Répondre à : (O) DEGANDT, Alain – La Drôlatique Histoire du roi inuit allant visiter ses terres

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#159650
Alain DegandtAlain Degandt
Participant

    Bonjour à toutes et tous,

    Je soumets à votre accord ce petit texte qui n'a d'autre prétention que de distraire et faire sourire :



    LA DRÔLATIQUE HISTOIRE DU ROI INUIT ALLANT VISITER SES TERRES









    Jadis, il y a de cela belle lurette,



    Un grand roi inuit



    De bonne grâce obéissant



    Aux tortueuses lois



    Qui, par l’effet conjugué



    D’alliances subtiles entre familles bien nées



    Et de vénales manigances de notaires,



    Régissent les destinées des têtes couronnées,



    D’un vaste domaine oublié,



    Perdu aux confins d’une ancienne province,



    Hérita. Les humbles fonctionnaires



    Chaque soir adressent à l’État



    Une laïque prière,



    Afin qu’en ce désert on ne les mute pas,



    Tant prospèrent ici-bas la ronce et les calvaires !






    Or, de toute sa vie, cet esquimau de prince



    Ne s’était guère éloigné de son igloo de maison,



    Que pour chasser le phoque et le petit ourson.



    Ignorant tout du cycle des saisons



    Qui en nos lieux tempérés règle les affaires,



    C’est au milieu de notre rude hiver



    Qu’il fit affréter attelage,



    Afin de prendre possession



    De son magnifique héritage.






    Le voyage ne manqua pas d’incidents,



    Le chemin était si long depuis le pôle !



    En montant en voiture, il se démit l’épaule ;



    En mordant sur un clou, il se cassa les dents.



    Sur les flots agités de la Mer Baltique



    Son navire heurta un cargo de barriques.



    À Copenhague, dit-on,



    En plein cœur de la nuit,



    Il fut courtisé sans façons



    Par une sirène en folie…



    Afin de ne pas lasser l’attention du lecteur



    Je passe des épisodes, et des meilleurs !






    À l’entrée de son domaine



    Il arriva enfin, tout fourbu,



    Content d’être vivant



    Mais contre les dieux en rage !






    Et en bien piteux équipage.



    Jugez-en plutôt : son cocher



    Ressemblait à s’y méprendre



    À un bandit de grand chemin



    Qu’on aurait poursuivi pour le pendre !






    Ses valets, deux nigauds,



    Qu’on aurait cru rentrés de stage



    Tout de go,



    Du royaume de Naples et des deux Sicile,



    Où, foin d’omerta,



    Chacun sait, comme moi,



    Qu’un peuple indocile



    Règle à coups de couteau,



    Si ce n’est de fusil,



    De futiles querelles de voisinage,



    Ses valets, vous dis-je,



    Semblaient deux loups malingres



    En quête d’un plumage.






    Ses chevaux, épuisés,



    Avaient tout de Rossinante



    Et plus rien de fringants destriers !






    Ses habits étaient défaits,



    Tout crottés, dépareillés, dépenaillés.






    Lui, était amaigri et débraillé,



    Sa mine était grise et son teint délavé.



    Son regard, éteint, traînait à la dérive



    Et son esprit, en rade,



    Lui donnait l’air hagard



    D’un voyageur perdu sur le quai d’une gare.






    Après s’être escrimés



    Un quart d’heure durant



    En vains ronds de jambe



    Ridicules courbettes



    Et viles salamalecs



    Devant notre roi sans divertissement



    Qui ne faisait que bâiller en les regardant,



    Deux obséquieux domestiques



    S’avisèrent soudain



    De l’urgente nécessité



    D’ouvrir à deux battants



    La grille en fer forgé



    Qui solennellement dressait sa rouille



    Au milieu des orties, des chardons, du chiendent



    Et des genêts à fumer les andouilles.






    Suant, soufflant, sifflant,



    Retenant et poussant



    Vaille que vaille,



    À hue et à dia tirant,



    Au nez des chevaux impatients,



    Nos deux fourbes laquais



    Parvinrent non sans mal



    À forcer le loquet



    Qui tenait bien fermé le portail.






    Quand il s’ouvrit,



    Un cri sinistre retentit



    Et par toute la campagne



    Se répandit :



    On eût dit le contre ut



    D’une diva d’opéra



    Ou le râle du boxeur



    Frappé par l'uppercut.



    Le royal convoi délivré s'ébranla.






    Pénétrant plus avant dans son domaine,



    Le roi fut pris d'un vrai ravissement !



    Car malgré le froid saisissant,



    Qui lui rappelait vaguement



    Le cœur de l'été polaire,



    Il put admirer tout un camaïeu de vert



    Qui se répandait par la nature entière !



    La mousse et les lichens



    Recouvraient chaque branche



    De leur perfide matière.



    Le lierre grimpant escaladait les troncs



    Et en vampirisait la sève dormante



    Pour le plus grand plaisir des yeux.



    Des lianes étouffantes



    Étranglaient de leurs nœuds



    Les pousses les plus récentes.



    La vermine habitait les fentes et les souches



    Et tous les parasites y avaient fait leur couche,



    Se sentant bénis des dieux.



    Les arbres portaient à bout de bras



    D'énormes boules, d'un vert luisant,



    Agrémentées de perles de nacre,



    Sous lesquelles des couples de jeunes gens



    À bouche que veux-tu



    S'embrassaient goulûment,



    Tandis que des prêtres barbus,



    Armés d'une serpette,



    Faisaient de ce trésor



    De fameuses emplettes !






    Absolument époustouflé,



    Émerveillé et subjugué,



    Le roi tint à féliciter



    Le jardinier qui, par son grand art,



    Avait si bien conçu et entretenu



    Ce foisonnant et vivant bazar.






    On envoya chercher l'artiste.






    Ce n'est qu'après avoir fouillé



    Vingt ateliers, cinq serres et cent remises,



    Qu'on dénicha cet effronté,



    Batifolant en simple chemise



    Dans une grange à foin



    Où, foin du qu'en-dira-t-on,



    Sans vergogne il lutinait



    Les jupons



    D'une Margot, d'une Suzon



    Dont les chevilles étaient exquises.



    Sans ménagements il fut extrait



    De ses joyeux ébats



    Et manu militari



    Jusqu'à Sa Majesté fut conduit.






    D'un violent coup de pied



    Judicieusement placé,



    Devant le roi



    On l'invita fermement à s'incliner.






    Face contre terre,



    Le soulier d'un laquais coincé entre les deux épaules,



    Le drôle fut anobli et élevé



    Au rang de Grand Maître de la Jarretière



    Et Autres Fariboles,



    Ce qui, entre nous soit-dit,



    Lui fit une belle guibolle.






    Le soulier du laquais se faisant plus pressant,



    Le manant remercia le roi



    Par d'inaudibles paroles



    (La boue du chemin obstruait son gosier).



    Et sans plus tarder le royal convoi



    De nouveau s'ébranla.






    Plus on s'approchait



    De la Cour d'Honneur,



    Plus les arbres perdaient



    De leur foisonnante vigueur.






    Bientôt on ne vit plus



    La moindre tache de verdure.



    Et l'entière Nature



    Avait partout perdu sa luxuriante parure :



    Amputés, rabougris, squelettiques,



    Allées, parterres et portiques



    Étaient affligés de formes géométriques.



    Lignes droites, sphères et fuseaux,



    Tout semblait tracé et taillé au cordeau.



    Plus de fantaisie pour rêver à loisir,



    Plus de coussinets où poser le regard.



    La Sévérité et ses grinçants ciseaux,



    Associée à la Mort et son austère faux,



    Régnaient ici en maîtres



    Et vous glaçaient les os.






    Offusqué qu'on l'eût mené



    Au cœur de cette désolation



    Qui plongeait l'âme humaine



    En un cafard profond



    Et vous mettait les nerfs à vif,



    D'un geste sec et peu amène



    Sa Majesté ordonna de ses chevaux l'arrêt



    Et demanda qu'on lui amène,



    Sur le champ, mort ou vif,



    L'indigne énergumène, le fautif,



    Coupable d'avoir estropié ses massifs.






    Inutile cette fois d'aller en bande



    Par tout le domaine



    Quérir sous les châlits,



    Derrière les fagots



    Ou dans des coins bizarres,



    Le jardinier maudit



    Qu'un funeste destin,



    Qu'un malheureux hasard,



    Avait placé en travers



    Du chemin d'un monarque,



    Venu du diable vauvert



    Piétiner ses plates-bandes :






    Il était planté là,



    À deux pas du carrosse,



    Comme un fiancé falot



    Au matin de ses noces.



    Car pris d'une frénésie quasi hystérique



    À l'annonce de cette royale visite,



    Il avait intrigué



    Et s'était ingénié



    Par cent ruses diverses,



    Stratagèmes pervers,



    À se faire inviter,



    Afin de s'approcher



    De ce prince exotique



    Et vanter ses mérites,



    Dans l'espoir chimérique



    D'obtenir de Sa Très Gracieuse Majesté



    Une charge, Un diocèse,



    Un domaine, Un titre.






    Sa révérence exécutée,



    Et par sept fois renouvelée,



    Il restait humblement prosterné,



    Chapeau bas, genou plié,



    L'air timide, mains croisées,



    Tremblant comme feuille de peuplier



    Sous la bourrasque de septembre.






    Puis il tint en rougissant



    Cet émouvant discours au roi :



    «  – J'attire, bredouilla-t-il, respectueusement



    L'attention de Votre Majesté



    Sur l'envergure des travaux



    Que quotidiennement



    Entreprennent Vos gens,



    Afin que les rigueurs de nos frimas



    N'affectent par trop l'agencement



    Ni l'harmonie qui président,



    Depuis des siècles,



    À l'excellente renommée



    Ainsi qu'à la préservation



    De Votre royal domaine.



    Et ce, grâce à la pointilleuse attention



    Que lui a toujours portée la lignée



    De Vos illustres ancêtres



    Et aux soins scrupuleux



    Prodigués par leurs fidèles sujets.






    Aussi est-ce avec fierté



    Que je présente à Votre Majesté



    Les fruits de notre soumission



    D'hommes-liges,



    Avec l'espoir qu'ils sauront



    À Votre Grâce complaire.»






    Le roi se frotta d'abord les yeux



    Car il eut peine à croire



    Ce qu'il venait de reluquer.






    Puis il introduisit chacun de ses auriculaires



    Dans chacun de ses conduits auditifs,



    Qu'avec vigueur il ramona



    Car il eut peine à croire ce qu'il venait d'esgourder.






    [Remarque du narrateur : il exécuta cette basse besogne lui-même et sans le secours d'une main experte, contrairement à l'accoutumée et vu l'urgence, ne trouvant pas de chambrière à portée de sceptre pour la faire exécuter à sa place, dans cet environnement hostile et retiré de tout. « – À la guerre, comme à la guerre !» fut sa pensée profonde du jour, que s'empressa de noter son tabellion.]






    Ces deux exercices accomplis,



    Il se persuada qu'il n'avait pas rêvé :



    On venait de se moquer de Sa Royale Personne,



    Et ce, de façon éhontée.



    Nous étions à n'en point douter



    Devant un crime de lèse-majesté.



    Il fallait, sans coup férir,



    Sévir, sous peine de perdre la face.



    Il fallait mettre fin à cette farce



    Qui avait assez duré.






    Un tribunal fut illico constitué.



    Le roi y tiendrait tous les rôles,



    À l'exception notoire



    De celui de prévenu.






    Il déclara ouverte la séance,



    En procédure de délit flagrant.






    Le Procureur-Roi



    Prononça le réquisitoire.






    De bonne foi, ne trouvant



    Aucune circonstance atténuante,



    Il demanda l'application



    De la peine capitale.






    L'Avocat-Roi dut s'absenter pour une affaire urgente,



    Pile au moment de sa plaidoirie.






    Les jurés ne reçurent leur convocation



    Qu'à la fin de la semaine pascale,



    Soit trois mois francs



    Après le jugement,



    Ce, en raison des nombreuses escales



    Que s'octroya la malle-poste



    Pour accomplir sa mission,



    Selon l'officielle version.






    Le Juge-Roi fut contraint, on le comprend,



    De faire, séance tenante,



    Procéder à l'exécution :






    Par son bourreau Scipion,



    Dépêché tout exprès de son septentrion,



    Au jardinier infâme il fit trancher la tête.

    – Schlak !





    Sans plus de fioritures



    Le chou du jardinier



    S'en vint choir dans la sciure.








    De cette affligeante mésaventure



    Retenons bien ces deux leçons :



    La première, que depuis l’enfance nous savons,



    Est que l’habit point ne fait le moine,



    Pas plus que l’aronde le printemps



    Et que jamais nous ne devons



    Juger sur la mine, ni les arbres, ni les gens,



    Ni les objets, hormis peut-être les crayons,



    Si chatoyants soient-ils dans les vitrines.






    La seconde nous exhorte



    À ne point trop flatter



    Les puissants de ce monde



    Ni à leur obéir plus qu’il n’est de raison.



    Ils sont si impatients,



    Capricieux, versatiles !



    Ils vous feraient,



    Sans autre forme de procès,



    Devenir chèvre,



    Tourner en bourrique,



    Perdre le Nord,



    Qui sait ? Voire même perdre la vie !






    Passez inaperçu,



    Faites-vous oublier !



    Car ne vous connaissant



    Ni d’Ève ni d’Adam,



    Ces très grands personnages,



    Du haut de leur perchoir,



    Ne se donneront pas même



    La peine de vous voir !






    Et de votre jeunesse



    Jusqu’à votre grand âge



    Ils vous ficheront – quel régal ! –



    Une paix on ne peut plus royale !







    © Alain DEGANDT – Octobre-Novembre 2015 – Tous droits réservés

     

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