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#152985
AAriane
Participant

    HUGO, Victor – Les Contemplations (Sélection)







    VIEILLE CHANSON
    DU JEUNE TEMPS

    Je ne songeais pas à Rose;
    Rose au bois vint avec moi;
    Nous parlions de quelque chose,
    Mais je ne sais plus de quoi.

    J'étais froid comme les marbres;
    Je marchais à pas distraits;
    Je parlais des fleurs, des arbres;
    Son oeil semblait dire: -Après?-

    La rosée offrait ses perles,
    Les taillis ses parasols;
    J'allais; j'écoutais les merles,
    Et Rose les rossignols.

    Moi, seize ans, et l'air morose;
    Elle vingt; ses yeux brillaient.
    Les rossignols chantaient Rose
    Et les merles me sifflaient.

    Rose, droite sur ses hanches,
    Leva son beau bras tremblant
    Pour prendre une mûre aux branches;
    Je ne vis pas son bras blanc.

    Une eau courait, fraîche et creuse
    Sur les mousses de velours;
    Et la nature amoureuse
    Dormait dans les grands bois sourds.

    Rose défit sa chaussure,
    Et mit, d'un air ingénu,
    Son petit pied dans l'eau pure;
    Je ne vis pas son pied nu.

    Je ne savais que lui dire;
    Je la suivais dans le bois,
    La voyant parfois sourire
    Et soupirer quelquefois.

    Je ne vis qu'elle était belle
    Qu'en sortant des grands bois sourds.
    -Soit; n'y pensons plus!- dit-elle.
    Depuis, j'y pense toujours.



    ****************************************

    Elle était déchaussée, elle était décoiffée,
    Assise, les pieds nus, parmi les joncs penchants;
    Moi qui passais par là, je crus voir une fée,
    Et je lui dis: Veux-tu t'en venir dans les champs?

    Elle me regarda de ce regard suprême
    Qui reste à la beauté quand nous en triomphons,
    Et je lui dis: Veux-tu, c'est le mois où l'on aime,
    Veux-tu nous en aller sous les arbres profonds?

    Elle essuya ses pieds à l'herbe de la rive;
    Elle me regarda pour la seconde fois,
    Et la belle folâtre alors devint pensive.
    Oh! comme les oiseaux chantaient au fond des bois!

    Comme l'eau caressait doucement le rivage!
    Je vis venir à moi, dans les grands roseaux verts,
    La belle fille heureuse, effarée et sauvage,
    Ses cheveux dans ses yeux, et riant au travers.



    *****************************************



    CHANSON

    Si vous n'avez rien à me dire,
    Pourquoi venir auprès de moi?
    Pourquoi me faire ce sourire
    Qui tournerait la tête au roi?
    Si vous n'avez rien à me dire,
    Pourquoi venir auprès de moi?

    Si vous n'avez rien à m'apprendre,
    Pourquoi me pressez-vous la main?
    Sur le rêve angélique et tendre,
    Auquel vous songez en chemin,
    Si vous n'avez rien à m'apprendre,
    Pourquoi me pressez-vous la main?

    Si vous voulez que je m'en aille,
    Pourquoi passez-vous par ici?
    Lorsque je vous vois, je tressaille:
    C'est ma joie et mon souci.
    Si vous voulez que je m'en aille,
    Pourquoi passez-vous par ici?



    *******************************



    Mon bras pressait la taille frêle
    Et souple comme le roseau;
    Ton sein palpitait comme l'aile
    D'un jeune oiseau.

    Longtemps muets, nous contemplâmes
    Le ciel où s'éteignait le jour.
    Que se passait-il dans nos âmes?
    Amour! amour!

    Comme un ange qui se dévoile,
    Tu me regardais, dans ma nuit,
    Avec ton beau regard d'étoile,
    Qui m'éblouit.



    ****************************************

    BILLET DU MATIN

    Si les liens des coeurs ne sont pas des mensonges,
    Oh! dites, vous devez avoir eu de doux songes,
    Je n'ai fait que rêver de vous toute la nuit.
    Et nous nous aimions tant! vous me disiez: -Tout fuit,
    -Tout s'éteint, tout s'en va; ta seule image reste.-
    Nous devions être morts dans ce rêve céleste;
    Il semblait que c'était déjà le paradis.
    Oh! oui, nous étions morts, bien sûr; je vous le dis.
    Nous avions tous les deux la forme de nos âmes.
    Tout ce que, l'un de l'autre, ici-bas nous aimâmes
    Composait notre corps de flamme et de rayons,
    Et, naturellement, nous nous reconnaissions.
    Il nous apparaissait des visages d'aurore
    Qui nous disaient: -C'est moi!- la lumière sonore
    Chantait; et nous étions des frissons et des voix.
    Vous me disiez: -Écoute!- et je répondais: -Vois!-
    Je disais: -Viens-nous-en dans les profondeurs sombres;
    -Vivons; c'est autrefois que nous étions des ombres.-
    Et, mêlant nos appels et nos cris: -Viens! oh! viens!
    -Et moi, je me rappelle, et toi, tu te souviens.-
    Éblouis, nous chantions: — C'est nous-mêmes qui sommes
    Tout ce qui nous semblait, sur la terre des hommes,
    Bon, juste, grand, sublime, ineffable et charmant;
    Nous sommes le regard et le rayonnement;
    Le sourire de l'aube et l'odeur de la rose,
    C'est nous; l'astre est le nid où notre aile se pose;
    Nous avons l'infini pour sphère et pour milieu,
    L'éternité pour l'âge; et, notre amour, c'est Dieu.



    *************************************



    VENI, VIDI, VIXI

    J'ai bien assez vécu, puisque dans mes douleurs
    Je marche, sans trouver de bras qui me secourent,
    Puisque je ris à peine aux enfants qui m'entourent,
    Puisque je ne suis plus réjoui par les fleurs;

    Puisqu'au printemps, quand Dieu met la nature en fête,
    J'assiste, esprit sans joie, à ce splendide amour;
    Puisque je suis à l'heure où l'homme fuit le jour;
    Hélas! et sent de tout la tristesse secrète;

    Puisque l'espoir serein de mon âme est vaincu;
    Puisqu'en cette saison des parfums et des roses,
    O ma fille! j'aspire à l'ombre où tu reposes,
    Puisque mon coeur est mort, j'ai bien assez vécu.

    Je n'ai pas refusé ma tâche sur la terre.
    Mon sillon? Le voilà. Ma gerbe? La voici.
    J'ai vécu souriant, toujours plus adouci,
    Debout, mais incliné du côté du mystère.

    J'ai fait ce que j'ai pu; j'ai servi, j'ai veillé,
    Et j'ai vu bien souvent qu'on riait de ma peine.
    Je me suis étonné d'être un objet de haine,
    Ayant beaucoup souffert et beaucoup travaillé.

    Dans ce bagne terrestre où ne s'ouvre aucune aile,
    Sans me plaindre, saignant, et tombant sur les mains,
    Morne, épuisé, raillé par les forçats humains,
    J'ai porté mon chaînon de la chaîne éternelle.

    Maintenant, mon regard ne s'ouvre qu'à demi;
    Je ne me tourne plus même quand on me nomme;
    Je suis plein de stupeur et d'ennui, comme un homme
    Qui se lève avant l'aube et qui n'a pas dormi.

    Je ne daigne plus même, en ma sombre paresse,
    Répondre à l'envieux dont la bouche me nuit.
    O seigneur! ouvrez-moi les portes de la nuit
    Afin que je m'en aille et que je disparaisse!



    ****************************************************



    Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
    Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
    J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
    Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

    Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
    Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
    Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
    Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

    Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
    Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
    Et, quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
    Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.



    ******************************************************

    AUX ANGES QUI NOUS VOIENT

    — Passant, qu'es-tu? je te connais.
    Mais, étant spectre, ombre et nuage,
    Tu n'as plus de sexe ni d'âge.
    — Je suis ta mère, et je venais!

    — Et toi dont l'aile hésite et brille,
    Dont l'oeil est noyé de douceur,
    Qu'es-tu, passant? — Je suis ta soeur
    — Et toi, qu'es-tu? — Je suis ta fille.

    — Et toi, qu'es-tu, passant? — Je suis
    Celle à qui tu disais: -Je t'aime!-
    — Et toi? — Je suis ton âme même.
    Oh! cachez-moi, profondes nuits!


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