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#159036
Christine SétrinChristine Sétrin
Participant

    PROUST, Marcel – Douze Poèmes

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    Je contemple souvent le ciel de ma mémoire

    Le temps efface tout comme effacent les vagues
    Les travaux des enfants sur le sable aplani
    Nous oublierons ces mots si précis et si vagues
    Derrière qui chacun nous sentions l’infini.
     
    Le temps efface tout il n’éteint pas les yeux
    Qu’ils soient d’opale ou d’étoile ou d’eau claire
    Beaux comme dans le ciel ou chez un lapidaire
    Ils brûleront pour nous d’un feu triste ou joyeux.
     
    Les uns joyaux volés de leur écrin vivant
    Jetteront dans mon cœur leurs durs reflets de pierre
    Comme au jour où sertis, scellés dans la paupière
    Ils luisaient d’un éclat précieux et décevant.
     
    D’autres doux feux ravis encor par Prométhée
    Étincelle d’amour qui brillait dans leurs yeux
    Pour notre cher tourment nous l’avons emportée
    Clartés trop pures ou bijoux trop précieux.
     
    Constellez à jamais le ciel de ma mémoire
    Inextinguibles yeux de celles que j’aimai
    Rêvez comme des morts, luisez comme des gloires
    Mon cœur sera brillant comme une nuit de Mai.
     
    L’oubli comme une brume efface les visages
    Les gestes adorés au divin autrefois,
    Par qui nous fûmes fous, par qui nous fûmes sages
    Charmes d’égarement et symboles de foi.
     
    Le temps efface tout l’intimité des soirs
    Mes deux mains dans son cou vierge comme la neige
    Ses regards caressants mes nerfs comme un arpège
    Le printemps secouant sur nous ses encensoirs.
     
    D’autres, les yeux pourtant d’une joyeuse femme,
    Ainsi que des chagrins étaient vastes et noirs
    Épouvante des nuits et mystère des soirs
    Entre ces cils charmants tenait toute son âme
     
    Et son cœur était vain comme un regard joyeux.
    D’autres comme la mer si changeante et si douce
    Nous égaraient vers l’âme enfouie en ses yeux
    Comme en ces soirs marins où l’inconnu nous pousse.
     
    Mer des yeux sur tes eaux claires nous naviguâmes
    Le désir gonflait nos voiles si rapiécées
    Nous partions oublieux des tempêtes passées
    Sur les regards à la découverte des âmes.
     
    Tant de regards divers, les âmes si pareilles
    Vieux prisonniers des yeux nous sommes bien déçus
    Nous aurions dû rester à dormir sous la treille
    Mais vous seriez parti même eussiez-vous tout su
     
    Pour avoir dans le cœur ces yeux pleins de promesses
    Comme une mer le soir rêveuse de soleil
    Vous avez accompli d’inutiles prouesses
    Pour atteindre au pays de rêve qui, vermeil,
     
    Se lamentait d’extase au-delà des eaux vraies
    Sous l’arche sainte d’un nuage cru prophète
    Mais il est doux d’avoir pour un rêve ces plaies
    Et votre souvenir brille comme une fête.

    Source : Le Paradis des Albatros.

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    Sonnet en pensant Daniel Halévy pendant qu'on marque les absents

    Ses yeux sont comme les noires nuits brillantes ;
    C’est la tête fine des forts égyptiens
    Qui dressent leurs poses lentes
    Sur les sarcophages anciens.
     
    Son nez est fort et délicat
    Comme les clairs chapiteaux grêles ;
    Ses lèvres ont le sombre éclat
    Des rougissantes airelles.
     
    Sur sa riche âme, rieuse en sa sauvagerie,
    L’univers se reflète ainsi
    Qu’une glorieuse imagerie
     
    Cependant qu’un feu subtil et choisi
    Anime cette âme et ce corps nubile
    D’une exquise vivacité féerique.

    Source : Le Paradis des Albatros.

    —–

    Dordrecht

    Ton ciel toujours un peu
    bleu
    Le matin souvent un peu
    pleut
     
    Dordrecht endroit si beau
    Tombeau
    De mes illusions chéries
     
    Quand j’essaye à dessiner
    Tes canaux, tes toits, ton clocher
    Je me sens comme aimer
    Des patries
     
    Mais le soleil et les cloches
    Ont bien vite resséché
    Pour la grand-messe et les brioches
    Ton luisant clocher
     
    Ton ciel bleu
    Souvent pleut
    Mais dessous toujours un peu
    Reste bleu.

    Source : Le Paradis des Albatros.

    —–

    Je souffre hélas d'un mal

    Je souffre hélas d’un mal, son nom — célèbre — est Terre.
    Ce mal est sans remède, aussi j’ai dû le taire,
    Celle dont je me plains n’en a jamais rien su.
    Sous elle, j’ai passé sans doute inaperçu,
    Reposant à ses pieds et pourtant solitaire,
    Et j’aurai jusqu’au bout fait mon temps sur la terre,
    Réclamant le silence et n’ayant rien reçu.
    Elle que Dieu ne fit hélas douce ni tendre,
    Elle avait décidé que je devais entendre,
    Tout ce bruit de marteaux élevés sur ses pas.
    À la Sainte Pitié chaque jour infidèle
    Elle dira lisant ces vers tout remplis d’elle
    « Quelle est donc cette femme ? » et ne comprendra pas.

    Source : Le Paradis des Albatros.

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    Petit pastiche de Mme de Noailles

    Mon cœur sage, fuyez l’odeur des térébinthes,
    Voici que le matin frise comme un jet d’eau.
    L’air est un écran d’or où des ailes sont peintes ;
    Pourquoi partiriez-vous pour Nice ou pour Yeddo ?
     
    Quel besoin avez-vous de la luisante Asie
    Des monts de verre bleu qu’Hokusaï dessinait
    Quand vous sentez si fort la belle frénésie
    D’une averse dorant les toits du Vésinet !
     
    Ah ! partir pour le Pecq, dont le nom semble étrange,
    Voir avant de mourir le Mont Valérien
    Quand le soigneux couchant se dispose et s’effrange
    Entre la Grande Roue et le Puits artésien.

    Source : Le Paradis des Albatros.

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    Afin de me couvrir de fourrure et de moire

    À Jean Cocteau.

    Afin de me couvrir de fourrure et de moire
    Sans de ses larges yeux renverser l’encre noire
    Tel un sylphe au plafond, tel sur la neige un ski
    Jean sauta sur la table auprès de Nijinsky.
    C’était dans un salon purpurin de Larue
    Dont l’or, d’un goût douteux, jamais ne se voila.
    La barbe d’un docteur blanditieuse et drue
    Déclarait : « Ma présence est peut-être incongrue
    Mais s’il n’en reste qu’un je serai celui-là. »
    Et mon cœur succombait aux coups d’Indiana.

    Source : Le Paradis des Albatros.

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    Antoine Watteau

    Crépuscule grimant les arbres et les faces,
    Avec son manteau bleu, sous son masque incertain;
    Poussière de baisers autour des bouches lasses…
    Le vague devient tendre, et le tout près, lointain.

    La mascarade, autre lointain mélancolique,
    Fait le geste d’aimer plus faux, triste et charmant.
    Caprice de poète – ou prudence d’amant,
    L’amour ayant besoin d être orné savamment –
    Voici barques, goûters, silences et musique.

    Source : Poética.

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    Anton Van Dyck

    Douce fierté des coeurs, grâce noble des choses,
    Qui brillent dans les yeux, les velours et les bois ;
    Beau langage élevé du maintien et des poses
    Héréditaire orgueil des femmes et des rois !

    Tu triomphes, Van Dyck, prince des gestes calmes,
    Dans tous les êtres beaux qui vont bientôt mourir,
    Dans toute belle main qui sait encor s'ouvrir…
    Sans s'en douter, qu'importe, elle te tend les palmes !

    Halte de cavaliers sous les pins, près des flots
    Calmes comme eux, comme eux bien proches des sanglots ;
    Enfants royaux déjà magnifiques et graves,
    Vêtements résignés, chapeaux à plumes braves,
    Et bijoux en qui pleure, onde à travers les flammes,
    L'amertume des pleurs dont sont pleines les âmes,
    Trop hautaines pour les laisser monter aux yeux ;
    Et toi par-dessus tous, promeneur précieux
    En chemise bleu pâle, une main à la hanche,
    Dans l'autre un fruit feuillu détaché de la branche,
    Je rêve sans comprendre à ton geste et tes yeux :
    Debout mais reposé dans cet obscur asile
    Duc de Richmond, ô jeune sage ! – ou charmant fou ? –
    Je te reviens toujours… -. Un saphir à ton cou
    A des feux aussi doux que ton regard tranquille.

    Source : Poesie.webnet.fr.

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    Schumann

    Du vieux jardin dont l’amitié t’a bien reçu,
    Entends garçons et nids qui sifflent dans les haies,
    Amoureux las de tant d’étapes et de plaies,
    Schumann, soldat songeur que la guerre a déçu.

    La brise heureuse imprègne, où passent des colombes,
    De l’odeur du jasmin l’ombre du grand noyer,
    L’enfant lit l’avenir aux flammes du foyer,
    Le nuage ou le vent parle à ton cœur des tombes.

    Jadis tes pleurs coulaient aux cris du carnaval
    Ou mêlaient leur douceur à l’amère victoire
    Dont l’élan fou frémit encor dans ta mémoire;
    Tu peux pleurer sans fin: Elle est à ton rival.

    Vers Cologne le Rhin roule ses eaux sacrées.
    Ah! que gaiement les jours de fête sur ses bords
    Vous chantiez! – Mais brisé de chagrin, tu t’endors…
    Il pleut des pleurs dans des ténèbres éclairées.

    Rêve où la morte vit, où l’ingrate a ta foi,
    Tes espoirs sont en fleurs et son crime est en poudre…
    Puis éclair déchirant du réveil, où la foudre
    Te frappe de nouveau pour la première fois.

    Coule, embaume, défile aux tambours ou sois belle!
    Schumann, ô confident des âmes et des fleurs,
    Entre tes quais joyeux fleuve saint des douleurs,
    Jardin pensif, affectueux, frais et fidéle,
    Où se baisent les lys, la lune et l’hirondelle,
    Armée en marche, enfant qui rêve, femme en pleurs!

    Source : Poética.

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    Albert Cuyp

    Cuyp, soleil déclinant dissous, dans l'air limpide
    Qu'un vol de ramiers gris trouble comme de l'eau,
    Moiteur d'or, nimbe au front d'un boeuf ou d'un bouleau,
    Encens bleu des beaux jours fumant sur le coteau,
    Ou marais de clarté stagnant dans le ciel vide.
    Des cavaliers sont prêts, plume rose au chapeau,
    Paume au côté ; l'air vif qui fait rose leur peau,
    Enfle légèrement leurs fines boucles blondes,
    Et, tentés par les champs ardents, les fraîches ondes,
    Sans troubler par leur trot les boeufs dont le troupeau
    Rêve dans un brouillard d'or pâle et de repos,
    Ils partent respirer ces minutes profondes.

    Source : Poesie.webnet.fr.

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    Mozart

    Italienne aux bras d'un Prince de Bavière
    Dont l'oeil triste et glacé s'enchante à sa langueur!
    Dans ses jardins frileux il tient contre son coeur
    Ses seins mûris à l'ombre, où téter la lumière.
    Sa tendre âme allemande, – un si profond soupir!
    -Goûte enfin la paresse ardente d'être aimée,
    Il livre aux mains trop faibles pour le retenir
    Le rayonnant espoir de sa tête charmée.
    Chérubin, Don Juan! Loin de l'oubli qui fane
    Debout dans les parfums tant il foula de fleurs
    Que le vent dispersa sans en sécher les pleurs
    Des jardins andalous aux tombes de Toscane!
    Dans le parc allemand où brument les ennuis,
    L'Italienne encore est reine de la nuit.
    Son haleine y fait l'air doux et spirituel
    Et sa Flûte enchantée égoutte avec amour
    Dans l'ombre chaude encor des adieux d'un beau jour
    La fraîcheur des sorbets, des baisers et du ciel.

    Source : Marcelproust.it.

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    Pédérastie

    À Daniel Halévy

    Si j'avais un gros sac d'argent d'or ou de cuivre
    Avec un peu de nerf aux reins lèvres ou mains
    Laissant ma vanité — cheval, sénat ou livre,
    Je m'enfuirais là-bas, hier, ce soir ou demain
    Au gazon framboisé — émeraude ou carmin ! —
    Sans rustiques ennuis, guêpes, rosée ou givre
    Je voudrais à jamais coucher, aimer ou vivre
    Avec un tiède enfant, Jacques, Pierre ou Firmin.
    Arrière le mépris timide des Prud'hommes !
    Pigeons, neigez! Chantez, ormeaux ! blondissez, pommes !
    Je veux jusqu'à mourir aspirer son parfum !
    Sous l'or des soleils roux, sous la nacre des lunes
    Je veux… m'évanouir et me croire défunt
    Loin du funèbre glas des Vertus importunes !

    Source : ActuaLitté.

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