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Un courrier urgent émanant de France Télécom attendait les deux gendarmes. Sagol en prit rapidement connaissance. L’identité des cinq abonnés sur liste rouge y figurait. Quelques lignes expliquaient que les communications passées depuis la cabine de Bordeaux s’avéraient inexploitables. En revanche, la copie de la conversation échangée depuis une cabine grenobloise se trouvait consignée dans un fichier figurant sur le cd joint au pli.
Gilles s’empressa d’introduire le disque dans le lecteur d’un ordinateur. Il cliqua sur le fichier et régla le son. Il s’agissait de la voix d’un homme s’adressant à Mélanie, lui disant qu’il souhaitait la revoir prochainement. La vieille dame lui répondait qu’elle ne pouvait se rendre disponible actuellement. L’homme insistait et elle lui répétait sur le même ton son refus par manque de temps, et un bip d’occupation relaya la voix de l’homme. Les enquêteurs écoutèrent plusieurs fois de suite la conversation échangée entre la défunte et l’inconnu. Aucun indice n’apparut sur l’identité de l’interlocuteur, ni sur le but de sa demande, Sagol était bien perplexe. La voix semblait celle d’un homme jeune, certainement entre vingt et trente-cinq ans. Il ne possédait pas d’accent caractéristique. Les gendarmes en restèrent là, ils décidèrent de se pencher sur le cas des abonnés en liste rouge.
Les cinq correspondants de la morte habitaient tous dans le département. Trois concernaient des personnes de la ville, les deux autres étaient plus étranges. Le numéro privé du directeur de la prison figurait dans la liste. Les enquêteurs se demandaient quel lien reliait cette vieille dame et le responsable d’un établissement pénitentiaire. Le second numéro se révéla être celui d’un personnage mondialement connu. Retiré dans un chalet d’alpage, l’homme s’avérait sulfureux. Impliqué dans plusieurs coups d’état en Afrique subsaharienne, aucun gouvernement n’osait le livrer aux autorités des pays africains. Il possédait des informations sur tous les grands de la planète, et à ce titre était quasi intouchable. Que venait faire Mélanie dans un tel imbroglio ? Les derniers abonnés, trois femmes âgées, complétaient la liste.
Le chef Sagol et le gendarme Gilles réfléchissaient, ils mettaient patiemment le puzzle en place, pour l’instant, ils avaient repéré des pièces, mais ne pouvaient les disposer sans trouver les autres s’imbriquant avec. Ils comprenaient toute la complexité et la difficulté du dossier. Ils aimaient se frotter à des enquêtes nécessitant de nombreuses investigations. Le plaisir résidant dans les rencontres. Bien sûr, certaines étaient à la limite du supportable, mais d’autres permettaient de vivre de grands moments. Et la résolution de l’enquête devenait la cerise sur le gâteau.
Sagol profita du week-end pour emmener son épouse à la montagne, ils se rendirent à Valloire, au pied du col du Galibier. Des amis y possédaient un chalet et invitèrent le couple à les rejoindre. Les époux Sagol et leurs amis firent quelques apparitions sur les pistes mais passèrent bien plus de temps à la table du restaurant local où ils dégustèrent avec délectation les spécialités savoyardes.
Gilles, quant à lui se paya quelques toiles, il profita du festival du cinéma transalpin. Il aimait beaucoup les acteurs italiens. Il préférait les vieux films comme « La dolce vita » et les satyres de Vitorio De Sica.
C’est donc frais et dispos que les deux pandores attaquèrent la nouvelle semaine. Le temps s’était un peu radouci, le thermomètre flirtait avec les températures positives.
Le responsable et son adjoint firent le point de la situation devant un bon café. Sur le bureau du chef, le rapport du médecin légiste attendait. Sagol ouvrit l’enveloppe et il lut à son collègue les points importants. La médecine légale utilisait un jargon qu’il convenait de bien connaître pour comprendre quelque chose, les deux hommes maîtrisaient parfaitement ce genre d’exercice.
Le médecin commençait par une description de l’état du cadavre au moment de son admission dans le service. Venait ensuite la fourchette horaire du décès ; la victime avait cessé de vivre le samedi premier février entre vingt heures et vingt-deux heures. Le spécialiste ne pouvait mieux affiner l’heure de la mort, le corps ayant été examiné plus de quarante heures après le décès. La vieille dame avait succombé par suffocation. Le légiste pensait qu’un sac plastique étanche placé sur sa tête l’avait privée de toute arrivée d’air. Des traces de pression sur le cou, ainsi que des ecchymoses sur les bras et les jambes, prouvaient qu’elle s’était débattue. L’installation sur le rocking-chair était postérieure au décès, la rigidité des tissus révélait des lésions dues à la mise en position assise.
En annexe, le médecin précisait que des prélèvements effectués sous les ongles de la victime étaient acheminés vers le laboratoire central de la gendarmerie.
Une autre enveloppe émanant du même endroit fut apportée par un collègue. Les deux hommes firent la moue à la lecture des documents. Les prélèvements soumis à analyse provenaient des vêtements de la victime, aucune autre fibre n’avait été décelée.
Sagol et Gilles se dirent qu’ils n’étaient pas près de trouver l’épilogue de cette histoire. L’assassin s’était montré très prudent, il n’avait laissé aucune marque susceptible de mettre les enquêteurs sur la piste. Les deux limiers se remontèrent le moral réciproquement. Ils se dirent qu’il y avait beaucoup de gens à rencontrer et que le tueur ne pouvait tout dissimuler, il fallait être le plus professionnel possible et le vent tournerait. Ce qui impressionnait les deux gendarmes, c’était qu’aucune empreinte n’apparaissait sur les chats et leurs supports. Comment arrivait-on à manipuler trente-deux félins empaillés sans poser un doigt quelque part ? Ceci aussi restait un mystère.
Un peu par dépit, les gendarmes se penchèrent sur la vie de l’amie des chats. Mélanie Pralong venait d’avoir quatre-vingt-deux ans. La maison du douze rue du carillon était un bien familial. Ses parents y habitèrent jusqu’à leur mort en mille neuf cent soixante-cinq, une tragédie que cette année là pour la pauvre femme. En l’espace de six mois sa vie devint un cauchemar. Ses quatre êtres les plus chers disparurent. Le calendrier macabre posa son dévolu sur le vingt janvier pour commencer son œuvre de mort, son père et sa mère décédèrent dans la nuit asphyxiés par un poêle déficient, l’oxyde de carbone les enveloppa sournoisement dans leur sommeil. Ils avaient soixante-dix ans.
La faucheuse lui laissa cinq mois de répit, et le jour de l’été, le vingt et un juin, elle frappa à nouveau. Rémi Pralong son mari, et Christophe son fils partirent ensemble pour la journée, le fils aimait suivre son père dans son travail, il représentait une grande marque d’engins de travaux publics. Sa tournée l’emmena ce jour là par les routes des montagnes de Savoie. La pauvre femme ne revit jamais ses deux amours. La voiture de son époux fut retrouvée une semaine plus tard aplatie au fond d’un précipice dans le lit d’un torrent. Les corps ne furent jamais retrouvés. Rémi venait de disparaître à l’age de quarante-cinq ans, son fils en avait dix-sept.
Pendant des mois, des recherches furent entreprises, le lit du torrent inspecté, des battues sur les rives organisées. Un barrage fut investi par des plongeurs et des scaphandriers, en vain. Il fallut se rendre à l’évidence, la nature ne rendrait rien ou alors bien plus tard.
Mélanie et Rémi n’avaient qu’un enfant, elle sombra dans une torpeur dont elle mit trois ans à guérir au sens médical du terme, errant comme un zombie dans les ruelles de la vieille ville. C’est là qu’elle fit la rencontre du peuple des chats. Ils furent son remède contre le suicide. Elle parlait avec eux et ils la comprenaient. Son âme en détresse les touchait au plus profond, même les plus sauvages s’approchaient d’elle. Le grand-père de Mistigris devînt son confident préféré. Il l’écoutait en silence, et de temps en temps, en signe d’approbation, laissait échapper un miaulement.
Mélanie alla de mieux en mieux, elle put reprendre son travail. Madame Pralong exerçait la profession d’enseignante. Elle dispensait des cours de français dans un lycée de la ville. C’était une bonne pédagogue, très aimée de ses élèves. Elle s’éloignait souvent des sentiers battus pour éveiller les jeunes à la littérature, tout devenait prétexte à philosopher, et tous les courants de pensée cohabitaient sans tabous dans son enseignement.
Chaque soir au retour du lycée, Mélanie prenait ses gamelles et son sac de croquettes pour nourrir ses nouveaux amis. Elle compensa l’absence par le dévouement à une cause. Elle prit sa carte à la SPA et commença à se lier d’amitié avec Germaine Dercourt.
Madame Pralong décida de déménager. Elle habitait avant le drame l’appartement du deuxième étage, ses parents occupant le premier. Elle fit venir une entreprise afin de rénover le troisième étage. Elle ne conserva aucun meuble, elle courut les antiquaires et les brocanteurs pour procéder à des achats et des échanges. Elle voulait tourner la page d’un passé trop douloureux. Après quelques mois de travaux, elle s’installa dans son nouveau logis. Trente-cinq années s’étaient écoulées. L’appartement que découvrirent les pandores demeurait à l’identique du premier jour, à l’exception des trente-deux matous.
Mélanie venait d’avoir quarante-huit ans, encore jeune, elle ne songea nullement à refaire sa vie avec un autre compagnon. Elle préféra se retirer seule le soir parmi les livres. Pascal, Montaigne, Balzac, Confucius, Platon, Homère et bien d’autres occupèrent ses soirées. Elle sollicita à nouveau l’entreprise qui avait restauré son appartement, elle fit de même avec les deux autres logements. Elle confia à une agence le soin de trouver des locataires sérieux. C’est ainsi qu’elle en vit passer de nombreux. Certains gardèrent le contact avec elle, d’autres disparurent à jamais, ainsi va la vie.
Parallèlement à sa passion pour les chats, elle ne manqua jamais d’aider les vagabonds du square. D’autres qu’elle auraient eu peur de ces clochards, le monde des marginaux est un univers brutal. Elle inspirait le respect, jamais la crainte. En aucun cas elle n’eut à se plaindre d’un mendiant. Elle donnait un peu d’argent, parfois des vêtements et ne posait jamais de question. Celui qui voulait parler trouvait face à lui une oreille attentive, une confidente, une amie. Avec celui qui ne souhaitait pas s’ouvrir, un regard suffisait, il en disait plus que des mots.
Christian Métayer portait la cinquantaine élégamment. Le cheveu grisonnant ondulait naturellement. Grand, environ un mètre quatre-vingt-dix, il portait une attention quasi maladive à sa ligne. Sa silhouette confirmait qu’il pratiquait une activité sportive régulière. Il courait tous les matins avant de se rendre au travail. Le samedi, il accomplissait comme un rituel une vingtaine de kilomètres à travers les chemins et sentiers de la campagne environnante. Il puisait dans le dépassement de soi l’oxygène lui permettant de supporter l’air vicié de sa semaine d’enfermement.
Sagol et Gilles se présentèrent à la prison en fin de matinée. Après une brève attente pour vérification, un gardien vint les chercher dans le sas d’entrée et les accompagna jusqu’au bureau du directeur. Christian Métayer reçut les deux gendarmes avec amabilité. L’homme, en professionnel du contact, savait s’y prendre avec ses interlocuteurs. Il invita les enquêteurs à s’asseoir. Il proposa une boisson chaude ou froide. Sagol préféra un verre d’eau fraîche, Gilles également. Le directeur se dirigea vers une fontaine à eau qui se trouvait dans un angle de la pièce. Il remplit les gobelets, ainsi qu’un troisième pour lui.
– Que me vaut cette visite Monsieur Sagol ?
Le chef qui connaissait Christian Métayer ne s’embarrassa pas de fioritures, il alla droit au but.
– Je suppose que vous connaissez Madame Mélanie Pralong?
– Je la connais depuis trente-cinq ans Monsieur Sagol, en effet, mais qu’a-t-elle fait pour que vous veniez me parler d’elle ici ?
– Elle est décédée Monsieur Métayer, assassinée.
Christian Métayer restait debout pour boire son verre d’eau, il devint blême, ne dit plus rien et se posa sur un fauteuil, la tête baissée.
Sagol le laissa tranquille pendant quelques secondes, puis reprit le fil de la conversation.
– L’aviez-vous vue récemment ?
– En réalité, nous ne nous voyions pas souvent, une fois par an, par contre je l’appelais au moins une fois par trimestre.
– Quel lien vous unissait ? Demanda Sagol .
– L’amitié mon cher, l’amitié ; elle m’avait initié à la philosophie, peu de temps après la perte de son fils et de son mari.
– Quand l’avez-vous appelée pour la dernière fois ?
– J’ai dû l’avoir au bout du fil jeudi ou vendredi passé, je dirais plutôt vendredi.
Sagol ne fit aucun commentaire, le relevé de France Télécom indiquait le vendredi trente et un janvier à quinze heures cinquante, la communication avait duré six minutes.
– De quoi avez-vous parlé ?
– Comme à l’habitude, nous échangions nos points de vue sur des philosophes célèbres, cette fois nous avons échangé sur Confucius et ses pensées. Malgré son âge, Mélanie possédait une bonne mémoire et savait vous ranger à son avis.
Les trois hommes devisèrent un moment encore, Monsieur Métayer voulait connaître la fin de son amie. Sagol lui donna quelques renseignements, mais il occulta volontairement la présence des trente-deux chats. Le directeur ne posa aucune question sur les animaux, c’était une preuve qu’il n’était pas au courant. Un détail n’échappa pas aux deux gendarmes, Il avait assisté le soir du meurtre au concert de carillon à la chapelle du château. Etant avec un couple d’amis et compte tenu de l’heure tardive de la fin du concert, il ne s’était pas arrêté chez la vieille dame. Sagol nota les coordonnées des compagnons de Monsieur Métayer, il s’agissait d’un magistrat et d’une jeune femme l’accompagnant. Christian Métayer semblait très affecté par le meurtre de son amie et ancienne professeur Mélanie Pralong. Il répondait trop spontanément pour être soupçonné d’assassinat.
Il était plus de douze heures trente, Christian Métayer proposa aux deux enquêteurs de partager le repas au mess du personnel pénitentiaire. Sagol et Gilles acceptèrent, cela leur ferait gagner un temps précieux. La nourriture se révéla de bonne qualité, mais les plats quelconques. Une heure plus tard ils quittaient Monsieur Métayer.
Ils apprirent incidemment qu’il existait un lien entre Christian Métayer et Fred Myrion, le mercenaire retiré des affaires qu’ils allaient auditionner. Comme par hasard, les deux hommes furent camarades de classe. Le directeur pensait que Fred et Mélanie avaient gardé le contact.
Pour des raisons de sécurité évidentes, le chef Sagol avait choisi de contacter Fred Myrion avant de monter jusqu’à son nid d’aigle. L’homme s’exprimait avec le même accent que Christian Métayer, c’était à s’y méprendre, les voix des deux hommes se ressemblaient beaucoup.
L’accès au chalet s’avérait difficile, heureusement le travail du chasse-neige permettait d’avancer. La neige accumulée sur les côtés de la route ne permettait pas le croisement avec un autre véhicule. Les deux hommes priaient pour éviter une rencontre. La montée dura cinquante minutes. Fred Myrion avait fourni des explications avec des repaires faciles pour Sagol. Le véhicule arriva à la hauteur des derniers mélèzes, au-delà, plus d’arbres, la neige et son blanc manteau pour seul horizon. Après un léger replat, Sagol demanda à Gilles de se garer sur le parking à droite. Une plate-forme aménagée par le chasse neige permettait de ranger deux ou trois véhicules. Un Range Rover stationnait là recouvert par les dernières chutes de neige.
Les gendarmes descendirent de la voiture. Il restait à parcourir quelques centaines de mètres dans un sentier enneigé. Dix minutes s’écoulèrent, ils aperçurent le vieux chalet en bois. Une fumée blanche sortait de la cheminée. Sur le balcon, un homme avec des jumelles en bandoulière les accueillit. Il s’agissait de Fred Myrion. Le baroudeur portait fière allure. Un peu plus petit que Christian Métayer. Il retira sa casquette à l’arrivée des enquêteurs. Le cheveu blond et ras laissait apparaître une cicatrice au milieu du sommet du crâne. Le mercenaire, en habitué, précédait toujours la question.
– Souvenir de voyage Messieurs, une machette mal aiguisée et vous sauvez votre peau ! Sagol fit les présentations sur le balcon :
– Beau paysage Monsieur Myrion.
– C’est vrai, mais nous serons mieux à l’intérieur.
Il ouvrit la porte et entra après ses deux hôtes.
Des objets régionaux meublaient l’intérieur. Une table ronde, quatre chaises et un buffet finement décoré par des fleurs peintes sur les portes, tel était le mobilier. Un petit poêle rond dégageait une chaleur bienvenue.
Le chef bien qu’appréciant le site, voulut commencer rapidement l’audition du baroudeur.
– Depuis quand connaissez-vous Madame Mélanie Pralong ?
– Longtemps, je dirais au moins trente-cinq ans, mais qu’a-t-elle à voir avec moi aujourd’hui Messieurs ?
– Dans le cadre d’une enquête, je voudrais connaître la date de votre dernière rencontre ?
– Il y a longtemps, car je sors rarement d’ici, sauf pour le ravitaillement et surtout j’évite de planifier mon activité. Il y a des barbouzes qui n’attendent qu’un faux pas de ma part.
– Vous n’avez pas répondu à ma question martela le chef.
– Répétez la question s’il vous plait ?
– La date de votre dernière rencontre avec Mélanie ?
– Il y a environ quatre ans.
– Aucun contact depuis cette date ?
– Je lui téléphone de temps en temps, je l’ai appelée il y a quelques jours, nous avons longuement parlé du bon vieux temps.
– Savait-elle que vous étiez revenu en France ?
– Nous ne parlions que littérature et philosophie, ça nous suffisait pour passer un bon moment ensemble.
– J’ai une mauvaise nouvelle Monsieur Myrion, votre amie Mélanie Pralong est morte samedi premier février, assassinée chez elle.
Fred Myrion eut la même réaction que son ancien camarade de classe Christian Métayer. Il était prostré.
– Une femme exceptionnelle Messieurs, il n’en existe pas un grand nombre autour de nous de cette qualité. Dieu bénisse son âme.
Ce qui surprenait toujours le chef, c’était la tendresse de ces durs. Des fiers à bras capables de tuer de sang froid, rompus aux situations les plus critiques et qui devant la fin d’un proche pouvaient se transformer pour n’être que fragilité et chagrin.
Le soleil avare de février passa la tête de l’autre côté de la montagne. Les deux enquêteurs disposaient d’une heure pour redescendre sans encombre. Ils posèrent quelques questions supplémentaires, et dix minutes plus tard le gendarme Gilles s’installa au volant de la Peugeot. La descente dans la vallée se passa sans problème, Sagol eut tout loisir d’apprécier le paysage entre chien et loup.
Il était dix-huit heures dix lorsque Gilles gara la voiture dans la cour de la brigade. Le chauffage du véhicule étant défectueux, ils coururent vite se mettre au chaud dans leur bureau.
Les deux visites de la journée s’étaient avérées intéressantes, la personnalité des deux individus montrait en quel point des êtres issus du même milieu et ayant reçu la même éducation pouvaient choisir des chemins différents. Les deux amis d’enfance s’étaient retrouvés ensemble au lycée, ils avaient décroché le baccalauréat avec mention bien et s’étaient inscrits à la faculté de lettres d’Aix en Provence. Ils avaient partagé le même studio et parfois les mêmes filles. Ils avaient tous deux une maîtrise en lettres classiques. Aucun n’avait choisi de professer. Christian Métayer choisit la fonction publique. Son copain Fred Myrion prit un sac à dos et fit le tour du monde. Leur chemin se sépara à ce moment là, mais leur amitié restait intacte. Le barbouze expliqua en philosophant que c’était son ami directeur de prison qui avait mal tourné, il emprunta une formule d’un philosophe dont le chef ne se souvenait que du sens. Le baroudeur reprit à son compte la formule du Cid de Corneille « A vaincre sans péril on triomphe sans gloire ». L’amitié et l’affection profonde des deux copains d’enfance envers la vieille dame ainsi que leur formation permettait de les rayer de la liste des suspects, Sagol et Gilles en acquirent la conviction.
Un pense bête collé sur le téléphone de Sagol lui indiquait qu’il devait rappeler maître Leschaut. Il regarda sa montre et pensa que le notaire ne se trouvait peut-être plus à son étude. Une voix féminine répondit, il reconnut la jeune femme à son accent, c’était la collaboratrice qui avait apporté le dossier dans le bureau du notaire, celle qui avait régalé les pupilles de Gilles. Elle passa immédiatement la communication à son patron.
– Bonsoir maître, ici le chef Sagol, vous m’avez appelé ?
– Bonsoir Monsieur Sagol, en effet, c’est au sujet de Madame Pralong, je suis en mesure de répondre à certaines questions que vous m’avez posées jeudi.
– Dites-moi tout cher maître
– Oh ! Ce sera vite fait, ma cliente n’a plus de famille directe ou indirecte, elle n’a pas rédigé de testament.
– En êtes-vous sûr ?
– Sûr et certain, sauf à mettre en doute le fichier central de l’ordre des notaires. De plus, elle souhaitait rédiger un tel document, mais l’assassin a été le plus rapide.
– Que vont devenir ses biens ?
– C’est l’état qui va hériter. D’expérience, il faudra plusieurs mois avant qu’il ne bouge. Pour ce qui me concerne, je transmettrai l’information aux autorités compétentes.
– Je vous remercie de m’avoir tenu au courant maître, bonne soirée et qui sait, à bientôt.
– Je vous remercie Monsieur Sagol, trouvez le coupable je compte sur vous, bonne soirée.
Gilles avait entendu les propos du notaire, il dit à son chef que l’héritage n’était pas le mobile du crime.
Sagol en convint volontiers. Mais alors, quel était donc ce foutu mobile ?