Répondre à : (O) RETBI, Shmuel – Douce Justice

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#155476
PlumePlume
Participant

    Bonjour,

    A la demande de Shmuel Retbi qui ne peut accéder lui-même au forum, je vous propose un nouveau texte court qu'il a écrit. « Douce Justice » évoque les nombreux cas de cécité qui se développent dans les pays du Moyen-Orient, entre autres en Israël.

    Si le texte est accepté et que des donneurs de voix sont volontaires pour l'enregistrer, ils peuvent se proposer : je n'ai pas le monopoleSourire

    Voici le lien vers le texte intégral :

    http://dl.free.fr/vPW92P35b

    Et le début du texte :



    Douce Justice ou Dans la pénombre

    par Shmuel Retbi



                    La vie met souvent en contact des gens qui n'ont rien en commun. Mais quand on cherche un peu à gauche, à droite, derrière et dessous, on se demande comment on était passé à côté de ce qui les réunit vraiment. C'est le sujet de cette triste nouvelle. On y trouvera de l'orgueil flétri et de la vanité hautaine. En se baissant, on pourra ramasser aussi quelques vagues lueurs d'espérance.

     

     

    Cliché numéro 1 : Feu vert

     

    Le feu passe au vert. Yonathan Lévine lève le pied de la pédale de frein. Il le repose aussitôt. Ce n'est pas le résultat d'une réflexion, ni même d'une intuition. C'est un réflexe, c'est machinal. S'il y prêtait  attention, il se rendrait compte que c'est une voix de l'intérieur qui dicte son acte. Il faudrait un quart de siècle pour décrire tout ce qui se passe à ce coin de rues pendant cette seconde et demi. Le pied n'est pas encore retombé sur la pédale de frein. L'air est déjà déchiré par le son de corne hargneux de l'auto de derrière. Yonathan voit défiler devant ses yeux la définition de Nanoseconde lue par hasard dans Uncyclopedia :

    Nanoseconde: laps de temps entre le passage du feu au vert et l'émission du coup de klaxon par le con qui est derrière vous.

    Au son du klaxon s'ajoute une sorte de roulement de tonnerre qui file de gauche à droite. C'est une Jeep des garde-frontières qui brûle le feu rouge et traverse l'avenue à grande vitesse. L'immeuble du coin limite le champ visuel. Yonathan fait un mètre en avant, regarde à gauche puis à droite et démarre. Quelle plaie, ces véhicules de prétendue sécurité qui se croient tout permis. Les flics, pareil. Ils ont une façon de violer le code de la route au nom de la Loi. Mais les pires, c'est les garde-frontières. Ni foi, ni loi, et pas de pitié. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Yonathan roule sur cette avenue à 8 heures et demi ce matin.

    Cela fait près de trois mois de ça, maintenant. Il avait eu de la veine. Les trois autres aussi, d'ailleurs. Les trois voitures en accordéon mais tout le monde indemne. Bouskila riait, et les deux jeunes étaient complètement livides. Les pauvres petits, ils n'arrivaient même pas à ouvrir la bouche. C'était à deux kilomètres avant l'entrée à Jérusalem. Une Jeep de l'armée avait tout simplement fait demi-tour en pleine route interurbaine. Elle était montée sur l'ilot qui séparait les deux voies, et en avant la musique ! Bouskila avait freiné comme un dément. Lui, Yonathan, avait suivi, mais les deux gosses, derrière, manquaient d'expérience. La Skoda Fabia de Yonathan, qui était à l'arrêt, avait été projetée sur la Fabia de Bouskila. Ils étaient tombés d'accord que ces voitures tchèques, c'était de la merde, mais que c'était quand même génial, du point de vue de la physique des métaux. S'ils avaient eu des voitures japonaises, ils s'en seraient tirés avec le dos en morceaux. La Suzuki Samouraï des deux jeunes était méconnaissable. Le moteur avait tout simplement disparu. L'avant, tout recroquevillé, s'était installé dans le coffre de la Fabia de Yonathan. Comme le Suzuki n'avait pas d'assurance et pas d'argent, on décida de s'adresser aux tribunaux. Quant à la Jeep, personne ne songea même à faire des recherches. On savait d'avance que l'immunité serait totale et l'anonymat absolu.

     

    Yonathan roule maintenant dans une Fabia toute neuve. Il espère reconstituer son fonds de prévoyance. Sinon, il s'adressera à sa compagnie d'assurances qui est d'accord pour attendre la fin des débats. Aujourd'hui, c'est le troisième et dernier round de ce procès idiot. Les deux fois précédentes, les deux jeunes étaient portés manquant et on a attendu pendant une heure avant de lever la séance. Il est neuf heures moins dix quand la Fabia descend lentement la rampe du parking souterrain du Palais de Justice. Dans l'ascenseur il trouve Bouskila qui est arrivé en autobus et qui rigole :

    – Les riches, ils voyagent en taxi. Les pauvres, ils prennent la ligne 11.

    Pour ceux qui n'auraient pas compris, la ligne 11, ça veut dire « aller à pied ». Ils entrent ensemble dans la salle d'audience du petit tribunal des contentieux. Le garde de service les connaît déjà et ils n'ont eu qu'à signer sans même présenter leur carte d'identité. Ils attendent.

    – La Juge est là ?, demande Bouskila.

    Le garde a un léger haussement d'épaules que les deux naïfs ne remarquent pas.

    – Le juge Kellner vous appellera, dit-il sèchement.


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