Répondre à : KELLER, Richard – Chat perché

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#152892
Richard KellerRichard Keller
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    Sagol et Gilles arrivèrent essoufflés au troisième étage. Un comité d’accueil les attendait sur le palier. Les deux enquêteurs saluèrent les pompiers et leurs collègues.

    Sagol s’adressa à Loïc :

    – Alors monsieur Liorant, mauvaise journée ?

    – Comme vous dites monsieur Sagol, je préfère vous rencontrer au magasin !

    Gilles serra la main du boulanger et lui demanda s’il avait remarqué quelque chose de particulier.

    Loïc répondit qu’il n’avait pas eu le goût à s’attarder sur les détails dans la pièce où gisait Mélanie Pralong.

     

    Mistigris réussit à se faufiler par la cave et monta en direction du troisième étage, la curiosité prenant le dessus sur la crainte. Les visiteurs discutaient sur le palier, personne ne prêta attention à lui. Il réussit à pénétrer dans l’appartement en se glissant sous les tables et les guéridons. A force de ruse, il arriva au pied du rocking-chair, il renifla tout de suite l’odeur de la mort, et il se frotta une dernière fois contre les jambes de sa bienfaitrice.

    Chopard rentra avec Sagol et Gilles, il remarqua la présence de l’intrus et essaya de le coincer. Mistigris fit le gros dos et cracha comme aux plus beaux jours lorsqu’il intimidait un autre mâle pour conserver une conquête vaillamment gagnée. Les gendarmes, ne bougèrent plus et laissèrent s’esquiver le vieux guerrier, la prudence s'imposait.

    Hardy et Chopard firent un bref résumé de la situation. Sagol remercia les hommes présents sur les lieux, et commença à examiner le corps sans vie de Mélanie.

    Le docteur Sahuc se présenta à son tour, il était le médecin traitant de Mélanie. Il ausculta très brièvement la dépouille de son ex-patiente, et signifia à Sagol son refus de délivrer le permis d’inhumer, car il subodorait qu’il s’agissait d’un crime. C’était un acte de routine de la part du praticien, car compte-tenu de la mise en scène macabre, tout concourait à penser depuis le début qu’il s'agissait d’un crime. Il restait maintenant à autopsier le corps et à trouver des éléments permettant de démasquer l’assassin de la vieille dame.

    Après avoir discuté deux minutes avec les gendarmes, le docteur prit congé des hommes présents. Au bas de l’immeuble, il croisa Mistigris qui surveillait la montée d’escalier.

    Le chat s’apprêtait à prévenir ses congénères du destin tragique de leur bienfaitrice. A présent, il faudrait s’organiser autrement pour la pitance quotidienne. Cette situation risquait de voir renaître des tensions dans le groupe, dont il assurait la cohésion. Il envisageait bien une solution provisoire, celle de squatter devant la boulangerie, mais le site se révélait dangereux, le boucher n’étant pas très coopératif.

    Mistigris pensait au bon vieux temps, il faudrait de nouveau se mettre à chasser les souris et les oiseaux, mais il n’était plus aussi leste, il risquait de perdre un peu de son prestige à la chasse.

    Les deux enquêteurs sortirent cinq minutes pour respirer, dans la demeure, l’odeur du corps qui commençait à se décomposer devenait plus que désagréable. Certains avait des nausées, rien qu’en regardant dans la direction du salon. Après une bonne bouffée d’air frais, ils retournèrent au travail.

     

    Gilles examina les deux félins posés sur les genoux de la défunte. Le premier possédait un pelage blanc et roux au poil court et raide, le second  gros matou ressemblait à un fauve à la fourrure sombre et tachetée. Les deux animaux étaient empaillés, et il les photographia avant de les retirer des genoux de la morte.

    Le chef procéda aux relevés d’empreintes, il venait de terminer sa besogne tout autour de la fenêtre, et il décida d’ouvrir les volets afin de donner plus de lumière dans la pièce.

    Avec davantage de clarté, les visiteurs eurent droit à un spectacle peu banal : de nombreux chats étaient disséminés dans le salon. Sagol connaissait très mal les différentes espèces, mais il repéra trois autres félins. Il y avait un chat gris, probablement de gouttière, disposé sur un guéridon à la droite de Mélanie. Un autre trônait en haut d’un buffet, il se distinguait par un poil roux très long. Gilles en détecta bien d’autres, dans les pièces de l’appartement, au total, ils en découvrirent trente-deux ! ce qui les plongea dans un abîme de perplexité. Dans sa carrière, déjà longue, Sagol ne s’était jamais trouvé confronté à un cas semblable.

    Gilles réalisa un grand nombre de clichés avec l’appareil numérique, aucun félidé n’était semblable à un autre. Il existait probablement plusieurs animaux de même race, mais aucun n’affichait la même robe, le poil variait, tantôt blanc, tantôt roux, parfois noir et même chamarré. Il pensa qu’il fallait être sacrément tordu pour procéder à un tel jeu de piste !

    Sagol cherchait la signification de cette mise en scène. A ce stade des investigations, aucune piste n’apparaissait. Il faudrait attendre les résultats de l’autopsie et des prélèvements. Il demanda aux pompiers d’évacuer le corps vers la morgue de l’hôpital, il prit soin de vérifier les vêtements et les bijoux que portait la victime, il se chargerait de contacter le légiste. Pour l’instant, l’appartement faisait l’objet de toute son attention. Il trouva des traces de pas dans chaque pièce, alors que Mélanie possédait une réputation de maniaque de la propreté, le ménage était fait régulièrement et elle ne se déplaçait qu’avec des patins.

    Lorsque les pompiers arrivèrent au rez-de-chaussée avec le brancard, ils furent entourés d’une trentaine de chats. Les félins arboraient tous un air triste et aucune demande n’émanait de leur part, leur amie dans son linceul bénéficiait d’un cortège insolite. Mistigris se porta en tête de la troupe, il tenait à cet hommage posthume.

    Les pompiers emmenèrent la dépouille vers l’hôpital. En route, ils firent quelques commentaires sur la matinée insolite qu’ils venaient de vivre. Ils s'en souviendraient longtemps, impressionnés par l’omniprésence du chat dans cette affaire.

     

    – Tu as vu Dédé tous ces matous qui faisaient une haie d’honneur à notre colis !

    – Ouais ! C’est pas banal, et toi Jeannot, toutes ces bestioles empaillées, il doit être «loufdingue» le criminel !

    – C’est bizarre tout ça, j’espère qu’ils vont trouver, sinon nous n’avons pas fini de faire le taxi pour vieille dame.

     

    Les deux collègues continuaient de fouiller méticuleusement le lieu du crime, comme à leur habitude, les deux hommes prenaient des notes. Chacun possédait sa méthode, Sagol, adepte des petits carnets, notait ses observations et aussi ses idées. Gilles, quant à lui, utilisait un dictaphone et consignait tout en paroles.

    Le chef posa des questions au boulanger, ce dernier connaissait la victime depuis de longues années, et Loïc ne voyait pas d’ennemis à la vieille dame car elle sympathisait avec tout le monde. Chacun savait qu’elle s’occupait des chats du quartier et n’y trouvait rien à redire, en dehors du boucher… Cela permettait de canaliser la zone d’occupation des félins et de limiter leur prolifération.

    Après quelques questions, il dit à Loïc que c’était l’heure d’aller déjeuner et s’il avait besoin d’autres précisions, qu’il connaissait très bien l’adresse, sur ce, Loïc salua les quatre gendarmes et descendit les étages, exténué. L’atmosphère des lieux du crime et l’amitié qui liait la pauvre Mélanie aux époux Liorant avaient usé psychologiquement le brave homme.

     

    La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre dans le quartier. Ginette confirma son statut de brave femme, très bavarde. Chaque habitué de la boulangerie eut droit à sa minute de récit. Elle expliquait à chacun que son amie venait d'être assassinée, et ce qui devait arriver, arriva !, le colportage de la rumeur commença ! Il fallait voir comment, une banale phrase formulée au comptoir du magasin, devînt tout autre chose en circulant dans la bouche de plusieurs colporteurs. C’est un poison qui tue lentement et dont les victimes ne peuvent se débarrasser.

    Loïc insista longuement auprès de son épouse pour qu’elle ne s’exprime pas sur le sujet, à la demande de Sagol. Rien n’y fît et le chiffre d’affaires augmenta sensiblement ce jour-là. Certains, allant même prétendre qu'un chat se trouvait être l'exécuteur de Madame Pralong ! La fin tragique de la vieille dame s'accommoda à toutes les sauces.

    Le chef et ses acolytes s’affairaient à la recherche du moindre indice. La pêche ne se révéla pas très fructueuse. Gilles qui adorait la lecture, regardait avec attention les ouvrages de la bibliothèque. Il trouva là, tous les classiques de sa jeunesse, Zola côtoyait Balzac, lui-même à côté de Montesquieu, sans oublier Pascal, Homère, Platon, Confucius et quelques autres. En de meilleures circonstances, les rayonnages de Mélanie auraient participé au bonheur du rat de bibliothèque qu’était Gilles.

    Il était presque treize heures, lorsque les enquêteurs partirent se restaurer au mess. Sagol reviendrait après le repas avec Gilles, il signifia à Hardy et Chopard qu’ils pourraient se mettre à la disposition de la brigade l’après-midi.

    Lors du repas, les quatre hommes firent le point sur le meurtre. Sagol reconnaissait volontiers qu’il n’avait pas grand-chose à se mettre sous la dent. Toutes ces bestioles lui donnaient le tournis, à part l’acte d’un déséquilibré, il ne comprenait pas les motivations du tueur. Il savait d’expérience, que trouver le mobile, c’était découvrir l’assassin. Gilles, entre deux bouchées, se hasarda à formuler des hypothèses, il pensait à quelqu’un qui aurait de la haine envers les chats. Il faudrait creuser dans cette direction.

     

    – Oui mon cher ! et savoir pourquoi il n’y en a pas un de semblable, il va falloir potasser sur les espèces. J’ai un ami qui élève des persans et qui participe à de nombreux concours, il a gagné un nombre impressionnant de trophées. Je crois qu’il nous sera d’une aide précieuse.

     

    Hardy demanda aux autres, s’ils avaient remarqué les propos de Liorant concernant la mise en place par la municipalité, d’un service d’assistance aux personnes âgées.

     

    – Bien vu, je vous félicite Hardy car j’ai bien pris de nombreuses notes, mais là, j’étais passé à côté, ce n’est pas bon de trop bien connaître les témoins, car on a tendance à se relâcher et vous voyez comme on peut zapper une information importante !

     

    Le gendarme Hardy renchérit, en précisant que le boulanger déclara que Mélanie  possédait un petit boîtier, qu’elle mettait toujours autour du cou en cas de besoin qu’il suffisait d’appuyer dessus pour déclencher l’intervention des services compétents.

    Gilles certifia qu’il n’avait vu nulle part ce boîtier, il le connaissait, l’ayant déjà vu auprès d’autres personnes âgées.

    Sagol trancha la question, ils allaient le chercher dans l’appartement après le repas.

     

    Le maire, qui venait de quitter le gouvernement après avoir été ministre de la famille et des personnes âgées, choisit sa ville pour expérimenter un service d’alerte et d’assistance aux aînés souffrant de handicaps. L’opération se révélait un véritable succès, et d’autres communes partout en France se ralliaient au système. La mairie, venait d'obtenir des prix défiant toute concurrence, sur les boîtiers qui se trouvaient reliés à un central par GPS. Sitôt l’alerte déclenchée, le signal localisait le détenteur du boîtier. Suivant le lieu, domicile ou extérieur, un coup de fil de contrôle était donné pour vérifier la nécessité d’une intervention. Ce système, dont bénéficiait près de trois cent cinquante heureux élus, avait permis de sauver six vies et d’intervenir sur une agression au cours des six derniers mois.

    De retour rue du Carillon, Sagol et Gilles reprirent la fouille méthodique de l’appartement. Ils ne trouvèrent pas le boîtier « ange gardien » que portait habituellement la défunte.

     

    Mistigris et ses compagnons, erraient telles des âmes en peine dans les ruelles du vieux quartier. La disparition de Mélanie perturbait beaucoup l’organisation de la colonie. A n’en pas douter, il y aurait des tensions et des scissions dans le groupe. Certains jeunes souhaitaient s’affranchir de la tutelle de l'ancêtre. Il y eut inévitablement deux clans, les anciens regroupés sous la bannière de Mistigris, et les jeunes sous la houlette d’un fougueux chat surnommé Rouqui. Celui-là, se disaient les vétérans, c’est un fier-à-bras, il mène ses amis dans l’impasse. A force de parader, les habitants du quartier, irascibles, se ligueront contre nous, expliquait le vieux matou. Rien n’y faisait, la rupture consommée, il ne restait qu’à constater les dégâts.

    Comme les hommes, face à la disparition d’un élément fédérateur, les chats se retrouvaient à la croisée des chemins. Fallait-il jouer la modération et se rallier à Mistigris, ou bien choisir la modernité et le risque avec Rouqui ? La question posée, méritait réflexion.

    Mistigris savait depuis longtemps, que ce jour viendrait, mais comme tout un chacun, il pensa que ce moment arriverait bien assez tôt. Aujourd’hui, il se trouvait au pied du mur. Comment résoudre cette crise majeure dans la colonie, sans voir couler le sang ? La garde rapprochée du vieux sage, opta pour la négociation. Dans l’autre camp, quelques extrémistes se déclarèrent prêts à en découdre. Ils s’étaient persuadés qu’ils trouveraient une place de choix dans la nouvelle hiérarchie qui se mettrait en place. Malheureusement, il y aurait plus de perdants que de gagnants.

    Rouqui proposa d’emblée un combat des chefs.

    Mistigris savait qu’à ce jeu-là, il ne sortirait pas vainqueur, sa vieille carcasse ne résisterait pas aux assauts fougueux de son jeune rival. Il allait ruser et user de toutes ses qualités de fin stratège.

    Sur les conseils de ses amis, le vieux matou, proposa une trêve de trois jours qui permettrait d'assumer le deuil de Mélanie et de s’organiser. Il fut décidé de partager le territoire en deux parties, les jeunes occuperaient la partie située autour de la boulangerie et de la boucherie du Nestor. Cette concession n’était pas anodine, Mistigris misait sur le retour rapide du boucher, qui risquait de perturber la tactique de Rouqui. Le blessé n’hésiterait pas à chasser les félins et même à faire intervenir la brigade spécialisée.

    La tribu se sépara, chaque camp réunissait une quinzaine d’éléments. Le doyen semblait satisfait du partage, le territoire proche de la maison de la défunte demeurait sous sa coupe. Il ne restait plus qu’à espérer le faux pas de l’adversaire.

    En milieu d’après-midi, Riou rentra chez lui, il portait un plâtre, qui immobilisait toute sa jambe gauche, mais il pouvait poser quand même le pied par terre, avec ses béquilles. Loïc l’accueillit à bras ouverts. Lorsque Nestor aperçut le groupe de Rouqui, qui traînait autour de sa boutique, son sang ne fit qu’un tour, il se dirigea vers le téléphone. Illico, il appela la mairie et expliqua qu’il s’était fait mal ce matin à cause d’un chat, et que depuis, il y en avait toute une ribambelle devant chez lui. Comme il n’était pas d’humeur à plaisanter, il ajouta qu’en bon citoyen, il payait des impôts et qu’en retour, il attendait d’être débarrassé de ce fléau.

    Un peu plus d’une demi-heure plus tard, le fourgon blanc de l’équipe municipale fit son apparition dans le vieux quartier. Quatre hommes équipés comme des cosmonautes descendirent du véhicule et se déployèrent selon une technique bien rodée. En quelques minutes, huit raminagrobis furent capturés. Rouqui, tout penaud, se réfugia dans le secteur du clan de l'ancêtre. Il fut reçu sans animosité, mais dut faire allégeance au plus vite. Le vieux matou eut le triomphe modeste, il ne pensait pas que sa stratégie réussirait aussi vite.

    Tout danger n’étant pas écarté, il convenait d’être particulièrement vigilant et surtout de ne pas se présenter en groupe devant la boutique du dit Nestor. Mistigris espérait que les huit malheureux capturés seraient relâchés au plus tôt, ils risquaient d’être châtrés avant de pouvoir revenir, c’était la dure loi du milieu.

     

    Après avoir absorbé rapidement un café, Sagol et Gilles, revinrent sur les lieux du crime. La neige gelée crissait sous leurs pas. Un froid vif les saisissait. La météo annonça encore des chutes de neige pour les jours à venir. Les deux hommes observèrent avec soin la cage d’escalier. Ils ne décelèrent aucune effraction, ce qui laissait supposer que l’assassin soit entré et sorti par les portes. Les chutes importantes du week-end effacèrent toutes traces. La tâche s’annonçait ardue, ils ne savaient pas s’il existait plusieurs jeux de clés. Il fallait trouver la femme de ménage de la vieille dame.

    Puis ils fouillèrent l’appartement à la recherche d’une erreur de la part du criminel. Gilles était intrigué par la disposition des animaux sur les guéridons et les meubles.

     

    – Chef, avez-vous remarqué la façon dont les chats sont posés ?

     

            Oui, ils regardent tous vers le rocking-chair.

     

            Pas d’accord chef, il faudrait prendre les mesures au laser.

     

     

            Vous avez raison Gilles, il y a là un élément qui nous a échappé ce matin.

     

    Sagol sortit une lampe laser de sa valise de travail. Il mit la torche devant le museau de chaque matou. Ils scrutaient attentivement la ligne du rayon de lumière. 

     

            Mon cher, vous avez soulevé un lièvre intéressant, chaque bestiole fixe la mappemonde sur ce guéridon. Il nous faut voir sur quel pays est dirigé le rai.

     

            Il s'agit de la Chine et plus précisément la ville de Xian.

     

     

            Qu’y a-t-il de particulier dans cette ville Gilles ?

     

            Oh ! La principale attraction, si je puis m'exprimer ainsi, est le site qui abrite l’armée enterrée de soldats en terre cuite, il y en a près de sept mille.

     

            Il y a aussi des chats dans ce bled ?

     

    – Je ne crois pas, mais je ne suis pas sinologue.

     

            Il va falloir se documenter sur le sujet et rapidement, je compte sur vous Gilles.

     

    – Merci, vous pourrez me payer le voyage sur place, rien ne vaut l’immersion !

     

            Je sens un peu d’ironie dans votre réponse, je vais vous proposer un voyage d’étude auprès de l’ambassade de Chine, ce sera déjà un début !

     

    Ils étaient bien perplexes, quel rôle jouait la Chine dans ce dossier ? tous ces chats de toutes les couleurs, il s'agissait à n’en pas douter d'un jeu macabre, auquel se livrait l’assassin. Sagol se rendait bien compte, qu’il manquait des pièces au puzzle. A ce stade de l’enquête, il pataugeait sans se douter que les éléments du casse-tête se trouvaient à quelques mètres de lui.

    Gilles, quant à lui, fit un parallèle entre la Chine, la ville de Xian et un livre de la bibliothèque de Mélanie, il s’agissait des pensées de Confucius. Là non plus, rien de folichon, le sage chinois n’apportait rien de neuf à l’histoire. L’adjoint de Sagol réfléchit, et se dit que le mieux, serait qu’il se rende dès le lendemain à la médiathèque consulter les ouvrages traitant de la Chine et de la fameuse ville. Il lancerait également dès le soir même une recherche sur internet. L’outil était fabuleux et permettait surtout de gagner un temps précieux, les informations étaient tout simplement disponibles, à portée de clic.

     

    Luisa Da Cruz se présenta à seize heures à l’appartement de Madame Pralong. C’était une petite femme brune d’une cinquantaine d’année. Elle venait après le week-end faire deux heures de ménage chez Mélanie. Elle fut surprise de trouver la porte entrouverte, et bien davantage lorsqu’elle aperçut les gendarmes en uniforme. Sagol vint à sa rencontre. Luisa, tétanisée, compris qu’il s’était passé quelque chose d’anormal.

     

            Bonjour, vous venez voir Madame Pralong demanda Sagol ?

     

            Oui ! Je suis sa femme de ménage, elle n’est pas là ma patronne ?

     

            J’ai une mauvaise nouvelle, elle est décédée ce week-end.

     

            Morte ! madame est morte ! pourquoi elle est morte ?

     

    Sagol la laissa sangloter et lui dit qu’ils solliciteraient son aide pour les besoins de l’enquête. Le regard de Luisa se posa sur les chats :

     

            Madame a mis toutes ces bêtes ici, c’est bizarre !

     

    Gilles lui demanda si elle avait vu les félins avant ?

     

            Non, je les ai jamais vus ici, c’est nouveau !

     

      Sagol reprit la main :

     

            Dites-moi quel est votre nom et votre adresse s’il vous plait.

     

            Je m’appelle Luisa Da Cruz, j’habite à un kilomètre d’ici, impasse des saules.

     

            Vous venez plusieurs fois par semaine je suppose ?

     

            Oui, je viens le lundi de seize heures à dix-huit heures, le mercredi de quatorze heures à seize heures et le vendredi de quinze heures à dix-sept heures.

     

    – Vous êtes donc venue vendredi trente et un janvier ? 

     

            Bien sûr, comme d’habitude !

     

    – Avez-vous remarqué quelque chose de particulier, Mélanie attendait-elle quelqu’un ?

     

            Elle était la même que la dernière fois, elle avait acheté des croquettes pour les chats, et elle est sortie avec moi pour donner à manger aux animaux dans la rue.

     

    – Vous avez un jeu de clés je suppose ? Savez-vous combien de jeux possédait votre employeur Madame ?

     

            J’en ai un, ma patronne un et il y en a un de pendu derrière la porte d’entrée, je vais vous montrer. Luisa fit trois pas dans le couloir, et s’exclama : il n’y est plus !

     

    – A qui Madame Pralong donnait-elle ce jeu ?

     

            A personne, il pouvait servir en cas de dépannage uniquement. 

     

    Gilles : 

     

            Connaissez-vous des personnes qui venaient rendre visite à votre patronne ?

     

    – Peu de gens montaient jusqu'ici, je me rappelle la semaine dernière, j’ai rencontré Madame Dercourt de la SPA. J’avais terminé le ménage, et je l’ai croisée dans l’escalier. C’était mercredi.

     

            D’autres personnes Madame Da Cruz ?

     

            Je ne crois pas. 

     

     

    Sagol : 

     

            Vous êtes mariée madame ?

     

    – Oui, mon mari s’appelle José, en ce moment il est au pays, ses parents sont malades, et il est allé régler des problèmes.

     

            Quels genres de problèmes ?

     

    – Il a un frère qui voudrait faire construire sur un terrain des parents, il a besoin de la signature de mon mari.

     

            De quelle région êtes vous originaire ?

     

            Nous venons d’un petit village à côté de Fatima au Portugal.

     

    – Merci Madame Da Cruz. Je crois que je ne vous embêterais pas davantage aujourd’hui.

     

            Je vous rends les clés monsieur.

     

            Je m’appelle Sagol, je vous remercie. 

     

            Au revoir messieurs, j’oubliais de vous demander le jour et l’heure de l’enterrement ? 

     

    – Je ne le sais pas encore, mais ce sera affiché à la chapelle et madame Liorant mettra un petit mot à la boulangerie je pense.

     

            Merci beaucoup.

     

    Les deux gendarmes l’écartèrent aussitôt de la liste des suspects, trop spontanée et très affectée par la disparition de Mélanie.

     

    Luisa descendit lentement les trois étages, elle sanglotait, elle venait de mettre fin, contre sa volonté, à une collaboration de près de dix ans avec la défunte. Arrivée dans la rue, elle remonta son écharpe sur son visage, le froid la protégerait des regards indiscrets. Elle croisa Mistigris vers le soupirail, lui aussi ressentait une grande mélancolie. La mort en hiver est bien plus triste à vivre, à la grisaille des cœurs, s’ajoutant celle des cieux.

     

    Ils s’affairèrent encore pendant près d’une heure et demie. Le globe terrestre et les trente-deux chats revenaient de manière obsessionnelle dans leur esprit. La signification de cette mise en scène macabre les interpellait. Quel message l’assassin voulait-il délivrer ? Sagol décida d’en finir avec l’atmosphère pesante de l’appartement de la victime. Il sollicita Gilles pour voir la direction que son adjoint souhaitait emprunter.

    Tout comme son supérieur, il n’osait avancer une hypothèse. Il privilégiait bien sûr la piste chinoise, mais ne voulait pas aller trop vite en besogne.

    D’un commun accord, les enquêteurs rangèrent leur matériel d’investigation dans leurs mallettes respectives. Sagol apposa les scellés, il ne pensait pas revenir de sitôt rue du Carillon. Ils firent le trajet jusqu’à la brigade à pied. Il faisait nuit et les lumières de la vieille ville illuminaient les demeures. Un spectacle magnifique s'offrait à eux, la municipalité avait consenti un effort important pour la mise en valeur nocturne des lieux. Sur la butte, le château et sa chapelle brillaient particulièrement. Les jeux de lumières donnaient encore plus de beauté aux vieilles pierres. L’été, des spectacles « son et lumière » qui retraçaient la période médiévale, réjouissaient les spectateurs, c’était devenu très tendance ce retour vers l’époque des Seigneurs.


     

     

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