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Les lumières de la ville brillaient encore lorsque le gendarme Gilles prit la route. Il avait un rendez-vous dans la France profonde, celle de l’histoire et des légendes. Pendant que son chef faisait une escapade à Turin, il traverserait le massif central pour se retrouver dans un bourg médiéval. Le professeur Ernest Lapébie l’attendait dans sa retraite de Conques.
Le redoux constaté ces derniers jours se confirmait, ce n’était pas pour déplaire à notre voyageur. A sept heures le pandore passait Clermont-Ferrand. L’autoroute parfaitement dégagée permettait de rouler en toute sérénité. Les services de déneigement s’employaient à maintenir le réseau en situation optimale.
Gilles pesta, il aurait aimé continuer par cette voie qui emmenait les vacanciers au bord de la grande bleue. A ce jour, seuls de minuscules tronçons s’offraient aux automobilistes. Le viaduc de Millau entrait dans sa phase terminale. Les prévisions d’ouverture se situant entre le dernier trimestre deux mille quatre et le deuxième trimestre deux mille cinq. Compte-tenu de l’avancement des travaux il semblait possible que l’ouverture puisse se faire en deux mille quatre.
L’enquêteur admirait ce paysage tourmenté, il longeait des rivières, passait dans des bourgs au passé millénaire. Ici le temps ressemblait aux gens, rien ne pressait. Malgré la rudesse des saisons, ces contrées préservées des flux migratoires cultivaient un art de vivre à l’ancienne. Tout le monde connaissait tout le monde, pas toujours agréable, surtout pour celui qui souhaitait protéger son intimité. La vie ainsi faite, coulait paisiblement comme l’eau des ruisseaux.
Il était dix heures trente, après quelques kilomètres au bout d’une vallée encaissée, apparut la cité médiévale de Conques, un des plus beaux villages de France à n’en pas douter. Le professeur Lapébie avait bon goût. Gilles gara son véhicule à l’entrée de la commune. Sur la place, un cavalier juché sur un cheval cabré levait son épée. L’artiste avait façonné sa sculpture dans un enchevêtrement de pièces métalliques, la réalisation était une réussite. L’homme et sa monture inspiraient le gendarme, il comparait le duo aux héros de Cervantès Don Quichotte et sa jument Rossinante.
Au bout de la rue en pente, l’abbaye Sainte-Foy s’offrait aux regards. Le soleil brillait sur les toits de schiste argentés du village engourdi sous la lumière hivernale. Les touristes repliés depuis longtemps, seuls de rares autochtones donnaient un semblant de vie au vieux bourg. Par une ruelle pavée Gilles accéda à l’abbatiale. Face à lui au-dessus du parvis se trouvait le tympan du jugement dernier avec ses cent vingt-quatre personnages. Il rentra dans l’édifice, à sa gauche une table avec des livres et des dépliants rédigés dans plusieurs langues. Il parcourut rapidement le document, son intérêt grandissait au fur et à mesure. Il fit le tour de la nef, admiratif de l’architecture. Malheureusement, les richesses historiques du Rouergue ne faisaient pas partie du but de sa visite.
A la sortie de l’église, il se mit en quête d’un restaurant pour se sustenter. Il dût se rabattre sur le seul établissement ouvert en cette saison qui lui proposa un banal steak frites. La gastronomie hibernait, mise hors saison. Il mangea rapidement et après avoir dégusté un café délicieux, se mit en quête de la maison du professeur Ernest Lapébie. Le patron indiqua la demeure à une centaine de mètres de là.
Une minuscule rue pavée descendait en direction du Dourdou, la rivière du pays. Il s’engouffra sous un passage. Il se demanda si la maison avait été construite après le tracé de la rue ou avant, car édifiée de chaque côté, elle semblait faire une seule entité. Dix mètres à peine plus loin, sur la droite, se trouvait une fontaine qui coulait dans un grand bac en pierre, le tout à l’abri sous un auvent. Dans le prolongement, des meules ayant jadis broyé les châtaignes exposaient leur usure au passant. Entre la fontaine et les reliques du moulin, une porte en chêne donnait accès à la demeure du grand spécialiste. Pas de cloche ni de sonnette, seulement un heurtoir en bronze. Il s’agissait probablement d’un cadeau offert au spécialiste. Le heurtoir représentait un chat qui voulait attraper le monde. Debout sur ses pattes arrière, sa patte avant droite heurtait un globe terrestre au-dessus de lui.
Gilles frappa la mappemonde. Il n’attendit pas longtemps, une femme blonde aux courbes généreuses vint lui ouvrir. C’était l’épouse du professeur, elle devait avoir entre quarante et quarante-cinq ans. L’enquêteur ne savait pas que Monsieur Lapébie avait convolé avec une femme de trente ans sa cadette. A chacun son bâton de vieillesse pensa t’il. Madame Lapébie se présenta au gendarme.
– Bonjour Monsieur, je suppose que vous êtes le détective qu’attend mon mari ?
C’était la première fois que Gilles s’entendait appelé détective.
– Oui, bonjour Madame, je suis le gendarme Gilles.
– Enchanté Monsieur Gilles, je vous conduis jusqu’au bureau d’Ernest.
Dans le couloir, au milieu des pierres de schiste apparentes, deux tableaux représentant des natures mortes ornaient le mur de gauche. Deux portes vitrées donnaient sur des pièces. Madame Lapébie s’engouffra par la seconde ouverture. Une grande salle avec d’immenses baies vitrées, ce fut la première chose que remarqua le pandore. Un jeune homme de soixante-seize ans se précipita à sa rencontre.
– Alors Monsieur Gilles, avez-vous fait bonne route depuis vos Alpes ?
– Tout à fait Monsieur Lapébie, votre région est magnifique, il est dommage que je ne dispose que de peu de temps.
– En effet, avez-vous visité le trésor de Conques ?
– Non, j’ai visité l’abbatiale et le tympan du jugement dernier. Je reviendrai c’est certain.
– Désirez-vous un café ou un thé ? Ma femme, Ghislaine, va se faire un plaisir de nous le préparer.
– Je ne veux pas vous obliger, mais un petit café ce n’est pas de refus.
– J’ai cru comprendre au téléphone que votre enquête du moment se passe dans un domaine que je connais assez bien ?
– Hélas oui ! Une vieille dame a été trouvée assassinée. Le meurtrier a disposé des chats empaillés tout autour. C’est la raison pour laquelle je fais appel à vos compétences.
– Eh bien ! C’est beaucoup d’honneur que vous me faites !
Ernest Lapébie s’avérait très dynamique, par sa petite barbiche grise il rappelait le professeur Tournesol, mais la comparaison s’arrêtait là. Il ne faisait pas son âge et ne dépareillait point avec une épouse aussi jeune. Ghislaine possédait son diplôme de vétérinaire, mais avait tout quitté par amour. Elle devint l’assistante du maître et s’enticha de son mentor. Le vieux célibataire se mit à ronronner comme un matou devant la jeune minette. Ce qui devait arriver arriva, ils venaient de célébrer leurs dix ans de mariage.
Elle pénétra dans la pièce avec un plateau contenant trois tasses de café et un sucrier.
– Voilà ! Si vous le voulez bien nous serons mieux ici.
Elle désigna une table basse et des fauteuils.
– Merci amour, enlève donc Platon.
C’était un chat noir qui dormait sur un coussin.
– Vous avez d’autres chats ici Monsieur Lapébie ? Demanda Gilles.
– Nous en avons quatre, des chats communs européens, ce sont les plus adaptés aux spécificités de la région.
– J’ai apporté les éléments du dossier sur lesquels j’espère que vous m’éclairerez, il y a de nombreux clichés, car il y a trente-deux félins. Je crois avoir identifié deux races, je suis prudent vous voyez, je dis « je crois », j’attends votre verdict.
– Monsieur Gilles, avec Ghislaine, vous aurez aussi l’œil d’une experte. Allons-y.
– Je vous montre d’abord les photos concernant ceux dont je viens de vous parler.
Ghislaine Lapébie s’assit sur l’accoudoir aux côtés de son époux. Elle s’exclama :
– Celui-là pas de problème, il est trop caractéristique. Il s’agit d’ un « ocicat ».
– Gagné ma chère, et vous Monsieur Gilles vous aviez deviné je pense ?
– Oui, pour celui là ce n’était pas trop compliqué.
– En effet, avec ce pelage et la morphologie c’était imparable. Par contre, il n’y a pas de propriétaire de cette race en France, les seuls que vous pourriez trouver sont en Allemagne, mais j’appellerai mon ami Hantz Bauer tout à l’heure. Des animaux aussi rares sont répertoriés et il nous dira ce qu’il sait.
– Entendu, voici le suivant.
Ghislaine s’exprima encore la première :
– J’ai un petit doute, avez-vous un cliché pris sous un autre angle ?
– Gilles sortit d’autres images.
– Le maître prit une loupe et scruta la courbe des membres, le port de la tête et le bout des pattes. Je vous propose de marquer chacun sur un papier notre pronostic.
Ghislaine se leva arracha trois feuillets à un bloc cube :
– Et voilà Messieurs.
Elle inscrivit un mot sur la feuille.
Gilles en fit de même,
– Vous acceptez les fautes d’orthographe Monsieur Lapébie ?
– A condition qu’il n’y en ait pas cinq dans le mot, je vous l’accorde. Pour moi, il s’agit d’un spécimen de « Wirehair ».
Ghislaine Lapébie montra son feuillet, c’était le même mot.
– Et vous Monsieur le détective ?
Gilles apprécia l’humour de son hôtesse.
– Je crois que je peux vous remplacer professeur, ce n’est pas original nous pensons tous à l’identique.
– Bravo Monsieur Gilles, c’était moins évident. Je crois que le métier vous a beaucoup aidé, vous avez le don de l’observation.
Pendant plus d’une heure, le spécialiste et son épouse scrutèrent chaque cliché, les trente-deux félins furent apparentés à une race. Gilles nota aux dos de chaque image les observations de ses interlocuteurs. Trente bêtes n’apportaient rien de plus à l’enquête. Par contre les deux animaux trouvés sur les genoux de Mélanie méritaient un supplément d’investigations.
Ernest Lapébie conversa avec son ami allemand Hantz Bauer, il connaissait actuellement les propriétaires d’un chat « ocicat », un couple germano-américain qui se partageait entre la région des grands lacs et Francfort. Il profitait des avantages de l’ancienne profession du mari, retraité de l’armée. Il ne s’agissait pas de leur animal, Hantz l’avait vu la semaine précédente. Il doutait qu’il existe un possesseur de « Wirehair » répertorié en Allemagne actuellement. Il eut connaissance d’un couple d’américains retourné au pays environ dix-huit mois auparavant, il possédait un spécimen de l’espèce recherchée. Ernest Lapébie obtint les coordonnées des époux Brighton à Albuquerque.
L’astre du jour déclinait rapidement, un carillon sonna seize heures. Gilles s’approcha des baies vitrées. Le spectacle de la nature magnifiait les lieux. De son bureau, le professeur Lapébie jouissait d’un panorama exceptionnel. En contrebas, la rivière coulait dans des méandres argentés, sur la rive opposée au pied de la colline, les arbres dévêtus s’alignaient en cohorte. Les reflets du soleil couchant sur les roches exerçaient sur l’œil un attrait irrésistible. L’homme était ébloui par la beauté austère de la contrée.
Les cloches de l’abbaye résonnèrent, il était temps pour le gendarme de retourner aux affaires. Il prit congé des époux Lapébie, en les remerciant chaleureusement pour leur collaboration et surtout leur accueil.
Gilles plut au couple, le professeur s’adressa à lui en formulant deux demandes :
– J’aimerais connaître le dénouement de ce dossier et surtout, vous m’avez bien dit que vous souhaitiez revenir à Conques ?
– C’est exact Monsieur Lapebie.
– Eh bien ! Mon ami je serai flatté et honoré de vous recevoir. Ghislaine et moi-même vous fournirons le gîte et le couvert, et je me charge de faire le guide.
– Gilles était confus, il remercia.
Ernest Lapébie insista
– J’y tiens beaucoup Monsieur Gilles, faites-moi savoir rapidement la date de votre venue.
– Je n’y manquerai pas, encore merci.
Arrivé dans la rue, Gilles soupira de contentement, voilà pourquoi il aimait tant son métier : pour la richesse de la rencontre.
Il restait maintenant à rouler pour rejoindre les montagnes alpines. Il savait que malgré la distance, le trajet lui semblerait court, il se repasserait les images fortes de la journée. Son kaléidoscope lui projetterait les plus belles scènes du voyage.
Cristina Pietrangeli habitait une petite maison à l’entrée de Turin. La vieille dame reçut avec plaisir le chef Sagol. Elle souffrait d’une hanche et se déplaçait avec difficulté. Elle ignorait encore que Mélanie Pralong n’était plus de ce monde.
L’origine de sa relation avec la défunte datait de la dernière guerre. Les parents de Mélanie offrirent refuge à la famille Pietrangeli qui fuyait l’Italie fasciste. Les deux jeunes filles sympathisèrent et connurent leurs premiers émois ensemble. Cristina avait un frère de dix-huit mois son cadet, il fut capturé dans une rafle et mourut en captivité. Cette tragédie souda encore plus les familles.
Après la guerre, les Pietrangeli retournèrent vivre de l’autre côté des Alpes. Cristina se maria et eut un fils l’année suivante. Mélanie devint la marraine de Giuseppe.
Tout au long des épreuves de leurs vies, les deux femmes se réconfortèrent mutuellement. Comme son amie, Cristina se retrouva veuve encore jeune, elle aussi ne chercha pas à refaire sa vie.
Depuis cinq ans, les deux femmes ne franchissaient plus la frontière, l’âge et la crainte d’importuner l’autre avec ses bobos prirent le dessus. Le téléphone perpétuant le lien, les amies de jeunesse s’appelaient très régulièrement, au minimum une fois par quinzaine.
Sagol tergiversa longtemps avant d’annoncer la nouvelle à Cristina. Cette dernière avait compris dès la poignée de main avec le chef, l’intuition féminine sans doute. Aucune larme ne coula sur son visage buriné par ses quatre-vingt-deux printemps. Elles coulaient dans son cœur.
La vieille femme soupira et se dirigea péniblement vers un fauteuil électrique. Elle actionna une télécommande, le siège monta à la hauteur de ses hanches. Elle attrapa l’accoudoir et se laissa glisser. Elle appuya sur un autre bouton et le fauteuil se positionna dans sa configuration initiale.
Sagol la laissa se reprendre deux ou trois minutes. Madame Pietrangeli signifia à son interlocuteur qu’elle allait mieux et qu’il pouvait lui poser d’autres questions. L’enquêteur avait fait largement le tour de ses investigations concernant la vieille dame et son fils. Il pensa que cette amie, très chère à la victime, et son fils n’avaient rien à voir avec la fin cruelle de Madame Pralong.
Sagol remercia Madame Pietrangeli et promit de lui communiquer la date des obsèques de la marraine de son fils.
Il se fit aussi discret qu’à son arrivée pour quitter la ville. La venue d’un gendarme français aurait pu déclencher une mini crise avec les carabiniers. Il utilisa une voiture banalisée et s’habilla en civil. En Europe, subsistaient encore des frontières administratives, et surtout des barrières qu’il convenait de ne franchir qu’en connaissance de cause. Cette façon de procéder permit de gagner un temps précieux et de contourner la paperasserie étouffante.
A midi le chef franchit le tunnel du Fréjus. Il se restaura dans une gargote à Modane. Il reprit la route en début d’après-midi, sans se presser. Il se retrouva à dix-sept heures dans son bureau.
Son adjoint l’appela à peine cinq minutes plus tard, il lui fit brièvement part de son travail et le rassura sur l’état des routes. Il arrivait à proximité de Clermont-Ferrand.
Les obsèques de Mélanie Pralong furent fixées au jeudi treize février à quinze heures. La boulangère ferma sa boutique, elle s’assit au premier rang dans l’église du château avec à sa droite Loïc son époux et leur ami et voisin boiteux Nestor Riou le boucher. Ginette obtint du chanoine la célébration d’une messe. Hormis les concerts de carillon et de rares intronisations, l’évêché consentait peu à quelque entorse.
Le chef Sagol et le gendarme Gilles assistaient à la cérémonie, ce genre d’événement s’avérait parfois instructif pour les enquêteurs. Ils s’installèrent derrière un pilier au milieu des travées. Cent cinquante personnes vinrent rendre hommage à la vieille dame. La plupart des voisins rencontrés par les gendarmes remplissaient la petite chapelle.
Des groupes se constituèrent. On pouvait distinguer le clan des commerçants avec les époux Liorant, Nestor Riou et quelques autres. La SPA, avec madame Dercourt et Chantal de Lucinges en figures de proue, se plaça dans la travée opposée aux boutiquiers. Les voisins, le docteur Sahuc et son épouse se dispersèrent dans les travées en retrait.
Juste devant les pandores, Christian Métayer et Fred Myrion conversaient à voix basse. Sagol fut surpris que le barbouze soit descendu de sa montagne, son amitié avec la défunte l’avait convaincu qu’il lui devait ce dernier hommage. Un homme assis à la droite du baroudeur attira l’attention du chef. La ressemblance attisa sa curiosité. Il devait s’agir de Giuseppe Pietrangeli, c’était le portrait craché de Cristina.
Pendant son homélie, le chanoine Bercot s’attacha à souligner la discrétion et le dévouement de Mélanie envers les êtres les plus faibles, animaux ou humains. Un chœur chanta des cantiques et plusieurs fidèles communièrent.
L’odeur d’encens titillait les narines du gendarme Gilles, il se retint plusieurs fois d’éternuer. La circulation et le renouvellement d’air dans la petite église s’avéraient insuffisants, c’est pour cette raison que l’enquêteur était incommodé. Il y eut des quintes de toux dans l’assistance, le sacristain ouvrit une porte latérale et un courant d’air glacial circula dans les travées.
Le cercueil en bois blond de Mélanie disparaissait recouvert par de nombreuses couronnes de fleurs. Malgré la saison et le froid, les fleuristes réalisèrent des prouesses. Toutes sortes de végétaux ornaient les compositions florales.
Sagol s’intéressait beaucoup aux dédicaces inscrites sur les différents assemblages. Il trouvait, lui l’amoureux des mots, que beaucoup de sentiments se concentraient dans ces ultimes phrases. Placé trop loin et de biais, il ne distinguait pas ces ultimes formulations. Il pourrait tout à loisir en retenir quelques-unes lors de la bénédiction du cercueil.
Un harmonium joua de la musique sacrée, Madame Dercourt prononça un éloge tout en finesse et retenue à l’image de la défunte. L’émotion gagna l’assemblée, le chanoine récita les prières rituelles, et bénit le cercueil. Fred Myrion essuya une larme, une partie de sa jeunesse partait avec la dame aux chats.
Lorsque le gendarme Gilles passa le goupillon à son chef, ce dernier avait mémorisé les phrases les plus touchantes, les plus insolites, les plus troublantes, inscrites sur les rubans autour des couronnes et sur les bouquets.
Il y avait une gerbe de chrysanthèmes blancs. L’inscription réalisée sur un ruban mauve disait ceci : « A la maman des chats, un minet orphelin », une couronne de fleurs mélangées plus poétique, s’exprimait sur un ruban blanc, les lettres étaient rouges : « Ce n'est pas le but de la promenade qui est important mais les petits pas qui y mènent », Sagol se rappelait avoir déjà lu une phrase similaire quelque part, mais il ne put la remettre dans le bon contexte. Ses souvenirs s’étaient évaporés.
Une couronne de fleurs blanches offerte par les commerçants du quartier était posée sur le côté. La dédicace attira l’attention de l’enquêteur : « Au-delà de nos cœurs, se forgent les clés de l’amour, que ces clés soient celles du paradis ». A proximité, une couronne de trente deux roses rouges où les mots surprirent le chef. Il trouva la formule inadaptée à la cérémonie, Sagol lut et relut la phrase, elle le rendait perplexe. Que voulaient dire ces mots : « Il reste toujours un peu de parfum à la main qui donne des roses ». Quel message se cachait derrière les roses ?
Il tenait le goupillon dans sa main et la personne suivante attendait patiemment le passage de relais. Tout à sa réflexion, il s’était isolé du monde, il fallait revenir à la réalité du moment. Il grava dans sa mémoire d’autres hommages disposés sur les plaques et couronnes mortuaires. Tout à l’heure, il en parlerait avec Gilles.
La défunte n’ayant laissé aucune consigne concernant ses obsèques, Mesdames Liorant et Dercourt s’étaient concertées pour essayer de deviner ce qu’aurait voulu Mélanie. Elles savaient que leur amie n’aimait pas les cimetières, elle n’y allait jamais. Ce devait être la disparition de son époux et de son fils qui avait instillé cette répugnance envers ces lieux où elle ne put jamais les honorer. Elles décidèrent d’une crémation avec dispersion des cendres dans le quartier, entre le square et ses clochards, et la rue du carillon et ses chats.
Les cloches de la chapelle se mirent à sonner, leur timbre sembla plus pur qu’à l’accoutumée. Mistigris ne savait pas que c’était en l’honneur de sa bienfaitrice, mais il comprit qu’il était inhabituel qu’en milieu de semaine le clocher du château résonne d’une musique aussi solennelle.
La dépouille traversa la chapelle et fut placée dans le fourgon, direction le funérarium. Sous un ciel gris, quelques personnes accompagnèrent Mélanie dans cet ultime voyage. Sagol et Gilles s’étaient retirés dans un angle du parvis. Ils purent observer les derniers adieux du public à leur amie. Christian Métayer et Fred Myrion se firent la bise et partirent chacun dans une direction. Mélanie réunit les amis d’enfance, le bon et le méchant se retrouvèrent l’espace d’une homélie.
L’enquête continuait cahin-caha son bonhomme de chemin. Différentes pistes furent explorées, de nombreux témoins entendus. Les semaines s’écoulèrent. L’affaire Mélanie Pralong passa au second plan, d’autres dossiers tout aussi importants attendaient les deux hommes. Ils mirent en sommeil certaines actions prévues.
Ils procédèrent à une énième vérification. Gilles avait répertorié les messages de condoléances ainsi que les expéditeurs de couronnes, bouquets, gerbes et plaques. Il identifia tous les auteurs, excepté une couronne de trente-deux roses et une de fleurs mélangées. Les messages joints aux fleurs méritaient un examen dans le détail. Les dédicaces intriguèrent Sagol en premier, maintenant Gilles tentait de comprendre et retrouver les émetteurs de ces couronnes. Il ne savait que trop que chaque détail laissé de côté pouvait faire échouer une enquête.
Trente-deux roses rouge pour dire : « Il reste toujours un peu de parfum à la main qui donne des roses ». Gilles ne comprenait pas, et il détestait ça. Bien sûr il pensait aux trente-deux chats, mais il trouvait la ficelle bien trop grosse. Il y avait peu de chance pour qu’il existe un rapport entre les fleurs et les chats.
La deuxième phrase s’accordait mieux avec la personnalité de Mélanie, Gilles aurait voulu pénétrer l’esprit de l’auteur de ces quelques mots. Comment percer le mystère ? Que voulait-on dire ? Il lut plusieurs fois le message, jusqu’à le connaître par cœur et se surprit à le réciter à haute voix. « Ce n'est pas le but de la promenade qui est important mais les petits pas qui y mènent ». Quelle philosophie de la vie pensait Gilles.
La livraison effectuée par le même fleuriste provenait de deux ordres différents via le réseau « Inter Flora ». Les enquêteurs contactèrent les commerçants qui avaient passé l’ordre. Les fleuristes ne virent pas le client, la commande parvint par écrit, déposé dans leur boîte à lettre accompagnée d’un billet de cent euros. Le commanditaire dactylographia sur un feuillet des instructions bien précises. Les deux boutiques se situaient à Bordeaux, à quelques centaines de mètres de distance. Les enveloppes arrivèrent par la poste, déposées au bureau principal de la ville. Bien entendu, le relevé d’empreintes ne donna aucun résultat, les documents manipulés à de nombreuses reprises possédaient les traces du personnel des magasins concernés, mais pas d’autres éléments permettant d’avancer.
Les deux hommes comprirent que le client protégeait son anonymat. Peut-être existait-il un rapport avec le meurtrier, telle était la question que se posait les enquêteurs. Le printemps n’allait plus tarder à mettre le nez à la fenêtre, nous étions déjà le quinze mars.
Gilles se hasarda à une hypothèse :
– Et si l’auteur du coup de fil passé depuis Bordeaux et l’acheteur des couronnes étaient la même personne ?
– Pourquoi pas mon cher, mais alors que penser de la communication passée de Grenoble ?
– Peut-être le même chef, matériellement il pouvait se trouver dans les deux villes.
– C’est vrai, il nous faudrait un coup de pouce pour avancer dans ce labyrinthe déclara Sagol.
8
Après un été particulièrement chaud, les deux collègues vivaient leurs derniers jours ensemble. Sagol attendait son affectation dans un service scientifique de la gendarmerie. Il s’occuperait de formation. Gilles irait pendant dix-huit mois à l’école nationale des officiers, suite à sa réussite au concours. Une page de leur vie professionnelle se tournait. Leurs caractères se complétèrent merveilleusement pendant ces années de collaboration.
L’imminence de leur départ ne les empêchait pas de travailler comme à l’accoutumée, avec sérieux et dévouement. En ce lundi huit septembre, le téléphone sonna, Sagol décrocha, Maître Lincourt, huissier de justice, l’informait qu’il devait inventorier la demeure de feue Mélanie Pralong. Rendez-vous fut pris pour l’après-midi à quatorze heures, rue du carillon.
Lorsqu’ils se rendirent sur les lieux du crime, Les deux enquêteurs se remémorèrent les moments les plus intenses de l’affaire. Ils cachaient mal leur déception. Ils quittaient leur poste sur un échec. Les deux hommes philosophes à leurs heures, en prirent leur parti. Néanmoins, une pointe d’amertume se lisait dans leurs yeux à l’évocation de l’histoire. Le dossier de la dame aux chats ne trouverait pas son épilogue avec eux.
Maître Lincourt attendait dans le couloir du rez-de-chaussée. Souffrant d’une maladie congénitale, l’homme chauve craignait le soleil. La dépigmentation fragilisait sa peau. Après de rapides salutations, l’auxiliaire de justice suivit les gendarmes jusqu’à l’appartement de Mélanie. Les scellés toujours en place, le chef procéda à l’ouverture de la porte.
Une couche uniforme recouvrait le sol et les meubles. Sagol s’adressa à ses compagnons, il déclara que cette poussière voulait recouvrir aux plus vite les mauvais souvenirs. L’huissier nota scrupuleusement chaque objet, c’était son métier. Gilles se disait que c’était dommage que la collection de livres soit dispersée. Les plus grands penseurs de la planète trônaient sur les étagères, ils assistèrent à de belles joutes orales. La philosophie prenait toujours le dessus, le mot de la fin.
L’homme de loi répertoria aussi les animaux, des toiles d’araignées tissées tout autour donnaient une touche étrange au tableau. Maître Lincourt qui n’avait rien dit jusqu’à présent se lâcha en saisissant un nouveau félin.
– C’est trop moche pour finir dans une salle des ventes, ce sera pour la déchetterie.
– D’autant que c’est un travail grossier, aucun taxidermiste ne travaille de cette manière rajouta Sagol.
L’huissier saisit un autre animal, Gilles lui précisa la race et la spécificité du pelage, sa visite chez le professeur Lapébie en faisait un spécialiste.
– Oh! Regardez, il a perdu une dent.
L’homme de loi désigna un petit morceau jauni tombé sur un guéridon.
Gilles se saisit de la dent et l’examina.
– Tout faux, il ne s’agit pas d’une dent, on dirait un grain de riz. L’assassin a dû manger asiatique ce jour là !
Sagol le scruta à son tour.
– Il a des aspérités. Il est bizarre, comme si des vers l’avaient croqué en surface.
Gilles regarda opérer l’huissier, ce dernier prit un abyssin, un autre grain de riz tomba de sa gueule, il l’observa parfaitement.
– Cette fois, je l’ai vu tomber, il est identique à l’autre.
– Vous avez raison, il nous faut examiner les autres félins.
Sagol mit le grain de riz dans un sachet en plastique.
Les trois visiteurs secouèrent délicatement chaque animal empaillé, ils récupérèrent trente grains de riz. Deux chats ne donnèrent aucune graine, les enquêteurs supposèrent que les grains étaient tombés lors de manipulations précédentes. Gilles et Sagol cherchèrent à quatre pattes dans l’appartement, ils durent se rendre à l’évidence, s’il existait trente-deux grains, deux s’avéraient introuvables.
Le chef sortit une loupe de sa mallette. Il essaya de voir de plus près les grains de riz. Il voulait comprendre la raison de leur apparence. Les vers pouvaient les avoir grignotés, ou bien d’autres indices figuraient sur les faces jaunies. Malheureusement, son instrument ne grossissait pas suffisamment. Il ne put distinguer quoi que ce soit. Le mystère restait provisoirement entier.
L’auxiliaire de justice continuait sa besogne sans sourciller, cela ne le concernait pas. Il assumait son travail. Il inventoriait. Sa rémunération dépendait du montant de l’estimation. Il notait, répertoriait et proposerait à la vente les biens de la défunte. Les grains de riz, n’étaient qu’un contretemps. Sa curiosité ne se situait pas au même niveau que les gendarmes.
Gilles essayait de clarifier ses idées, il partageait l’avis de son chef. Sagol pensait que le meurtre se rapportait à la passion de la vieille dame pour les chats. Il s’agissait de l’hypothèse principale. La seconde supposition concernait son passé de professeur de français et de philosophie. Comment ne pas associer les phrases des couronnes de fleurs à un penseur, oui mais lequel et pourquoi ? La question taraudait les deux pandores. Gilles avait relu Pascal ces dernières semaines, actuellement Voltaire et Platon trônaient sur sa table de chevet. Aucune lumière ne vint de ces philosophes.
Sagol, un peu moins littéraire, effectua des recherches à la médiathèque, sans plus de succès. Il récita les quelques lignes à son épouse, elle les avait trouvées très poétiques, mais ne connaissait pas l’auteur. Il supposait qu’il s’agissait du même poète.
Le chef et son adjoint se concertèrent longuement, Sagol enverrait les grains au labo afin de les faire examiner. Le laboratoire scientifique de la gendarmerie possédait des microscopes électroniques permettant d’analyser des surfaces infinitésimales. Il leur ferait parvenir dès ce soir.
Maître Lincourt termina son inventaire. Il demanda aux deux gendarmes les clés du logement, Sagol réfléchit un instant et lui donna le trousseau de clés. Pour lui, le riz était le dernier élément trouvable chez Mélanie, ils avaient déjà fouillé chaque pièce de fond en comble, garder les clés ne servirait à rien.
L’huissier verrouilla la porte et apposa de nouveaux scellés. Les trois visiteurs descendirent les escaliers, un chat gris leur fila entre les jambes. Il s’agissait du vieux Mistigris qui venait de temps en temps dans la maison de sa défunte bienfaitrice.
La nature ayant horreur du vide, une nouvelle voisine prit le relais de Mélanie pour nourrir les animaux, elle était plus jeune et la troupe l’adopta rapidement.
Avant de sortir de la maison, l’homme de loi précisa à l’adjudant-chef Sagol qu’il ferait parvenir l’acte de mise sous scellés dès le lendemain. Ils prirent congé, l’huissier partit en direction du square et les enquêteurs montèrent vers le château. Le soleil de fin d’été chauffait encore l’atmosphère, les deux hommes cheminèrent à l’ombre des vieilles demeures.
Ils travaillèrent sur le dossier toute la journée du mercredi, ils firent comme à leur habitude un point complet sur l’affaire. Ils reprirent chaque élément et confrontèrent leurs points de vue. Ils acquirent la certitude que l’assassin, qui n’avait probablement rien dérobé, connaissait bien Mélanie. Ils étaient certains que la vieille dame avait ouvert la porte à son agresseur, et que celui-ci était reparti par le même itinéraire en emportant un jeu de clés et le boîtier d’appel d’urgence.
Les deux protégés de Madame de Lucinges attestaient d’une préparation minutieuse du crime et de sa mise en scène. Le choix des chats de races différentes signifiait quelque chose, mais quoi ? En revanche, le meurtrier se révélait un piètre taxidermiste.
La conversation téléphonique échangée depuis une cabine à Grenoble avec la victime ne permettait pas aux différents auditeurs de reconnaître l’interlocuteur de la vieille dame. Là aussi les deux enquêteurs soupçonnaient l’homme d’être lié à l’affaire.
Les gendarmes considéraient trois groupes : celui lié à l’action caritative de la défunte dans laquelle ils regroupaient les gens de la SPA, les marginaux et vagabonds. Le second joint aux amitiés de guerre et de travail, et enfin celui qui concernait le voisinage.
Le meurtre ayant nécessité du temps et de la logistique, aucun marginal ou vagabond n’aurait pu agir avec autant de précision sans se faire remarquer. Mélanie partageant des valeurs identiques avec les bénévoles de la SPA, là aussi ils avaient du mal à y envisager un suspect. Les pandores s’accordaient pour éliminer le meurtrier de ce groupe.
Des amitiés liées à la guerre, il ne restait que la famille Pietrangeli. Impensable ! Mélanie en retraite depuis vingt-deux ans, ça paraissait long pour préméditer la mort d’un professeur de français.
Il restait le voisinage. « Et pourquoi pas un ancien voisin ? » se dirent les deux hommes ? Oui mais toutes les auditions s’avérèrent vaines. Le renouvellement étant très important parmi les jeunes couples, il fut difficile de retrouver tous les anciens habitants du quartier.
Gilles demanda à son chef s’il observait quelque chose de particulier concernant la date et l’heure du décès.
Sagol lui répondit qu’il n’oubliait jamais son anniversaire de mariage.
– Oui chef, sauf que cette année il correspondait avec le nouvel an chinois. Coïncidence ou préméditation telle est la question ?
– Ce sont les grains de riz qui vous inspirent mon cher ami ?
– Pas précisément, mais comme l’histoire est tordue, tout est possible chef.
– En effet, j’espère que le labo va nous éclairer. Car je commence à rire jaune avec tout cela et je crains que nous ne laissions le dossier à nos successeurs.
Les clichés agrandis des trente grains de riz parvinrent aux enquêteurs le jeudi matin onze septembre. Les deux hommes buvaient le café lorsqu’on leur apporta l’enveloppe contenant les photos et les grains en retour.
Sagol faillit s’étouffer en voyant sur la première feuille le grain de riz agrandi et photographié sur deux faces. Sur l’image de droite, on distinguait un tigre. Sur celle de gauche la gravure en relief révélait un mot. Trois lettres légèrement penchées formaient le mot « peu »
Gilles à son tour examina les autres agrandissements. Sur chaque feuillet figurait deux photos, à droite un animal, à gauche un mot, gravés dans le riz . Douze animaux différents composaient ce bestiaire.
Le chef et son adjoint dégagèrent une table et étalèrent les photos. Il y avait un rat associé au mot « toujours », un buffle avec « un », le chat figurait deux fois avec deux mots différents : « mais » et « de ». Le serpent, quant à lui, apparaissait trois fois avec les mots suivants : « n’est », « petits », « à ».
Gilles approcha le paper-board de la table et, pour plus de compréhension entreprit de noter tous les animaux avec les mots associés. Sagol dictait à son adjoint les associations. Quelques instants plus tard, ils regardaient perplexes le tableau. Voici ce que Gilles avait marqué :
Le chien la il des
Le buffle un
Le cheval pas pas la
La chèvre le qui main
Le sanglier roses promenade reste
Le singe but y qui
Le serpent n'est petits à
Le rat toujours
Le coq mènent donne de
Le chat mais de
Le tigre important peu
Le dragon ce parfum les
Sagol applaudit son collègue.
– Il y a longtemps que je n’ai vu d’aussi belles colonnes. Au fait c’est l’année de la chèvre, ce sont les bestioles de l’astrologie chinoise.
– Tout à fait chef, nous sommes en plein dans la symbolique asiatique. Je ne crois pas au hasard, il y a trop de choses concordantes.
– Quoi par exemple ?
– Eh bien ! L’assassinat le jour du nouvel an chinois, les grains de riz, les animaux du zodiaque, les regards des félins fixés sur la ville de Xian.
– Je suis d’accord avec vous, mais les mots sont écrits en français et les trente-deux chats, ce n’est pas une coutume usuelle en mer de Chine.
– J’en conviens chef, mais je pense quand même à quelqu’un gravitant autour ou dans la communauté.
– Il nous faudrait d’abord décrypter le message. Il nous manque deux indices avec les deux grains que nous n’avons pas trouvés.
– C’est vrai que si nous avions toutes les pièces, ce rébus serait plus aisé à résoudre. Il suffirait de trouver le bon ordre. Il doit y avoir une logique dans tout ça.
– Gilles, avez-vous quelques notions d’astrologie chinoise ?
– Un peu chef. Je sais par exemple qu’il y a une légende qui dit que Bouddha appela tous les animaux car il souhaitait procéder à une réorganisation de la Chine, enfin, de l’empire du milieu.
– Et alors ?
– Je sais que le rat arriva en premier, et qu’il n’en vint que douze.
– Les douze du zodiaque chinois ?
– Absolument chef, et je complèterai si vous le voulez bien : Bouddha affecta une année à chacun de ceux qui répondirent à son appel.
– C’est bien joli, mais quel rapport trouvez-vous avec la fin de Mélanie ?
– Au moment présent, je ne sais pas. Mais puisqu’on parle de légende, il me faut ajouter que chaque homme sur la planète s’identifie aux caractères de l’animal de sa date de naissance. Le symbolisme est fort et certains signes sont plus vénérés que d’autres. Ce qui justifie que certaines années soient plus fécondes et les mariages plus nombreux.
– Gilles mon cher ami, vous me dites que le rat arriva en premier, supposons que nous partions du même postulat concernant l’énigme, qu’est ce que cela donnerait ?
– L’assassin a associé le mot « toujours », à mon avis ce n’est pas le début de la phrase.
– Selon vous, l’ordre serait aléatoire ?
– Je ne dis pas cela chef, mais depuis un moment je me pose la question concernant l’ordre des animaux, chef.
– A supposer que vous ayez raison, il y a des bêtes qui ont un mot, d’autres deux ou trois, quel ordre me proposez-vous ?
– Depuis quelques années, je commence à vous connaître chef, si vous me posez la question, c’est que vous êtes comme moi : dans la panade !
– Un point pour vous Gilles, j’arrête de chinoiser !
– J’apprécie votre humour débridé chef !
– Allez, soyons sérieux, le sujet mérite toute notre attention et même plus mon ami.
Le chef Sagol et le gendarme Gilles planchèrent toute la journée et quittèrent leur bureau vers vingt heures. Chaque hypothèse faisait l’objet d’âpres discussions, mais rien ne venait dissiper la brume qui entourait le dossier. Chaque animal avec son mot associé fut examiné.
Gilles se documenta sur les caractéristiques de chacun des douze signes et sur l’élément associé. L’eau, le bois, le feu, la terre et le métal composaient les cinq éléments.
Le rat, le buffle et le sanglier appartenaient à « l’eau », élément mystérieux et froid indiquant l’intériorité.
L’imagination, l’amabilité et l’harmonie caractérisaient le « bois » auquel le tigre, le chat et le dragon étaient liés.
Le serpent, le cheval et la chèvre s’associaient au « feu », la passion et l’enthousiasme caractérisaient cet élément.
Détermination et lucidité pour le « métal » qui était représenté par le singe, le coq et le chien,