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Gilles composa un nouveau tableau sur le paper board, il avait repris le précédent en y ajoutant les éléments et leurs caractéristiques.
Eau mystérieux froid intériorité Le rat toujours
Eau mystérieux froid intériorité Le buffle un
Eau mystérieux froid intériorité Le sanglier roses promenade reste
Bois imagination amabilité harmonie Le chat mais de
Bois imagination amabilité harmonie Le tigre important peu
Bois imagination amabilité harmonie Le dragon ce parfum les
Feu passion enthousiasme Le serpent n'est petits à
Feu passion enthousiasme Le cheval pas pas la
Feu passion enthousiasme La chèvre le qui main
Métal détermination lucidité Le singe but y qui
Métal détermination lucidité Le coq a mènent donne de
Métal détermination lucidité Le chien la il des
Chaque animal fut disséqué. Sagol se faisait un reproche. N’ayant pas numéroté les grains de riz lors de la découverte, les enquêteurs ne pouvaient rapprocher l’élément, le mot et le signe avec les chats dont ils provenaient. Ils commirent une faute de débutant, mais une découverte aussi insolite déstabilisa les deux hommes. Ils se partagèrent l’erreur sans fierté.
– Chef, je ne crois pas que l’attribution d’un signe chinois à chaque matou nous fera progresser, je ne pense pas que l’assassin soit aussi machiavélique.
– J’espère que vous avez raison, plus je tourne tout cela dans mon crâne et moins mes neurones sont réactifs.
– J’ai essayé de faire abstraction des animaux, et de ne garder que les mots, mais je n’arrive pas à composer une phrase censée.
– N’oublions pas Gilles, qu’il nous manque deux grains avec probablement entre deux et six mots, en s’appuyant sur ce que nous possédons.
– Exact, à souligner aussi des mots à signification multiple, j’en ai identifié plusieurs.
– Lesquels par exemple demanda Sagol ?
– Roses, reste, pas, la, but, donne. Et je dois en oublier.
– Très juste. Je pense au mot « roses », s’agit-il de la couleur ou bien de la fleur. Pratiquez-vous les mots croisés, fléchés et autres trucs cérébraux propres aux cruciverbistes ?
– A mes moments perdus, ce qui veut dire pas très souvent, chef. Et vous ?
– Mon épouse adore, elle est même assez douée je dois dire.
– Il faut lui mettre le rébus entre les mains, si elle trouve, vous lui ferez cadeau d’un recueil de maître Capello.
– Merci Gilles, je préfère vous confier le bébé.
– J’ai une autre idée chef, demain je vais récupérer un logiciel permettant de fabriquer des phrases en lui donnant des mots
– Excellente idée, si la solution peut venir de la technique, pourquoi pas cher ami. Pour ce soir j’en ai assez, je suis dans le brouillard le plus complet.
Sagol s’assombrissait de plus en plus, il n’arrivait pas à faire des associations entre les mots, les signes et les éléments. Gilles tentait des alliances en tenant compte des différents paramètres. La fatigue eut raison de la bonne volonté des enquêteurs. D’un commun accord, ils décidèrent d’arrêter avant d’attraper la migraine. Le message de l’assassin restait aussi mystérieux.
Les deux hommes éteignirent les ordinateurs et les lumières, ils remettraient le couvert le jour suivant.
Vendredi douze septembre, le café rapidement absorbé, les deux gendarmes reprirent leurs investigations. La nuit fut courte et agitée. Les deux enquêteurs ne purent se débarrasser des trente grains de riz et de la phrase à reconstituer. Sagol, qui en avait vu bien d’autres, se piqua au jeu et se surprit au milieu d’une insomnie. Le chef marmonnait les mots, cela réveilla Juliette son épouse. Le carillon sonna deux heures, le couple eut un mal fou à recouvrer le sommeil.
Gilles fit face aux mêmes tourments. L’assassin avait trouvé le remède pour rester éveillé. Il but une bouteille d’eau de vichy dans la nuit. Il mémorisa dix fois, vingt fois et plus les mots. A cinq heures, en désespoir de cause, il se leva, prit sa douche et absorba son petit déjeuner. Il n’était pas encore sept heures lorsque les deux collègues se retrouvèrent dans le bureau du chef.
Gilles partit sur le Net à la recherche du logiciel qui les aiderait à mettre les mots dans le bon ordre.
Sagol relisait ses notes. Il s’apprêtait à faire une requête auprès du fichier central en communiquant tous les indices dont il disposait. Un rapprochement serait effectué avec toutes les affaires élucidées ou non. Le système procédait par élimination. Il prenait d’abord tous les éléments, et au fur et à mesure occultait certaines données, la puissance de calcul et de recherche des ordinateurs faisait le reste. La phase de saisie des données s’avérait fastidieuse. Il s’agissait d’être le plus succinct possible tout en étant précis, là résidait la difficulté de l’exercice.
Le carillon du château s’apprêtait à sonner neuf heures. Le soleil brillait déjà au-dessus des toits de la vieille ville. Les deux hommes étaient maintenant parfaitement éveillés et l’esprit aux aguets. Gilles et le logiciel «motus » s’activaient, de nombreuses formulations, toutes plus incohérentes les unes que les autres, s’affichaient au bas de l’écran. Décidément, même l’ordinateur ne voulait pas donner la bonne solution. Un message s’afficha plusieurs fois, Gilles le lut à haute voix.
– Phrase incorrecte. Chef je crois que le message est délivré en plusieurs phrases.
– Hypothèse intéressante Gilles, pouvez-vous proposer un nombre précis à votre système de recherche ?
– Absolument chef, ce qui me chagrine, ce sont les mots qui manquent.
– Peut-être pourriez-vous lui demander de proposer un certain nombre de mots ?
– Connaissez-vous le nom du logiciel ?
– Vous allez me le dire Gilles.
– « Motus », alors je vais essayer en espérant qu’il ne soit pas « bouche cousue ».
– Je pense que les deux signes qui manquent sont le rat et le buffle, et le nombre de mots se situent entre deux et cinq.
– Je vous suis cher ami, en effet ça paraît plausible.
Sagol termina la saisie des données concernant les indices de l’affaire Mélanie Pralong. D’ici une dizaine de minutes, il recevrait une réponse. Ce logiciel était d’une aide précieuse. De nos jours, l’informatique permettait de réduire l’avance des délinquants par rapport aux enquêteurs. Fini le temps où les gendarmes poursuivaient les voleurs avec leurs bicyclettes, aujourd’hui ils disposaient des outils les plus modernes.
– Alors Gilles, je ne vous entends plus, auriez-vous quelque difficulté insurmontable ?
– Non chef ! Je dirais le contraire, « Motus » me fait des propositions, il y a probablement deux phrases.
– Ah oui ? Je suis impatient ! Que me proposez-vous ?
– C’est trop tôt chef, je pense qu’avant le dixième coup des cloches du château je serai en mesure de vous soumettre quelque chose. Et vous chef ?
– J’attends le retour d’une minute à l’autre, le serveur principal a validé ma demande alors il ne reste plus qu’à croiser les doigts ou prier, au choix.
Le carillon venait de sonner neuf heures et demie, Gilles prenait connaissance des dernières propositions. Deux phrases clignotaient sur l’écran.
– Chef, vous ne devinerez pas ce qu’il me propose ce cher « Motus », je vous le donne en mille ?
– Je vous écoute mon cher.
– Si je vous récite la première, je suis certain que vous me donnerez la seconde.
– Allons-y.
– Voilà, ce qu’il affiche : « Il reste toujours un peu de parfum à la main qui donne des roses ».
– Ne me dites pas que la deuxième phrase c’est : « Ce n'est pas le but de la promenade qui est important mais les petits pas qui y mènent ».
– Quelle perspicacité chef, je vous jure que je n’ai pas soufflé la solution.
– Quels sont les mots que nous n’avons pas retrouvés, Gilles?
– Il y en aurait trois : « est, qui, y ».
– Gravés probablement avec un buffle et un rat.
– Oui chef, nous pouvons le supposer.
– Donc, cela confirme ce que nous pensions. L’assassin a fait envoyer des fleurs aux obsèques de la vieille dame, puisqu’il y avait les mêmes épitaphes.
– Tout à fait d’accord avec vous chef, reste à comprendre ce qu’il veut dire et ce n’est pas encore gagné.
– N’oublions pas que Madame Pralong pratiquait la philosophie, nous devons chercher aussi dans cette voie.
– Comme un bonheur n’arrive jamais seul chef, je pense avoir trouvé l’auteur célèbre de ces deux pensées. Il s’agit de Confucius.
– C’est vrai que ça ressemble bien à des maximes chinoises. Comment avez-vous fait cher ami Gilles ?
– Très simple, une requête sur Internet et nous voilà fixés.
– Décidément nous ne sortirons pas de l’Asie. Je résume : les chats regardaient tous en direction de la Chine, Xian pour être plus précis, la gravure des grains de riz est une spécialité chinoise, les animaux gravés sont ceux de l’astrologie chinoise, et maintenant les pensées de Confucius.
– Je vais vous faire une confidence chef, c’est la première fois que j’enquête avec la Chine pour toile de fond.
– Confidence pour confidence Gilles, moi aussi. Nous avançons en terrain vierge.
Sagol jeta un œil sur l’écran de son ordinateur, une icône clignotait. C’était le signal attendu, la réponse du fichier central était arrivée. Il ouvrit le programme, le fichier se téléchargea en quelques secondes.
Le système procéda par pertinence. Il proposa de nombreuses réponses, dont six avec un taux de vraisemblance élevé.
Gilles se pencha à son tour sur le moniteur, les propositions s’affichèrent.
Il y eut d’abord le cas d’un chat trouvé mort auprès de son maître assassiné, l’homme et l’animal étranglés furent disposés selon un rituel macabre, des dessins de squelettes et de têtes de mort gravés sur le plancher. Un homme évadé d’un asile psychiatrique fut confondu, notamment grâce aux empreintes. Aucun mobile autre que la folie ne justifiait un tel acte. La victime, un homme veuf âgé de soixante et onze ans vivait une retraite paisible d’ex-employé de banque. Aux dires des voisins et relations, il possédait un tempérament serviable et chaleureux, on ne lui connaissait aucun vice, un homme tranquille en somme. Il ne pouvait s’agir du meurtrier de Mélanie, il se trouvait sous les verrous à l’heure du crime. Fait troublant, le déséquilibré était un réfugié vietnamien de trente-huit ans.
A Compiègne, deux jeunes femmes lesbiennes âgées d’une trentaine d’années furent retrouvées gisantes dans leur sang, elles ne durent leur salut qu’à un voisin qui, étant en panne de téléphone, vint s’assurer que la défaillance provenait de son installation ou de l’opérateur. Il entendit des râles entrecoupés par le Yorkshire qui hurlait. Il actionna la poignée de la porte qui s’ouvrit. Dans le couloir une jeune femme presque entièrement dévêtue gisait, c’est elle qui râlait. Le voisin décrocha le combiné qui par chance fonctionnait. La police et le SAMU intervinrent moins de cinq minutes après l’appel, à ce jour les deux jeunes femmes avaient repris une vie presque normale. Sur chaque porte à l’intérieur de la maison, des oiseaux naturalisés avaient été cloués. Les deux jeunes femmes ne purent donner un signalement de leur agresseur. Il portait une cagoule noire et des gants de cuir. Il ne prononça pas un seul mot. Les victimes firent l’objet de sévices sexuels après avoir été assommées. De plus, leurs poils pubiens furent brûlés avec une cigarette, les policiers relevèrent des traces de cendres sur le bas ventre d’une des jeunes femmes. Le fichier signalait qu’une agression similaire s’était produite un mois plus tard en Belgique dans la ville de Namur, le mode opératoire s’avérait identique, sauf que la victime hétérosexuelle décéda lors de son transfert à l’hôpital, sans pouvoir aider les enquêteurs. Elle venait d’avoir vingt-sept ans.
Les deux hommes attrapèrent la nausée à la lecture des faits. Ils pensaient que cela n’avait rien à voir avec l’affaire Mélanie Pralong. Il s’agissait de femmes jeunes, et le mobile sexuel devait être mis en avant. Il n’y avait pas de chats, mais des oiseaux. Dans le cas de la défunte, la mort avait été provoquée par étouffement, dans les autres cas, les agresseurs avaient utilisé l’arme blanche. Les gendarmes passèrent au dossier suivant.
A Amboise, sur les bords de la Loire, un meurtre ignoble s’était produit. L’assassin avait disposé des fleurs partout dans l’appartement de sa victime étranglée. Sa proie, une femme seule, venait de fêter son quarante-cinquième anniversaire. Le meurtrier fit confectionner des couronnes mortuaires avec des fleurs blanches uniquement. La police l’appréhenda à la sortie du cimetière. Il s’agissait d’un ancien amant éconduit; son procès était prévu aux assises quelques semaines plus tard.
Sagol lut à haute voix l’histoire d’un chasseur exécuté avec sa propre arme. Son visage dissimulé sous ses trophées empaillés était méconnaissable. Le meurtrier confondu préféra mettre fin à ses jours que de se rendre aux autorités. L’affaire se déroula quelques mois avant la fin tragique de la dame aux chats.
A Blayouville, petit village du bocage normand, l’absence d’une dame nonagénaire à la kermesse paroissiale intrigua les bonnes dames de la paroisse. Deux d’entre elles furent dépêchées à son domicile. N’obtenant aucune réponse, elles firent appel à Monsieur le maire qui cassa un carreau pour pouvoir pénétrer à l’intérieur. Il découvrit la vieille dame immobile dans son fauteuil. Il y avait des bougies consumées partout dans la maison. De tous côtés des fleurs disposées dans des boîtes de conserves exhalaient une odeur nauséabonde. La nonagénaire dormait d’un sommeil profond, celui dont on ne se réveille pas. L’enquête conclut à une mort naturelle. Le décès fut annoncé après la kermesse, dans le bocage la tradition primait sur toute autre considération.
Sagol et son adjoint savaient que l’interrogation du fichier central n’apporterait pas la réponse à la question : « Qui est le meurtrier ? ». L’expérience les incitait à ne rien négliger. Parfois un indice anodin, une information fournie, et un gain de temps précieux se réalisait. L’informatique se révélait un outil indispensable. Aujourd’hui encore cela se vérifiait. Ils n’étaient pas au bout de leurs surprises.
Une autre indication interpella les investigateurs penchés sur l’écran, de nombreux chats disparaissaient dans le bordelais. Pourquoi là plutôt qu’ailleurs ?
La dernière des six propositions prioritaires du fichier central s’avéra la plus convaincante.
9
Le spécialiste Ernest Lapébie continuait de couler des jours heureux dans sa maison du village de Conques. L’été caniculaire s’avéra moins difficile à vivre qu’il ne l’avait craint. L’épaisseur des murs de schiste permit au couple de garder une température raisonnable dans la demeure. Ghislaine se levait tôt le matin pour aérer les pièces à vivre.
Ernest hésita pour l’installation de la climatisation. En bon scientifique, il pesa le pour et le contre, les inconvénients l’emportaient nettement sur les avantages. Sa décision fut prise il n’y aurait pas de climatiseur. Des générations de villageois vécurent ici sans d’autres solutions que le bon sens, le professeur Lapébie souhaita s’inscrire dans cette continuité.
Le trésor touristique, comme l’appelait le professeur, commençait à s’éclaircir. Après la rentrée des classes les visiteurs, moins nombreux et moins stressés, permettaient à Ernest de sortir à nouveau au sein des ruelles de la vieille cité. Pendant les mois de juillet et août, il évitait autant que possible la tranche horaire située entre dix heures et dix-huit heures. La foule envahissait le moindre recoin. Conques vivait son enfer, le paradis attendrait les autres mois de l’année.
Platon et ses congénères sortaient la nuit. Il n’était pas question de se montrer à ces cohortes belliqueuses. Il valait mieux se faire discret. Les matous ne sont pas toujours appréciés. Platon se glissait facilement au dehors, Ghislaine entrouvrait une fenêtre et le tour était joué.
Il était près de onze heures lorsque le téléphone sonna dans le bureau, Ghislaine décrocha. Au bout du fil se trouvait leur ami Hantz Bauer.
– Allô ! Bonjour Ghislaine c’est Hantz, comment allez-vous ?
– Bien et vous cher ami ?
– Comme un homme qui cache son âge, Ernest est-il avec vous ce matin ?
– Oui je vous l’appelle. Ernest, c’est ton ami Hantz Bauer.
– Dis-lui que j’arrive tout de suite.
– Je vous laisse Hantz, je vous passe Ernest, à bientôt, vous nous avez promis une visite.
– Je vous promets de me mettre d’accord avec votre époux, je vous embrasse.
– Allô ! Bonjour Hantz, quoi de neuf à Francfort ?
– Je crois que j’ai une information qui pourrait t’intéresser. Te rappelles-tu notre conversation du mois de février dernier.
– Tu sais nous nous appelons fréquemment, précise-moi de quoi il s’agissait.
– Une enquête au sujet de chats disparus.
– Ah oui ! Les chats de notre ami le gendarme Gilles.
– C’est bien de cela qu’il s’agit.
– J’ai conversé avec lui la semaine passée au bout du fil, son enquête piétine.
– Je t’avais parlé des époux Brighton qui s’en étaient retournés à Albuquerque, avec leur « Wirehair ».
– Absolument, et j’avais communiqué leurs coordonnées au gendarme Gilles.
– Eh bien Ernest ! Il y a un fait nouveau, leur chat a disparu.
– Je comprends, mais l’assassin n’est pas allé chercher le matou à Albuquerque.
– Non, il a disparu en Europe, et plus précisément dans le vignoble bordelais.
– Comment cela Hantz ?
– C’est tout simple, ils viennent d’appeler un ami commun et ils ont raconté leur histoire. Le chat a été subtilisé dans leur voiture lors d’un arrêt à une station service.
– Ce n’est pas banal, ils ont laissé le chat avec les clés de la bagnole ?
– C’est presque ça, le mari s’est éloigné de la voiture et des pompes à essence pour fumer une cigarette, son épouse venait de rentrer à l’intérieur de la station.
– Ils n’ont rien pu faire ?
– Malheureusement, lorsqu’ils se sont aperçus de la disparition de leur animal, ils avaient effectué quelques kilomètres. Ils ont fait demi-tour, sans succès. Personne n’avait vu le chat.
– Ont-ils déclaré la disparition aux autorités de police.
– Non, ils sont restés deux jours à le chercher dans les environs de la station. Comme ils ne pouvaient manquer leur vol, ils ont quitté la région la mort dans l’âme.
– Pourquoi n’ont-ils pas porté plainte ?
– Les documents douaniers n’étaient pas en règle. Les déplacements ainsi que l’exportation ou l’importation des espèces rares sont très réglementés. Les époux Brighton auraient dû solliciter les autorités vétérinaires allemandes et américaines ainsi que les douanes françaises pour le transit.
– Je comprends, voilà pourquoi ils ont préféré taire la disparition. Comment ont-ils fait aux USA ?
– Ils ont signalé une banale fugue. Et l’animal n’est jamais réapparu.
– Il s’agit sûrement de celui qui a été trouvé par notre ami le gendarme Gilles. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée d’informer les époux Brighton. En revanche, je vais informer les enquêteurs si tu en es d’accord ?
– Bien entendu Ernest, je t’appelais pour que tu relayes cette information auprès des autorités.
– Je te remercie bien, et je vais joindre le gendarme Gilles. Toutes mes amitiés, je te rappellerai demain soir.
– Entendu Ernest, embrasse Ghislaine pour moi, à demain.
Ernest Lapébie regarda sa femme, elle avait décrypté la conversation, il fallait communiquer l’information aux enquêteurs, cela pourrait les aider.
Sagol et son adjoint commencèrent la lecture du sixième élément. Le téléphone sonna, Gilles regarda sa montre il était onze heures vingt.
– Gendarme Gilles je vous écoute !
– Allô! Bonjour ici Ernest Lapébie, je vous dérange ?
– Bonjour professeur, vous connaissez mon plaisir de converser avec vous.
– Merci mon jeune ami, je vous appelle au sujet de votre affaire de chats. J’ai du nouveau pour vous.
– Ah oui ! Vous avez trouvé le coupable professeur ?
– J’aimerais, ce que je vais vous dire va vous intéresser. Je viens de parler avec mon ami allemand Hantz Bauer de Francfort, il m’a relaté une histoire à dormir debout.
– Je vous écoute avec attention, je vais mettre le haut-parleur afin que mon chef puisse entendre.
– Entendu, bonjour chef, voilà ce que j’ai appris : le chat « Wirehair » des époux Brighton a disparu dans la région de Bordeaux quelques semaines avant l’assassinat de cette dame.
– Pourquoi ne le sait-on que maintenant professeur ? Demanda Gilles.
– Parce que les propriétaires n’étaient pas en règle avec les services vétérinaires et douaniers. Ce genre de race ne peut voyager sans les autorisations de ces organismes.
Ernest Lapébie restitua aux enquêteurs toute l’histoire que lui avait racontée son ami Hantz. Gilles remercia le professeur et Sagol eut un petit mot gentil à l’intention du spécialiste qui y fut sensible.
Ce qui interpellait les deux hommes, une fois de plus, c’était le Bordelais. Ils acquirent la conviction que la solution de l’énigme se trouvait dans la Gironde. La lecture du rapport émanant du fichier central conforta leur hypothèse.
Une vieille dame découverte morte, noyée dans sa baignoire, dans la région de Bordeaux il y a trois ans, meurtre ou mort naturelle, la cause du décès n’a pas été élucidée. Le fils de la défunte trouva un mois après des fleurs séchées, un bouquet de trente-deux roses et dans chacune se trouvait un grain de riz gravé. Il en fut recensé vingt-neuf, trois ont probablement été déplacés ou aspirés lors du nettoyage. Le décès eut lieu le premier jour du nouvel an chinois, le samedi cinq février.
Sagol retrouvait le moral, il procéda à une nouvelle requête auprès du fichier central. Il voulait en savoir plus. Malheureusement, tout ce que les enquêteurs avaient saisi dans le système informatique se trouvait devant ses yeux. Il nota les coordonnées des gendarmes en charge du dossier au moment des faits et fit un point avec son adjoint.
– Il nous faut considérer ce qui est commun aux deux cas, ensuite nous appellerons Bordeaux.
– Chef ! Je remarque d’abord le décès le jour du nouvel an chinois.
– Exact, il y a aussi les grains de riz, il faudra décrypter la gravure.
– Le chiffre trente-deux, il y avait un bouquet de trente-deux roses aux obsèques de
Mélanie.
– Oui Gilles ! Et dans les deux cas, les vieilles dames vivaient seules.
Les deux hommes furent rattrapés par la faim, ils avaient absorbé le petit déjeuner tôt. Ils s’accordèrent une pause déjeuner vers treize heures. Ils reprirent le dossier Mélanie à quatorze heures. Sagol appela l’adjudant qui s’était occupé de l’enquête concernant le décès de Madame Louise Chauvier.
– Adjudant Paturel, bonjour.
– Bonjour, je suis l’adjudant-chef Sagol, je suis le responsable d’un dossier concernant le meurtre d’une vieille dame, je souhaite m’entretenir avec vous sur l’affaire Chauvier.
– Vous comprendrez mon adjudant-chef que je ne peux vous répondre sans m’assurer de votre identité, je consulte le fichier, et je vous rappelle tout de suite.
– Entendu mon adjudant, à tout de suite.
Sagol apprécia le professionnalisme de son interlocuteur, il trouva normal que le gendarme bordelais vérifie l’habilitation de son correspondant. A peine cinq minutes s’étaient écoulées, l’adjudant Paturel rappela le chef Sagol.
– Je suis à votre disposition chef.
Sagol et Paturel se tutoyèrent tout naturellement, alors qu’avec Gilles ce pas ne fut jamais franchi.
– Je voudrais en savoir un peu plus sur cette affaire, car nous trouvons des similitudes dans les dossiers.
– Tu sais, j’ai pris cette affaire en cours de route. Mon collègue venait de mourir dans un accident de la circulation.
– Je comprends, avez-vous fait procéder à une autopsie ?
– Non, et lors de la découverte des grains de riz, l’incinération de la défunte mit fin à toute possibilité de détermination de la cause du décès.
– Pour quelle raison l’autopsie n’a pas été pratiquée lors de la découverte du corps ?
– Deux raisons nous ont amenés à cette regrettable situation , le médecin traitant délivra le permis d’inhumer, il opta pour un malaise dans la baignoire. La deuxième raison, tenait dans la disparition simultanée d’une jeune fille de neuf ans qui mobilisa tous nos effectifs, alors le décès d’une nonagénaire ne présentait pas le même degré d’urgence.
– Vois-tu quelque chose de plus à me communiquer sur Louise Chauvier ?
– Oui, ses deux chats ont disparus, ils n'ont jamais été retrouvés.
– Existe-t-il des photos de ces animaux ?
– Bien entendu, nous avons aussi les photos agrandies des grains de riz.
– Nous avons besoin d’une copie de ces documents.
– Je scanne tout ça, et je te les transmets par voie électronique.
– Une dernière question.
– Je t’écoute.
– Avez-vous enquêté dans la communauté asiatique ?
– Concernant les grains de riz, oui et non. Personne ne fut en mesure de nous donner des indications fiables. Tu sais, je crois que ce dossier n’est pas à classer parmi nos réussites. J’espère de tout cœur que vous trouverez le coupable.
– Comme vous, nous évoluons dans le flou, pas le moindre suspect à se mettre sous la dent.
– Je vais me replonger dans l’affaire et si je trouve un élément que nous n’avons pas évoqué, je t’appelle.
– Entendu Paturel, je te souhaite une bonne continuation.
– Pareillement, à bientôt Sagol.
En fin d’après-midi l’adjudant Paturel transmit les copies des clichés concernant les deux chats de Madame Louise Chauvier ainsi que les agrandissements des grains de riz gravés.
Gilles compara les images avec celles des animaux retrouvés chez Mélanie Pralong. Il y avait une similitude frappante. Les deux abyssins semblaient être des clones. Le second chat était plus commun, mais sa robe permettait aisément son identification. Il s’agissait d’une femelle de type « chat commun européen », le pelage blanc roux et noir laissait apparaître des tâches identiques sur le dos et le bout des pattes. Malgré une naturalisation d’amateur, les caractéristiques des uns et des autres se décelaient facilement pour un œil aussi observateur que celui du gendarme Gilles. Le professeur Lapébie ne s’y était pas trompé, Gilles savait retenir les détails.
– Chef ! Je suis certain que nous avons affaire au même meurtrier. Madame Chauvier a été assassinée.
– Je le pense depuis le moment où j’ai lu le résumé de l’affaire. Il n’y a plus de corps, une nouvelle expertise est impossible. Nous ne pourrons rien imputer à l’assassin sans obtenir ses aveux. Cher ami, aujourd’hui, nous sommes très éloignés de ce cas de figure.
– Il faut croire en notre bonne étoile chef. Avez-vous regardé votre horoscope chinois ce matin ?
– Foutaises ! Pour les chinoiseries, je compte sur vous. Pour ce qui me concerne, il n’y a que le « Gourmet Mandarin » sur lequel je pourrais vous raconter quelque chose, car leur cuisine est divine.
– Et les grains de riz ?
– Ils sont identiques aux nôtres. Enfin par précaution, je dirais qu’ils se ressemblent beaucoup. Je vais demander une analyse comparative. Pour ce qui concerne les gravures, les mots sont les mêmes ainsi que les animaux du zodiaque chinois. La seule différence réside dans la quantité, ils n’ont trouvé que vingt-neuf grains.
– Voulez-vous que nous passions les mots dans le logiciel « motus » ?
– Allez-y, mais je connais la réponse, j’ai repéré les mots manquants.
– C’est parti chef.
Il fallut plus de temps au gendarme pour saisir les vingt-neuf mots, qu’au logiciel pour faire des propositions. Une seule réponse fut proposée. Les deux phrases de Confucius rebondissaient comme un boomerang qui atteint sa cible.
Les deux hommes récitèrent à haute voix les pensées : « Ce n'est pas le but de la promenade qui est important mais les petits pas qui y mènent. Il reste toujours un peu de parfum à la main qui donne des roses ». Il paraissait facile d’interpréter au premier degré le sens des trente-deux mots, mais l’assassin devait faire référence à autre chose, un événement ou un lieu. Cela obsédait les enquêteurs.
Gilles scrutait chaque cliché, allant jusqu’à comparer l’arrondi des grains. Il confronta chaque mot par rapport à celui retrouvé chez Mélanie. Tout se ressemblait, et pourtant, les crimes s’étaient produits à trois ans d’intervalle.
Les deux hommes craignaient que le meurtrier n’ait constitué des stocks de grains gravés et qu’il renouvèle ses sinistres activités lors d’un autre nouvel an chinois. Le rituel laissait supposer que l’individu passait à l’action lors des festivités du passage vers la nouvelle année. Il restait quelques mois pour empêcher la récidive.
Le soleil s’était caché derrière le donjon du château. Il régnait une douce chaleur. Depuis son bureau, le chef contemplait les montagnes dont une partie se trouvait déjà dans l’ombre. Il était presque dix-neuf heures et les deux hommes venaient de terminer leur semaine. Il ne leur restait que quelques jours avant leur nouvelle affectation. Ils avaient à cœur d’élucider le mystère de Mélanie Pralong la dame aux chats. Pour l’heure, ils échangèrent une poignée de main vigoureuse, le week-end leur appartenait.