Répondre à : COLLODI, Carlo – Pinocchio

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#153030

Chapitre 16

Pendant que le pauvre Pinocchio, pendu par les assassins à la branche du Grand Chêne, paraissait plus mort que vif, la belle Jeune Fille aux cheveux bleus apparut encore à la fenêtre et se sentit pleine de pitié en voyant le pauvre malheureux, pendu par le cou, dansant dans le vent et se cognant au tronc, elle frappa dans ses mains trois fois.

A ce signal, on entendit un grand bruit d’ailes et un grand faucon vint se poser sur l’appui de la fenêtre.

– A vos ordres, ma chère Fée, dit le Faucon, en baissant le bec pour faire la révérence. Parce qu’il faut savoir que la Jeune Fille aux Cheveux bleus était une très gentille et très bonne Fée, qui habitait depuis plus de mille ans dans cette forêt.

– Tu vois ce pantin pendu à une branche du Grand Chêne ?

– Oui, je le vois.

– Très bien. Envole-toi et va tout de suite là-bas. Avec ton gros bec, tu couperas la corde qui le tient suspendu et tu le poseras délicatement sur l’herbe, au pied du Chêne.

Le Faucon s’envole, puis, au bout de deux minutes, il revint.

– Ce que vous m’avez commandé, c’est fait !

– Et comment tu l’as trouvé ? Vivant ou mort ?

– A le voir, il avait l’air mort, mais il ne devait pas être mort tout à fait parce que, dès que j’ai eu fini de couper la corde qui lui serrait le cou, il poussa un gros soupir en disant : « Ouf ! Ça va mieux ! »

Alors la Fée tapa deux fois dans ses mains, deux petits coups, et arriva un magnifique Caniche en livrée d’apparat. Il avait sur la tête un tricorne bordé d’or, une perruque blanche dont les boucles descendaient jusqu’aux épaules, un habit couleur chocolat avec des boutons en diamant et deux grandes poches pour mettre les os que lui donnait sa patronne, une paire de culottes de velours cramoisi, des chaussettes de soie, des souliers à boucle d’argent et, derrière, une espèce d’ombrelle de satin bleu, pour abriter sa queue quand il pleuvait.

– Viens, Médor, dit la Fée au Caniche. Fais atteler le plus beau carrosse de mon écurie et prends le chemin du bois. Arrivé sous le Grand Chêne, tu trouveras, allongé sur l’herbe, un pauvre pantin à moitié mort. Soulève-le délicatement, pose-le sur les coussins du carrosse et ramène-le ici. Tu as compris ?

Le Caniche, pour montrer qu’il avait compris, remua trois ou quatre fois la queue et partit comme une flèche.

Au bout d’un moment, on vit sortir de l’écurie un beau carrosse couleur du ciel, tout rembourré de plumes et doublé de crème fouettée. Le carrosse était tiré par une centaine de petites souris blanches et le Caniche, assis sur le siège, faisait claquer son fouet à droite et à gauche, comme un cocher qui aurait peur d’arriver en retard.

Ils n’étaient pas partis depuis un quart d’heure que le carrosse était déjà de retour. La Fée, qui attendait devant la porte de sa maison, attrapa le pauvre pantin et le porta dans une chambre aux murs de nacre, et envoya chercher les médecins les plus fameux du voisinage.

Les médecins arrivèrent tout de suite, l’un après l’autre : un Corbeau, une Chouette et un Grillon.

– Ce que je voudrais savoir, dit la Fée en se tournant vers les médecins, c’est si ce malheureux pantin est vivant ou mort.

Le Corbeau s’avança le premier. Il prit le pouls de Pinocchio, puis il lui tâta le nez, puis le petit doigt de pied. Après l’avoir bien touché, il dit solennellement :

– Moi, je crois que le pantin est bel et bien mort. Mais si, par malheur, il n’était pas mort, je dirais qu’il est toujours vivant.

– Je regrette, dit la Chouette, de devoir contredire le Corbeau, mon illustre ami et collègue. Pour moi, au contraire, je pense que le pantin est toujours vivant. Mais si, par malheur, il n’était pas vivant, alors, il serait mort.

– Et vous, vous ne dites rien ? demanda la Fée au Grillon.

– Moi, je dis qu’un médecin prudent, quand il ne sait pas quoi dire, la meilleure chose à faire, c’est de se taire. Du reste, le visage de ce pantin ne m’est pas inconnu. Je le connais un peu.

Pinocchio qui, jusque là, était resté immobile comme un bout de bois, eut un espèce de frémissement qui fit bouger tout le lit

– Ce pantin, continua le Grillon, est un mauvais sujet.

Pinocchio ouvrit les yeux et les referma aussitôt.

– C’est un vaurien, un bon à rien, un vagabond.

Pinocchio se cacha la figure sous les draps.

– Ce pantin est un fils désobéissant, qui fait mourir son papa de chagrin.

A ce moment, on entendit dans la chambre un bruit sourd de pleurs et de sanglots. Figurez-vous comme ils furent abasourdis quand, en soulevant un peu le drap, ils s’aperçurent que c’était Pinocchio qui pleurait et sanglotait.

– Quand le mort pleure, c’est le signe qu’il est sur le point de guérir, dit le Corbeau solennellement.

– Je regrette de devoir contredire mon illustre ami et collègue, mais, quand le mort pleure, c’est le signe qu’il n’a pas envie de mourir.

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