Accueil › Forums › Textes › CONAN DOYLE, Arthur – L’Aventure de l’homme qui rampait et grimpait › Répondre à : CONAN DOYLE, Arthur – L’Aventure de l’homme qui rampait et grimpait
« Cela ne m’étonne pas », dit-il en secouant la tête. « J’avais déjà interrompu pareille scène auparavant. Je savais bien que le chien finirait par se venger. »
Le chien-loup fut enchaîné de nouveau, et nous transportâmes le professeur à sa chambre, où le jeune Bennett, qui possédait par chance quelques solides notions de médecine, m’aida à panser la gorge meurtrie. Les crocs acérés avaient dangereusement frôlé l’artère carotide, et l’hémorragie était sérieuse. Après une demi-heure de soins intensifs, tout danger fut cependant écarté, et j’administrai une dose de morphine au blessé qui sombra dans un profond sommeil. Ce ne fut qu’alors que nous fûmes en mesure d’échanger nos impressions.
« Je crois qu’il serait judicieux qu’il soit examiné par un chirurgien », avançai-je.
« Pour l’amour du ciel non ! », intervint Bennett. « Ce scandale n’a heureusement pas franchi les murs de notre demeure. Nous devons nous porter garants de ce secret. Si nous ébruitons cette affaire, Dieu sait quand nous cesserons d’en entendre parler ! Par égard pour la position du professeur Presbury au sein de l’université, par égard pour sa réputation européenne, par égard pour sa fille, n’en dites rien ! »
« Très bien », dit Holmes. « Il me semble possible de garder secrets ces événements, et d’empêcher qu’ils se reproduisent, si toutefois vous me permettez d’agir. La clef de la chaîne de montre, je vous prie, Monsieur Bennett. Macphail, veuillez veiller le blessé et nous avertir de la moindre évolution dans son état de santé. Allons voir ce que nous révélera la mystérieuse petite boîte du professeur. »
La petite boîte en question nous révéla peu de choses, mais suffisamment pour éclairer notre compréhension de l’affaire : elle renfermait une première fiole vide, une seconde à moitié pleine, une petite seringue, ainsi que plusieurs lettres d’une écriture étrangère et malaisée, dont les marques de reconnaissance apposées sur les enveloppes en avaient interdit l’ouverture par le consciencieux secrétaire. Toutes portaient le cachet d’expédition de Commercial Road. Les lettres étaient signées de la main de A. Dorak. La petite boîte renfermait également plusieurs factures attestant de l’envoi régulier d’une certaine substance au professeur, plusieurs reçus attestant de ses paiements, ainsi qu’une lettre d’une écriture différente, davantage érudite, dont l’enveloppe était affranchie d’un timbre autrichien et portait le cachet de la ville de Prague.
« Voilà ce que nous cherchons ! », s’écria Holmes en dépliant fébrilement la lettre.
Elle était ainsi conçue :
Cher confrère,
J’ai depuis votre dernière visite longuement réfléchi à votre cas, et, bien que des raisons légitimes m’apparaissent pouvoir justifier votre traitement, je ne saurais que trop vous mettre au garde quant aux effets hautement indésirables que celui-ci comporte.
Il me semble qu’un sérum élaboré à partir de singes anthropoïdes se révélerait davantage adapté. Je n’ai pu recourir jusqu’à présent qu’à des prélèvements opérés sur le Semnopithèque noir, ou Langur de Java, en raison de l’accessibilité que présente ses spécimens. Contrairement aux singes anthropoïdes qui se tiennent en posture droite et dont le comportement se rapporte davantage à celui de l’homme, le langur évolue, par définition, sur ses quatre pattes au sol, et est un enragé grimpeur.
Je ne saurais que trop solliciter de votre part la plus grande précaution afin qu’aucune information prématurée ne soit dévoilée quant à ces recherches et à leurs conclusions actuelles. Un seul autre sujet suit actuellement en dehors de vous-même en Angleterre ce traitement – Dorak est également sont intermédiaire.
Je vous prie de bien vouloir procéder à la rédaction de rapports hebdomadaires que vous transmettrez à Dorak,
Recevez, cher confrère, l’expression de ma considération respectueuse,
H. Lowenstein
Le nom de Lowenstein éveilla immédiatement dans mon esprit des fragments de souvenirs d’un article de journal consacré à un obscur scientifique travaillant secrètement à un sérum de jouvence. Lowenstein de Prague ! Lowenstein et son sérum décuplant la force physique, banni de la profession pour avoir refusé d’en dire davantage sur ses recherches ! Je rapportai en quelques mots ce dont je me souvenais. Bennett saisit un manuel de zoologie qui trônait sur une étagère.
« Le langur », lut-il. « « Singe noir peuplant les montagnes himalayennes, le plus grand et le plus anthropoïdes des singes grimpeurs. » Un certain nombre de détails sont rapportés. Bien, grâce à vous, Monsieur Holmes, il semble que le mal ait pu être débusqué à sa source. »
« Sa véritable source réside », ajouta Holmes, « dans la passion inopportune du professeur pour la jeune dame objet de ses vœux. Notre impétueux professeur crut entrevoir dans un possible rajeunissement la solution à ses maux. Il crut pouvoir prétendre à la main de la jeune dame en redevenant un homme jeune. Mais la Nature ne tolère aucune force contraire à la sienne. L’espèce la plus évoluée n’est pas à l’abri de sa propre déchéance si elle tend à faire un mauvais usage de ses dons. »
Il considéra pendant quelques temps la seconde petite fiole et le liquide qu’elle contenait encore.
« J’ai l’intention d’écrire à Lowenstein une lettre très explicite dans laquelle je déclarerai le tenir pour personnellement responsable de la mise en circulation sur le marché d’une substance hautement toxique. Je suppose que ceci aura un impact certain sur ses agissements pendant un certain temps. Mais une récidive ne sera pas à exclure. D’autres exploreront peut-être de nouvelles possibilités. La menace est réelle – elle menace l’humanité tout entière. Supposez, Watson, qu’au matériel, au corporel, au terrestre soit offerte la possibilité de prolonger leur existence… Qu’adviendrait-il du cérébral ? Ce serait l’avènement de toutes les décadences. Qu’adviendrait-il alors de notre pauvre monde ? »
Le rêveur s’enfuit soudain pour laisser place à l’homme d’action, et Holmes sauta de sa chaise sur ses pieds.
« Je crois que tout est dit, Monsieur Bennett. Chacun des récents incidents possède à présent sa justification. Le chien, bien sûr, avait perçu avec davantage de rapidité que l’entourage du professeur les changements survenus dans sa personne. Son odorat lui assure cette faculté. C’était le singe, et non le professeur, que Roy attaquait, et c’était également le singe, et non le professeur, qui assaillait Roy. Le fait de grimper représentait pour la créature une conduite instinctive, et ce fut je crois le pur hasard qui amena le professeur à la fenêtre de sa fille. Un train repart bientôt pour Londres, Watson, nous aurons juste le temps d’une tasse de thé au Chequers. »