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#152604

ACTE I, SCÈNE III

HARPAGON, LA FLÈCHE.

HARPAGON.- Hors d'ici tout à l'heure, et qu'on ne réplique pas. Allons, que l'on détale de chez moi, maître juré filou; vrai gibier de potence.

LA FLÈCHE.- Je n'ai jamais rien vu de si méchant que ce maudit vieillard; et je pense, sauf correction, qu'il a le diable au corps.

HARPAGON.- Tu murmures entre tes dents.

LA FLÈCHE.- Pourquoi me chassez-vous?

HARPAGON.- C'est bien à toi, pendard; à me demander des raisons: sors vite, que je ne t'assomme.

LA FLÈCHE.- Qu'est-ce que je vous ai fait?

HARPAGON.- Tu m'as fait, que je veux que tu sortes.

LA FLÈCHE.- Mon maître, votre fils, m'a donné ordre de l'attendre.

HARPAGON.- Va-t'en l'attendre dans la rue, et ne sois point dans ma maison planté tout droit comme un piquet, à observer ce qui se passe, et faire ton profit de tout. Je ne veux point avoir sans cesse devant moi un espion de mes affaires; un traître, dont les yeux maudits assiégent toutes mes actions, dévorent ce que je possède, et furettent de tous côtés pour voir s'il n'y a rien à voler.

LA FLÈCHE.- Comment diantre voulez-vous qu'on fasse pour vous voler? Êtes-vous un homme volable, quand vous renfermez toutes choses, et faites sentinelle jour et nuit?

HARPAGON.- Je veux renfermer ce que bon me semble, et faire sentinelle comme il me plaît. Ne voilà pas de mes mouchards, qui prennent garde à ce qu'on fait? Je tremble qu'il n'ait soupçonné quelque chose de mon argent. Ne serais-tu point homme à aller faire courir le bruit que j'ai chez moi de l'argent caché?

LA FLÈCHE.- Vous avez de l'argent caché?

HARPAGON.- Non, coquin, je ne dis pas cela. (À part.) J'enrage. Je demande si malicieusement tu n'irais point faire courir le bruit que j'en ai.

LA FLÈCHE.- Hé que nous importe que vous en ayez, ou que vous n'en ayez pas, si c'est pour nous la même chose?

HARPAGON.- Tu fais le raisonneur; je te baillerai de ce raisonnement-ci par les oreilles. (Il lève la main pour lui donner un soufflet.) Sors d'ici encore une fois.

LA FLÈCHE.- Hé bien, je sors.

HARPAGON.- Attends. Ne m'emportes-tu rien?

LA FLÈCHE.- Que vous emporterais-je?

HARPAGON.- Viens çà, que je voie. Montre-moi tes mains.

LA FLÈCHE.- Les voilà.

HARPAGON.- Les autres.

LA FLÈCHE.- Les autres?

HARPAGON.- Oui.

LA FLÈCHE.- Les voilà.

HARPAGON.- N'as-tu rien mis ici dedans?

LA FLÈCHE.- Voyez vous-même.

HARPAGON. Il tâte le bas de ses chausses.- Ces grands hauts-de-chausses sont propres à devenir les recéleurs des choses qu'on dérobe; et je voudrais qu'on en eût fait pendre quelqu'un.

LA FLÈCHE.- Ah! qu'un homme comme cela, mériterait bien ce qu'il craint! et que j'aurais de joie à le voler!

HARPAGON.- Euh?

LA FLÈCHE.- Quoi?

HARPAGON.- Qu'est-ce que tu parles de voler?

LA FLÈCHE.- Je dis que vous fouilliez bien partout, pour voir si je vous ai volé.

HARPAGON.- C'est ce que je veux faire.

(Il fouille dans les poches de la Flèche).

LA FLÈCHE.- La peste soit de l'avarice, et des avaricieux.

HARPAGON.- Comment? que dis-tu?

LA FLÈCHE.- Ce que je dis?

HARPAGON.- Oui. Qu'est-ce que tu dis d'avarice, et d'avaricieux?

LA FLÈCHE.- Je dis que la peste soit de l'avarice, et des avaricieux.

HARPAGON.- De qui veux-tu parler?

LA FLÈCHE.- Des avaricieux.

HARPAGON.- Et qui sont-ils ces avaricieux?

LA FLÈCHE.- Des vilains, et des ladres.

HARPAGON.- Mais qui est-ce que tu entends par là?

LA FLÈCHE.- De quoi vous mettez-vous en peine?

HARPAGON.- Je me mets en peine de ce qu'il faut?

LA FLÈCHE.- Est-ce que vous croyez que je veux parler de vous?

HARPAGON.- Je crois ce que je crois; mais je veux que tu me dises à qui tu parles quand tu dis cela.

LA FLÈCHE.- Je parle… Je parle à mon bonnet.

HARPAGON.- Et moi, je pourrais bien parler à ta barrette.

LA FLÈCHE.- M'empêcherez-vous de maudire les avaricieux?

HARPAGON.- Non; mais je t'empêcherai de jaser, et d'être insolent. Tais-toi.

LA FLÈCHE.- Je ne nomme personne.

HARPAGON.- Je te rosserai, si tu parles.

LA FLÈCHE.- Qui se sent morveux, qu'il se mouche.

HARPAGON.- Te tairas-tu?

LA FLÈCHE.- Oui, malgré moi.

HARPAGON.- Ha, ha.

LA FLÈCHE, lui montrant une des poches de son justaucorps. – Tenez, voilà encore une poche. Etes-vous satisfait?

HARPAGON.- Allons, rends-le-moi sans te fouiller.

LA FLÈCHE.- Quoi?

HARPAGON.- Ce que tu m'as pris.

LA FLÈCHE.- Je ne vous ai rien pris du tout.

HARPAGON.- Assurément.

LA FLÈCHE.- Assurément.

HARPAGON.- Adieu. Va-t'en à tous les diables.

LA FLÈCHE.- Me voilà fort bien congédié.

HARPAGON.- Je te le mets sur ta conscience au moins. Voilà un pendard de valet qui m'incommode fort; et je ne me plais point à voir ce chien de boiteux-là.


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