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#154763

CONAN DOYLE, Arthur – L’Aventure de la villa des Trois Pignons
Traduction : Carole.

Aucun des récits des aventures de Sherlock Holmes ne s’ouvre, à ma connaissance, aussi abruptement, ou dramatiquement, que celui que je choisis de relater sous le titre de La Villa des Trois Pignons. Je n’avais pas vu Holmes depuis quelques jours et n’avais aucune idée de la tournure qu’après prise ses activités. Mon ami était d’humeur causante ce matin-là, aussi m’avait-il fait prendre place dans le fauteuil bas, vieux et usé, situé tout à côté de la cheminée, et s’était-il installé pour sa part, pipe en bouche, sur une chaise me faisant face, lorsqu’un visiteur entra. Je ne pourrais mieux décrire l’apparence de celui-ci qu’en évoquant l’intrusion soudaine dans notre salon d’un taureau enragé.

La porte s’ouvrit à la volée et un grand homme noir fit irruption dans la pièce. Il aurait pu nous paraître comique – car il était vêtu d’un complet gris sur lequel tranchait une cravate de couleur saumon –, si ses traits n’avaient été aussi déformés par la fureur. Il allongeait le cou, sa large face et son nez aplati tendus vers nous, ses yeux noirs et maussades, en ce moment animés d’une lueur malveillante, allant de l’un à l’autre de nous.

« Lequel de ces môsieu est Môsieu Holmes ? », demanda-t-il.

Holmes leva sa pipe en saluant.

« Alors, c’est donc vous ! », gronda notre visiteur, en contournant la table d’un pas menaçant. « Dites, Môsieu Holmes, arrêtez de fourrer votre nez dans les affaires des autres. Laissez donc le monde se débrouiller tout seul. Compris, Môsieu Holmes ? »

« Continuez, je vous écoute », dit Holmes.

« Ah, vous m’écoutez ? », gronda le sauvage. « Vous avez plutôt intérêt. J’en ai connu de plus durs à cuire que vous, vous savez, et ils n’avaient plus la langue aussi bien pendue quand j’en ai eu fini avec eux. Visez un peu ça, Môsieu Holmes ! »

Il brandit un poing énorme juste sous le nez de mon ami. Celui-ci se contenta de l’examiner avec le plus grand intérêt.

« Est-ce de naissance ?, demanda-t-il. « Ou ce développement extraordinaire est-il apparu peu à peu ? »

Soit que le ton sec employé par mon ami eut produit son effet, ou que notre visiteur eut perçu le léger bruit que je produisis en m’emparant d’un tisonnier, toujours est-il qu’il changea radicalement de ton.

« En tous cas, vous ne pourrez pas dire que je ne vous aurais pas prévenu », dit-il. « Un ami a à faire du côté de Harrow – si vous voyez ce que je veux dire – et il n’aimerait pas vous trouver en travers de son chemin. Pigé ? Vous n’êtes pas de la police, et je ne suis pas de la police non plus. Alors si vous vous en mêlez, je m’en mêlerai aussi. Tâchez de vous en souvenir. »

« Cela faisait un certain temps que je désirais vous rencontrer », dit Holmes. « Je ne vous offre pas de vous asseoir, car je dois admettre que votre odeur corporelle m’incommode quelque peu, mais vous êtes bien Steve Dixie, le boxeur ? »

« C’est bien moi en effet, et je vous casserai la mâchoire si vous me cassez les pieds ! »

« Il serait bien dommage que j’aie à vous casser la vôtre », dit Holmes, en jetant un regard éloquent au hideux sourire du boxeur. « Mais j’allais en venir au meurtre du jeune Perkins retrouvé sur le seuil du Holborn Bar. Comment !, vous nous quittez ? »

L’homme avait fait subitement un bond en arrière, et avait blêmi.

« Je n’ai pas l’intention d’écouter vos insinuations », dit-il. « Je n’ai rien à voir avec cette histoire ! Je me trouvai à l’entraînement au Bull Ring à Birmingham quand c’est arrivé. »

« Oui, vous irez dire cela au juge, Steve », dit Holmes. « Je vous ai suivis, vous et Barney Stockdale… »

« Que Dieu me vienne en aide ! »

« Cela suffit ! Sortez. Je viendrai vous trouver en personne quand j’aurais à nouveau besoin de vous. »

« Je vous souhaite le bonjour, Môsieu Holmes. J’espère que vous n’avez pas pris trop au sérieux mes paroles de tantôt ? »

« Pas si vous me révélez qui vous a envoyé. »

« Eh bien, il n’y a pas de raison d’en faire mystère : le gentleman même dont vous venez de citer le nom. »

« Et qui lui a demandé de vous envoyer à moi ? »

« Ca, parole d’honneur je n’en sais rien. Il m’a juste dit : « Va voir Monsieur Holmes, Steve, et fais-lui comprendre que s’il continue à traîner du côté de Harrow, il s’attirera des ennuis. » C’est l’exacte vérité. »

Et sans attendre que lui fût adressée une nouvelle question, notre visiteur sortit de la pièce presque aussi précipitamment qu’il y était entré. Holmes tapota les cendres de sa pipe, une lueur de malice dans le regard.

« Je suis heureux que vous n’ayez pas été obligé de lui fendre son crâne laineux, Watson. J’ai observé votre manœuvre avec le tisonnier. Mais Dixie est davantage un gros bras aussi stupide qu’inoffensif qu’un véritable tortionnaire, et il est plutôt facile de l’intimider, comme vous avez pu le constater. Il appartient au gang de Spencer John et a dû tremper dans quelque sombre affaire que j’éclaircirai quand je disposerai d’un peu de temps devant moi. Son supérieur direct, Barney, est plus astucieux. Toujours est-il que toute cette petite bande excelle dans l’art de l’intimidation, les agressions et autres escroqueries semblables. Ce que je désirerais savoir, c’est qui tire réellement les ficelles dans cette affaire. »

« Mais pourquoi ont-ils tenté de vous intimider ? »

« Je suppose que cela est en rapport avec l’affaire Harrow Weald. D’ailleurs je vais décidément m’y intéresser de plus près, car je suppose, puisque l’on tente de m’en tenir à l’écart, qu’elle ne doit pas être dénuée intérêt. »

« Mais de quoi s’agit-il ? »

« J’étais sur le point de vous en parler avant d’être subitement interrompu par l’entrée fracassante de notre visiteur. Voici une note de Mrs Maberley. Si vous voulez bien m’accompagner, nous nous mettrons en route immédiatement après lui avoir confirmé notre arrivée par un télégramme. »

Cher Monsieur Holmes,
Je suis victime d’une succession d’événements étranges qui ont un lien avec la demeure que j’occupe, et j’aimerais beaucoup avoir votre avis. Vous me trouverez à la maison à tout moment dans la journée de demain. Je réside à peu de distance de la gare de Weald. Je crois ne pas me tromper en affirmant que mon défunt mari, Mortimer Maberley, fut l’un de vos premiers clients.
Bien à vous,
Mary Maberley

L’adresse d’expédition était la suivante : « Villa des Trois Pignons, Harrow Weald. »

« Nous y voilà ! », dit Holmes. « Et maintenant, Watson, si vous disposez d’un peu de temps devant vous, allons donc faire un tour du côté de Harrow Weald. »

Un court trajet en chemin de fer suivi d’une courte marche nous menèrent à la demeure, une villa de briques et de bois, bâtie sur un terrain à l’état de prairie naissante, l’entourant. Trois discrets appendices trônant en son sommet s’efforçaient de justifier son appellation de « villa des Trois Pignons ». On apercevait, derrière la demeure, un triste petit bois de pins. Le lieu tout entier apparaissait pauvre et déprimant. Néanmoins, l’intérieur de la maison s’avéra confortablement meublé, et la maîtresse des lieux qui nous reçut, dame d’un certain âge, m’apparut être une personne aussi raffinée que cultivée.

« Je me rappelle très bien votre époux, Mrs Maberley », dit Holmes, « bien que de nombreuses années se soient écoulées depuis son recours à mes services. »

« Le nom de mon fils, Douglas, vous est-il également familier ? »

Holmes la contempla avec intérêt.

« Comment ! Vous êtes la mère de Douglas Maberley ? Bien que je ne l’aie pas connu personnellement, son nom était célèbre dans tout Londres. Quel homme ! Où est-il maintenant ? »

« Décédé, Monsieur Holmes. Il est décédé. Il avait dernièrement été nommé à Rome, et il y décéda d’une pneumonie le mois dernier ».

« Je suis navré. Il est difficile d’envisager la disparition d’un tel homme. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un animé d’une telle soif de vivre ! Il a mené une existence passionnée, qui se faisait jour en chaque fragment de son être ! »

« Trop passionnée, Monsieur Holmes. C’est sans doute ce qui l’a mené à sa perte. Vous vous le rappelez certainement tel qu’il semblait être, brillant, confiant. Vous n’avez pas vu se développer en lui la créature inquiète, morose, insinuante qui le rongeait. Après que son cœur eut été brisé, mon fringant garçon se vit transformé en l’espace d’un mois en un homme cynique et usé. »

« Une histoire d’amour ? Il s’était épris d’une femme ? »

« D’un démon, devrait-on dire. Mais, en vérité, ce n’est pas pour vous parler de mon pauvre garçon que vous ai fait venir, Monsieur Holmes. »

« Le docteur Watson et moi-même sommes tout ouïe, Mrs Maberley. »

« Il survint dernièrement dans mon existence des événements étranges. Cela fait plus d’un an que j’occupe cette maison, et en raison de mon souhait de mener une vie retirée les relations que j’entretiens avec mon voisinage sont très réduites. Il y a trois jours j’ai reçu un appel d’un homme qui s’est présenté comme agent immobilier. Il m’a indiqué que ma demeure conviendrait parfaitement à l’un de ses clients, et que mon prix serait le sien. Cela m’a semblé très étrange en raison du fait que plusieurs maisons vides, comparables à celle que j’occupe, sont actuellement disponibles dans le quartier, mais, naturellement, j’ai réfléchi à sa proposition. J’ai proposé un prix, supérieur de cinq cents livres à celui que j’avais payé. Il a immédiatement accepté sans discussion, mais a ajouté que son client souhaitant profiter de tous les aménagements et meubles de la maison, j’avais la possibilité d’en évaluer également le prix. La plupart de mes meubles proviennent de mon ancienne demeure, et sont, comme vous pouvez le constater, en très bon état. J’ai donc proposé une somme supplémentaire conséquente, qu’il accepta également. J’ai toujours rêvé de voyager, et l’affaire, qui était excellente pour moi, devait me permettre cette possibilité pour le restant de mes jours.
Hier l’agent se présenta à moi avec un accord rédigé. Fort heureusement je pris la précaution de le faire relire par Monsieur Sutro, mon avocat de Harrow. Il me mit en garde : « Ceci est un document bien étrange », me dit-il. « Etes-vous informée que si vous le signez, vous ne serez plus en mesure de retirer légalement quoique ce soit de votre maison – y compris vos objets personnels ? » Au retour de l’agent dans la soirée, j’évoquai ce point, et lui rappelai que j’avais seulement consenti à vendre l’ensemble de mes meubles, mais non de mes effets personnels.
« Non, non, mon client se porte acquéreur de tout ce qui se trouve dans vos murs », dit-il.
« Mais… Mes vêtements ? Mes bijoux ? »
« Eh bien, certaines concessions pourront vous être accordées en ce qui concerne vos effets personnels. Mais hormis cela aucun objet ne pourra sortir de la maison sans autorisation préalable. Mon client est fort libéral, mais il a ses propres façons de faire auxquelles il tient. C’est un peu tout ou rien, avec lui. »
« Dans ce cas, ce sera rien, dis-je. »
Et l’affaire en resta là, mais elle me sembla si extraordinaire que j’ai songé… »

A ce moment le récit de Mrs Maberley fut interrompu d’une manière abrupte. Holmes avait levé la main pour commander le silence. Il se leva, traversa la pièce, ouvrit brusquement la porte, et força à entrer une grande femme décharnée qu’il avait saisie à l’épaule. Elle pénétra dans la pièce en se débattant maladroitement.

« Laissez-moi tranquille ! Laissez-moi ! », gémit-elle.

« Eh bien, Susan, que signifie ceci ? »

« Oh, madame, je venais simplement vous demander si ces messieurs comptaient rester pour déjeuner quand ce monsieur s’est jeté sur moi. »

« Je ne vous ai rien entendu demander durant plus de cinq minutes pendant lesquelles vous vous teniez pourtant derrière la porte. Vous êtes quelque peu asthmatique, Susan, n’est-ce pas ? Vous avez la respiration un peu trop sifflante pour ce genre de mission. »

Susan leva vers Holmes des yeux maussades mais étonnés.

« Qui êtes-vous, d’abord, et de quel droit vous permettez-vous de me traiter de cette façon ? »

« Je désirais simplement adresser une question à votre maîtresse en votre présence. Avez-vous, Mrs Maberley, consulté ou averti quiconque du fait que vous souhaitiez prendre contact avec moi ? »

« Non, Monsieur Holmes, aucunement. »

« Qui porta votre lettre à la Poste ? »

« Susan. »

« Parfait ! A présent, Susan, à qui avez-vous écrit et envoyé un message stipulant que votre maîtresse souhaitait prendre conseil auprès de moi ? »

« C’est faux ! Je n’ai jamais envoyé de message. »

« Allons, Susan, le mensonge nuit à votre mauvaise santé respiratoire. Qui avez-vous averti ? »

« Susan ! », s’écria sa maîtresse, « je crois que vous êtes une femme mauvaise et perfide. Je me rappelle à présent vous avoir vu converser avec quelqu’un par-dessus la haie. »

« Cela ne regarde que moi », dit-elle d’un ton bougon.

« Supposons que je vous dise que ce soit à Barney Stockdale que vous ayez parlé ? », dit Holmes.

« Eh bien, puisque vous le savez, pourquoi me posez-vous la question ? »

« Je n’en étais pas certain, mais je le suis à présent. Et maintenant, Susan, sachez que vous gagnerez dix livres si vous me révélez qui se tient derrière Barney. »

« Quelqu’un qui payerait mille livres pour chaque billet de dix livres que vous dépenseriez. »

« Donc, un homme riche ? Non : vous souriez : une femme riche. Allons, à présent que nous sommes autant informés, vous feriez bien de me donner son nom et de gagner vos dix livres. »

« Allez au diable ! »

« Oh, Susan, quel langage ! »

« Je veux m’en aller. Laissez-moi partir de cette maison. J’enverrai chercher mes affaires demain ».

Elle se dirigea furieusement vers la porte.

« Au revoir, Susan. L’élixir parégorique est un bon remède à l’asthme… A présent », poursuivit Holmes en reprenant subitement son sérieux dès que la porte se fut refermée sur Susan, « l’intrusion de ce gang dans votre vie est synonyme d’affaires pécuniaires. Jugez à quel point ces individus sont organisés et réagissent avec promptitude. Le cachet de la lettre que vous m’avez adressée indique qu’elle a été postée à dix heures du matin. Susan transmit aussitôt le message à Barney. Barney se précipita alors chez son employeur, et eut le temps de prendre ses instructions. Il, ou elle – je penche davantage en faveur de la seconde possibilité en raison du sourire goguenard qui illumina le visage de Susan quand elle pensa que je me fourvoyai –, elle, donc, échafaude un plan. Steve Dixie est contacté, et se présente à mon domicile peu avant onze heures au matin du jour suivant. Cet enchaînement d’actions est pour le moins rapide, ne trouvez-vous pas ? »

« Mais que cherchent-ils ? »

« Ah, voilà bien la question. Quel était l’occupant de la maison avant vous ? »

« Un commandant de vaisseau à la retraite, du nom de Ferguson. »

« Avez-vous quelque chose de particulier à signaler à son sujet ? »

« Rien à ma connaissance. »

« Supposons qu’il ait enfoui quelque chose au sein de votre demeure. Bien sûr, il va de soi qu’aujourd’hui les gens enterrent plus volontiers un trésor à la Post-Office Bank que dans un sol ou des murs quelconques, mais certains individus sont parfois excentriques. Le monde serait si triste sans eux ! Dans un premier temps, c’est donc à cette possibilité que j’ai songé. Mais pourquoi, en ce cas, l’agent immobilier aurait-il demandé à ce que vous laissiez la maison meublée ? Vous ne posséderiez pas par hasard, sans en avoir connaissance, un Raphaël ou une première édition shakespearienne ? »

« Non, je ne crois pas posséder d’objet d’une plus grande valeur que celle de mon service à thé Crown Derby. »

« Lequel ne semble pas être en mesure de justifier de tous ces mystères. Par ailleurs, pourquoi n’ont-ils pas tout simplement listé ce qu’ils désiraient conserver ? S’ils convoitent votre service à thé, ils sont sans doute en mesure d’en offrir un prix sans avoir à acquérir l’ensemble de vos effets personnels. Non, je forme l’hypothèse que vous possédez quelque chose dont vous ignorez le prix, et auquel vous ne renonceriez pas si vous en aviez connaissance. »

« C’est du moins la seule explication plausible à tout ceci », appuyai-je.

« Puisque le docteur Watson acquiesce, il me semble que cette supposition est tout-à-fait probable. »

« Mais, Monsieur Holmes, qu’est-ce que cela pourrait bien être ? »

« Voyons si de simples déductions pourraient nous l’apprendre. Vous occupez cette demeure depuis un an, dites-vous ? »

« Presque deux. »

« Parfait. Durant cette période, vous n’avez reçu de sollicitation d’aucune sorte. Soudainement, en l’espace de trois ou quatre jours, vous suscitez le plus vif intérêt. Que déduisez-vous de cela, Watson ? »

« Je ne peux que penser », répondis-je, « que l’objet en question, quel qu’il soit, vient d’être introduit dans votre maison. »

« Elémentaire, mon cher Watson ! », s’exclama Holmes. « A présent, Mrs Maberley, quel est l’objet que vous venez d’acquérir récemment ? »

« Mais… Je n’ai rien acheté cette année », répondit-elle.

« Vraiment ? Voilà qui est surprenant. Dans ce cas, nous ferions mieux de revoir notre hypothèse et de l’étoffer de nouveaux éléments. Votre avocat est-il un homme capable ? »

« Monsieur Sutro est sans conteste très capable. »

« Auriez-vous, en dehors de la charmante Susan qui vient juste de claquer votre porte, une autre domestique à votre service ? »

« Certainement. Une jeune fille. »

« Pourriez-vous convaincre Monsieur Sutro de venir passer une nuit ou deux sous votre toit ? Il se pourrait que vous ayez besoin de protection. »

« Contre ? »

« Sait-on jamais ? L’affaire est des plus obscures. Si je ne puis parvenir à identifier l’objet convoité, nous ne pourrons qu’attendre qu’ils tentent de s’en emparer. Ce prétendu agent immobilier vous a-t-il laissé une adresse ? »

« Il m’a laissé sa carte, sur laquelle figurent simplement ses noms et profession : « Haines-Johnson, transactions et estimations immobilières ». »

« Je doute que nous le trouvions dans l’annuaire. Les hommes d’affaire sérieux ne font d’ordinaire pas l’impasse sur l’adresse à laquelle on peut les trouver. Bien, n’hésitez pas à me faire part de tout nouvel élément. Je m’occupe dès à présent de votre affaire, et vous pouvez compter sur moi pour faire tout ce qui est en mon pouvoir pour l’éclaircir. »

Alors que nous traversions à nouveau le hall d’entrée, le regard pénétrant de Holmes s’attarda sur plusieurs valises et coffres étiquetés qui se trouvaient empilés dans un coin.

« Milan – Lucerne. Ces bagages proviennent d’Italie. », dit-il.

« Oui », acquiesça Mrs Maberley. « Ce sont les effets personnels de mon pauvre Douglas. »

« Vous n’en avez pas examiné le contenu ? Depuis combien de temps les avez-vous réceptionnés ? »

« Ils sont arrivés la semaine dernière. »

« Mais, vous aviez déclaré… Eh bien, nous voici sans doute en présence du chaînon manquant. Comment pouvons-nous être certains que ces bagages ne contiennent pas un objet de valeur ? »

« C’est impossible, Monsieur Holmes. Mon pauvre Douglas n’avait que sa paie et une maigre prime annuelle pour vivre. Qu’aurait-il bien pu posséder de valeur ? »

Holmes resta songeur.

« N’attendons pas davantage pour nous en assurer, Mrs Maberley », dit-il après quelques instants de réflexion. « Faites porter ces bagages à l’étage dans votre chambre. Examinez-en soigneusement le contenu dès que possible, et voyez ce que vous y découvrirez. Je reviendrai demain pour connaître le résultat de vos recherches. »

Il nous apparut évident que la villa des Trois Pignons était étroitement surveillée, car, en tournant le coin de la rue, nous aperçûmes, debout dans un coin d’ombre, Steve Dixie. Holmes et moi-même marchâmes résolument vers lui, mon ami portant la main à la poche de son habit.

« Vous cherchez votre arme, Môsieu Holmes ? »

« Non, un flacon de sels que je porte en permanence sur moi, Steve. »

« Vous êtes drôle, Môsieu Holmes. »

« Vous ne me trouverez pas si plaisant lorsque je m’occuperai plus précisément de votre cas. Vous ne pourrez pas dire que je ne vous aurais pas prévenu. »

« Eh bien, Môsieu Holmes, j’ai bien réfléchi depuis ce matin, et je dois dire que je ne tiens pas à être cité dans cette affaire concernant Môsieu Perkins. Alors si je peux vous aider, je vous aiderai. »

« Dans ce cas, dites-moi qui est derrière toute cette affaire. »

 « Pour l’amour du ciel je n’en sais rien, je vous ai dit et je vous répète la vérité. Je ne suis pas au courant. Mon chef Barney m’a juste communiqué ses ordres, rien d’autre. »

« Eh bien, gardez à l’esprit, Steve, que cette dame et tout ce qui se trouve sous son toit sont sous ma protection. Tâchez de vous en souvenir. »

« OK, Môsieu Holmes, je m’en souviendrai. »

« Il craint pour sa peau, Watson », observa Holmes lorsque nous eûmes repris notre marche. « Je pense qu’il nous aurait donné sa patronne s’il savait réellement qui elle était. C’est une chance que quelques individus appartenant au gang de Spencer John me soient connus, et que Steve soit l’un d’eux. A présent, Watson, il me semble que notre affaire soit l’affaire de Langdale Pike, et je m’en vais tout droit le rejoindre. A l’issue de cette entrevue je serai sans doute en mesure de vous proposer de nouveaux éclaircissements. »

Je ne revis plus Sherlock Holmes de la journée, mais je pus fort bien imaginer la façon dont il l’employa, car Langdale Pike était sa référence humaine quant aux scandales de la société. Cette étrange, languissante créature avait coutume de passer ses quelques heures d’éveil quotidiennes dans le bow-window d’un club de Saint James Street, et exerçait la noble fonction de receveur et de colporteur de tous les potins de la métropole. On disait qu’il percevait un revenu à quatre chiffres pour transmettre hebdomadairement ses entrefilets aux feuilles de chou spécialisées en la matière, à destination d’un public demandeur. Si par hasard se produisait dans les profondeurs des flots londoniens le plus léger remous, celui-ci était immédiatement ramené à la surface et consigné avec la plus grande précision par cette mécanique faite de chair humaine. Holmes avait coutume de renseigner Langdale, et était renseigné occasionnellement en retour.

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