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    M. Retbi a souhaité que je propose également le chapitre 2

    Chapitre 2 : Le tapis vert

     

    Quand Arsène Lupin me raconta l'aventure plus de vingt ans plus tard, je remarquais qu'une profonde émotion serrait sa gorge  :

    ” je crois que je n'ai jamais tant espéré revoir un visage et sentir une présence que pendant les deux premières journées de la traversée de l'Atlantique cette année-là. Cette femme occupe dans ma vie et dans mon cœur une place toute spéciale et je crois que je la regrette encore. Je la rencontre de temps en temps. Elle me reconnaît toujours et toujours, elle me fait un petit signe de main comme pour me jeter un objet de la main à la main et elle disparaît, son joli sourire aux lèvres … Vous comprendrez pourquoi ce signe de la main le moment voulu, mais n'anticipons pas … “

    Donc deux jours s'écoulèrent sans même que Maxime ne puisse apercevoir l'objet de sa passion même de loin. Il furetait sur le pont, s'asseyait au bar, lisait des brochures dans le grand salon du paquebot et prenait ses repas aux heures les plus normales possibles. Rien. Ni belle jeune femme ni petit homme rondelet. Le second soir, après le dîner, Maxime traina sa tristesse et sa déception vers le casino flottant. Des gens de toutes conditions jouaient là au baccara, au poker et à la roulette. Au milieu de la salle, on jouait au Boston autour d'une grande table carrée. Quelle ne fut pas la surprise de notre héros lorsqu'il aperçut le petit homme debout devant la table, le regard fixe, l'air absent. Il avait les yeux baissés vers le tapis vert et contemplait les deux dés qui roulaient de gauche et de droite. Les parieurs intrépides mettaient leurs mises, annonçant des modes de code que l'homme ne semblait pas même entendre. Le meneur de jeu jetait les dés et un employé en costume sombre ratissait les mises en direction des joueurs gagnants. Maxime de Chaverny observait la scène avec un étonnement mélangé d'un sentiment d'amusement. Il était clair que le Papa chéri n'avait aucune expérience du jeu et que ce démon ne l'avait jamais tenu entre ses griffes. Mais apparemment, il y a un commencement à tout. Imitant un Hercule en habit qui venait d'annoncer une mise, le petit homme tira une liasse de billets de son veston et la jeta sur le tapis en annonçant les chiffres six et quatre. Il perdit. Le gros Hercule ramassa la mise. On joua à nouveau. Le petit homme jeta une nouvelle liasse de billets  en annonçant son choix. Il perdit encore.

    Le jeu continuait. Le petit homme rondelet restait là, debout et inerte, le front et les temps couverts d'une sueur abondante. Maxime eut le sentiment qu'il pleurait. Le gros Hercule dut remarquer la détresse du perdant car il déclara d'une voix forte, en français et avec un fort accent américain :

    ” Monsieur, je vais être beau joueur avec vous, vous pouvez encore mettre deux mille francs sur parole, qui sait ? “

    Le petit homme semblait abasourdi. Il ne répondit pas à l'appel. Il ne bougeait pas, debout, les bras ballants. Soudain, il sentit une main qui touchait la sienne. Cette main lui refermait les doigts sur une liasse de papiers et une voix basse et impérieuse lui enjoignait :

    ” Dites : “Tout le tapis sur le quatre et le cinq”.

    Dominé par la pression de la main et le son de la voix, l'homme annonça sans sembler comprendre le sens de ses propres paroles :

    ” Tout le tapis, sur le quatre et le cinq ! “

    Un murmure de surprise et d'approbation suivit cette annonce. Le meneur de jeu jeta les dés. Le quatre et le cinq sortirent. Le murmure s'éleva plus haut encore autour de la table. Le râteau  attira vers le gros monsieur des liasses de francs et de dollars. Le gros Hercule lâcha un juron, tourna les talons et disparut. Les autres joueurs haussèrent les épaules en souriant et quittèrent la table. Maxime posa doucement la main sur l'épaule du Papa chéri :

    ” Monsieur, ramassez votre argent et oubliez ce mauvais rêve. Mais, pour l'amour du Ciel, ne commettez plus cette erreur. Autour du tapis vert, on ne réussit qu'une fois dans la vie, croyez-moi !

    L'autre sembla enfin sortir de sa torpeur et tourna la tête vers son interlocuteur. Il commençait à comprendre vaguement que ce dernier lui avait sauvé la mise, au double sens du terme. Il réfléchit longuement, puis déclara :

    ” Monsieur, je suis votre obligé. Vous m'avez sauvé de la ruine et du déshonneur. “

    Maxime ne put réprimer un sourire. Il adorait ce genre de phrases qui semblaient sortir tout droit de romans d'aventures à bon marché.

    ” Je n'ai fait que mon devoir d'honnête homme, Monsieur, le reste, vous le devez à votre bonne étoile.

            Combien vous dois-je pour ce service incalculable, Monsieur ?

            Ne me faîtes pas un tel affront, je vous en prie. Que cela reste entre nous et n'en parlons plus.

            Mais ces billets …”

    Maxime soupira profondément et, d'une voix triste, assura :

    ” Une vie entière ne suffirait pas à dépenser l'énorme fortune dont je dispose. Acceptez de moi cette petite contribution à votre rétablissement financier et oublions cet incident. “

            – A charge de revanche, Monsieur. Monsieur ?

            – Chaverny, Maxime de Chaverny, pour vous servir, monsieur ?

            – Niels Jurgensen.

            Au plaisir, Monsieur Jurgensen.

            Bien obligé, Monsieur de Chaverny. “

    Une cordiale poignée de main ratifia le parfait accord et les deux homme s'apprêtaient à quitter la salle lorsque Maxime prononça tout bas :

    ” J'ai une requête urgente, Monsieur. Faites comme si nous nous connaissons de longue date et ne vous étonnez pas de ce que je vais faire quand nous sortirons de la salle de jeu. “

    Le petit homme comprenait que quelque chose qui dépassait son entendement se produisait en ce moment. Cependant, l'émotion l'empêchait de poser des questions ou de s'opposer à la demande de Chaverny. Celui-ci passa son bras sous le sien et l'enleva vers la sortie. Comme ils arrivaient à la porte, Maxime s'effaça, fit une petite courbette et laissa passer M. Jurgensen devant lui avant de reprendre son bras.

    ” Si l'on vous pose la moindre question, je suis votre secrétaire, votre factotum, n'oubliez pas.

            Je ne comprends pas trop, mais si vous insistez …

            J'insiste ! “

    Ils se séparèrent, chacun se dirigeant vers sa cabine.

    Rentré chez lui, Maxime se frotta les mains avec satisfaction :

    ” Mon bon Lupin, tu fais des progrès. Te voilà presque dans la place. Tu as conquis le cœur du Papa, à bientôt celui de la fille ! Mais fais attention aux deux Hercules, camarade ! Ces deux-là n'y vont pas par quatre chemins. J'ai d'ailleurs comme l'impression qu'ils font des heures supplémentaires au casino flottant en plus de leur labeur quotidien. Je me demande d'ailleurs qui donc se cache derrière ces deux messieurs peu fréquentables … L'avenir te le dira, mon vieux Lupin. A présent, va te coucher et fais de beaux rêves. “

    Nous avons bien dit “deux Hercules” et non un. Car ils étaient bien deux, à se faire des signes de connivence des deux côtés de la grande table. Alors que Maxime  se félicitait de ses petits talents, les deux acolytes se disputaient comme des chiffonniers :

    ” Incapable ! C'est de ta faute !

            Comment pouvais-je savoir qu'il avait encore de l'argent et qu'il allait miser sur tout le tapis ?

            On prend ses renseignements avant de jouer son va-tout, idiot !

            Non non ! Il y a autre chose ! J'ai repéré un drôle de type au casino, un comte, quelque chose …

            Ah, le Baron ? il était là aussi, celui-là ? Je ne l'avais pas vu. Tiens, c'est bizarre.

            Oui. Il a dit quelque chose à Jurgensen et l'autre a joué et gagné. Il était comme hypnotisé.

            Il va falloir l'avoir à l'œil, ce client-là. Il ne me dit rien qui vaille. En attendant, retourne au casino demain et récupère ce qui tu as si bêtement perdu. “

    La petite manœuvre de Maxime eut un effet miraculeux sur le développement de ses affaires de cœur. A dix heures, il recevait un mot du Docteur Niels Jurgensen le priant de bien vouloir s'asseoir à sa table pour le déjeuner. A midi et demie, le Baron faisait son entrée dans la salle à manger et se dirigeait tout droit vers la petite table dressée près d'une baie vitrée d'où l'on pouvait distinguer un ciel d'un bleu ardent sur une mer d'azur. Elle était là, radieuse.

    ” Gerta, je te présente mon sauveur, Monsieur de Chaverny. “

    Sans même laisser à Maxime le temps d'exprimer le moindre sentiment, il se lança dans un récit très détaillé d'où il ressortait que le démon du jeu l'avait séduit à son insu. Chaverny avait opéré un vrai miracle et le Docteur ne savait comment payer sa dette à ce chevalier salutaire. Gerta déclara calmement :

    ” Monsieur de Chaverny n'est certainement pas tombé du ciel, Papa chéri. Figure-toi que je l'avais déjà remarqué chez le libraire où nous nous sommes arrêtés avant notre départ. “

    Maxime ne se laissait pas surprendre aisément. Mais, pour le coup, il faillit laisser tomber sa fourchette. Il regarda le joli visage et les grands yeux noirs et veloutés qui l'observaient :

    ” Mademoiselle, je vous assure …

            Que vous étiez là par hasard ? Je n'en doute pas. Est-ce aussi le hasard qui vous a amené sur ce bateau ?

            Vous ne manquez pas d'un rare sens d'observation. Vous feriez un excellent détective.

            Vous pensez, vraiment ? Enfin, laissons cela. Je me joins à mon père pour vous exprimer ma profonde gratitude pour ce que vous avez fait. Cette fâcheuse histoire aurait gâché  le plaisir que nous avons de faire ce voyage en Amérique. “

    Maxime saisit la perche qu'elle lui tendait :

    ” Qu'est-ce qui vous amène à Boston en ce début d'été ? “

    Le père expliqua :

    ” je suis spécialisé dans l'Histoire et la littérature scandinave. J'ai reçu  une requête d'un institut de recherche américain qui me demande d'étudier une inscription bizarre qui figure sur une pierre tombale. Ils n'ont trouvé personne sur place pour déchiffrer la chose. Ils se sont adressés à moi, pensant qu'il s'agissait de lettres runiques. “

    Il tira de sa poche une lettre tapée à la machine à écrire et contournée dans un français assez approximatif. L'expéditeur se nommait Robert Fitzgerald, Président de l'Institut de Recherches Médiévales à Saint-Paul dans l'Etat du Minnesota. On y avait joint un chèque de cinq-cents dollars qui devait couvrir les frais du voyage.

    Maxime réfléchit et demanda prudemment :

    ” Rien ne vous étonne dans cette requête ? Tout vous paraît-il normal ? “

    Gerta intervint :

    ” Ce n'est pas la première fois que nous partons en voyage, mon père et moi, pour ce genre de mission. Mais c'est la première fois que nous sommes espionnés par un  monsieur distingué et par ses deux gorilles. “

    Maxime éclata de rire :

    ” non, là, vous faîtes fausse route ! Une fois encore, vos talents d'observatrice m'étonnent, mademoiselle. Mais de toute façon, je vous jure que les deux escogriffes ne font pas partie de mes connaissances. Je donnerais d'ailleurs assez cher pour en savoir plus à leur sujet. “

    Gerta Jurgensen l'observa attentivement. A la fin de son analyse, un léger papillotement de ses jolis cils signala à notre héros qu'il avait gagné sa confiance.

    Les onnze jours suivants furent une véritable idylle. On se retrouvait sur le pont le matin. On contemplait les vagues accoudés au bastingage. On déjeunait fréquemment ensemble. Maxime racontait les aventures les moins révoltantes de sa carrière et ses nouveaux amis lui parlaient de la Scandinavie et des Vikings. N'était-ce la présence des deux Hercules à bord,  les trois personnages se seraient crus au Paradis.



     

     

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