes. Je lus les trois premières et continuai mon chemin. Je choisis la route de l’oubli, pour mériter demain, j’effaçai hier de ma mémoire. Au milieu de ce tunnel se trouvait un pont recouvert. Des âmes erraient pour égarer les voyageurs. Je n’eus qu’une idée en tête : filer tout droit. Je n’avais plus mal au crâne, la lueur s’intensifia, j’approchais du but. Je savais que l’expatrié m’attendait à l’autre bout. Il avait promis de me guider dans cette nouvelle existence et je voulais me montrer digne de sa confiance. Je ne volais plus, maintenant je flottais dans une atmosphère de coton. Je pensai à Charlotte, ma soeur, je ne l’avais pas vue au cours de mon voyage. Ma petite soeur, qui payait la faute des autres, j’aurais aimé lui tenir la main et lui dire que son cauchemar était terminé. Le père démoniaque n’était plus qu’une statue de marbre figée pour l’éternité. Charlotte, ma petite soeur, mon sang, que n’as-tu pas subi dans le calvaire de tes jours ? Ils ne te feront plus de mal, ils sont le mal. Je passai l’obstacle et je touchai presque les huit soleils. Une lueur m’aveugla. Ils m’avaient déclaré irresponsable de mes actes. Peu m’importe, j’étais devenu un expatrié. Au petit matin, Patricia, l’infirmière, découvrit Rodrigue Bonifay allongé sur son lit le sourire aux lèvres. Il ne bougea pas à son appel, elle comprit que la vie en cellule avait eu raison de son pensionnaire. Le docteur Bourdin ne put que constater le décès. Il ordonna une autopsie qui conclut à une mort naturelle. L’action judiciaire venait de s’éteindre par un épilogue inattendu.

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