Répondre à : DIVERS – Dix Poèmes pour le Jour des morts

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#159662
Christine SétrinChristine Sétrin
Participant

    Antoine de la Tour – Le Jour des morts (1835)

    Voici le jour des morts, l'âme croit les entendre ;
    Mais au lieu d'un jour sombre et d'un ciel attriste,
    Une heure de printemps se lève sur leur cendre,
    Comme un signe de paix et d'immortalité.

    Vers les champs du repos, autour de la cité,
    La foule des vivants commence à se répandre,
    Et plus d'un a choisi le sentier écarté
    Que peut-être demain il lui faudra reprendre.

    Ah ! vous n'êtes pas là, vous que j'ai tant pleures,
    Le hasard fit, hélas ! à vos mânes sacrés,
    Pour la nuit de la tombe, un chevet solitaire.

    Mais la loi du temps cesse où la vie a cessé,
    Et les larmes du cœur vont partout sous la terre
    Consoler dans la mort le pauvre trépassé.

    ————————————–
    Guillaume Apollinaire – Rhénane d'automne

    Les enfants des morts vont jouer
    Dans le cimetière
    Martin Gertrude Hans et Henri
    Nul coq n’a chanté aujourd’hui
    Kikiriki

    Les vieilles femmes
    Tout en pleurant cheminent
    Et les bons ânes
    Braillent hi han et se mettent à brouter les fleurs
    Des couronnes mortuaires

    C’est le jour des morts et de toutes leurs âmes

    Les enfants et les vieilles femmes
    Allument des bougies et des cierges
    Sur chaque tombe catholique
    Les voiles des vieilles
    Les nuages du ciel
    Sont comme des barbes de biques

    L’air tremble de flammes et de prières

    Le cimetière est un beau jardin
    Plein des saules gris et de romarins
    Il vous vient souvent des amis qu’on enterre
    Ah ! que vous êtes bien dans le beau cimetière
    Vous mendiants morts saouls de bière
    Vous les aveugles comme le destin
    Et vous petits enfants morts en prière

    Ah ! que vous êtes bien dans le beau cimetière
    Vous bourgmestres vous bateliers
    Et vous conseillers de régence

    Vous aussi tziganes sans papiers
    La vie vous pourrit dans la panse
    La croix nous pousse entre les pieds
    Le vent du Rhin ulule avec tous les hiboux
    Il éteint les cierges que toujours les enfants rallument
    Et les feuilles mortes
    Viennent couvrir les morts

    Des enfants morts parlent parfois avec leur mère
    Et des mortes parfois voudraient bien revenir

    Oh ! je ne veux pas que tu sortes
    L’automne est plein de mains coupées
    Non non ce sont des feuilles mortes
    Ce sont les mains des chères mortes
    Ce sont tes mains coupées

    Nous avons tant pleuré aujourd’hui
    Avec ces morts leurs enfants et les vieilles femmes
    Sous le ciel sans soleil
    Au cimetière plein de flammes

    Puis dans le vent nous nous en retournâmes

    À nos pieds roulaient des châtaignes
    Dont les bogues étaient
    Comme le cœur blessé de la madone
    Dont on doute si elle eut la peau
    Couleur des châtaignes d’automne

    ————————————–
    Pierre Corneille – Ne verse point de pleurs (1655)

    Ne verse point de pleurs sur cette sépulture,
    Passant ; ce lit funèbre est un lit précieux,
    Où gît d'un corps tout pur la cendre toute pure ;
    Mais le zèle du cœur vit encore en ces lieux.

    Avant que de payer le droit de la nature,
    Son âme, s'élevant au-delà de ses yeux,
    Avait au Créateur uni la créature ;
    Et marchant sur la terre elle était dans les cieux.

    Les pauvres bien mieux qu'elle ont senti sa richesse
    L'humilité, la peine, étaient son allégresse ;
    Et son dernier soupir fut un soupir d'amour.

    Passant, qu'à son exemple un beau feu te transporte ;
    Et, loin de la pleurer d'avoir perdu le jour,
    Crois qu'on ne meurt jamais quand on meurt de la sorte.

    ————————————–
    Gaston Couté – Requiescat in pace

    Comme s'effeuille une rose
    L'amante dolente aux traits
    Ravagés par la chlorose
    Est morte au soir des regrets
    Et sur le bord de sa fosse
    Le vieux prêtre au dos cassé
    A glapi de sa voix fausse
    Requiescat in pace !…

    Et maintenant pauvre chère
    Elle git loin du soleil
    Sous le grand champ en jachère
    Où tout est paix et sommeil
    Défunts tous les jours d'ivresse
    Et les nuits de l'an passé
    Défunts comme ma maîtresse
    Requiescat in pace !…

    Plus n'ai la force de vivre
    Et par les tristes hivers
    Sertis de larmes de givre
    J'erre en sanglotant mes vers
    Dans le vent qui les emporte
    Mon pauvre coeur trépassé
    Dort sur celui de la morte
    Requiescat in pace !…

    ————————————–
    Théophile Gautier – Coquetterie posthume (1852)

    Quand je mourrai, que l'on me mette,
    Avant de clouer mon cercueil,
    Un peu de rouge à la pommette,
    Un peu de noir au bord de l'oeil.

    Car je veux dans ma bière close,
    Comme le soir de son aveu,
    Rester éternellement rose
    Avec du kh'ol sous mon oeil bleu.

    Pas de suaire en toile fine,
    Mais drapez-moi dans les plis blancs
    De ma robe de mousseline,
    De ma robe à treize volants.

    C'est ma parure préférée ;
    Je la portais quand je lui plus.
    Son premier regard l'a sacrée,
    Et depuis je ne la mis plus.

    Posez-moi, sans jaune immortelle,
    Sans coussin de larmes brodé,
    Sur mon oreiller de dentelle
    De ma chevelure inondé.

    Cet oreiller, dans les nuits folles,
    A vu dormir nos fronts unis,
    Et sous le drap noir des gondoles
    Compté nos baisers infinis.

    Entre mes mains de cire pâle,
    Que la prière réunit,
    Tournez ce chapelet d'opale,
    Par le pape à Rome bénit :

    Je l'égrènerai dans la couche
    D'où nul encor ne s'est levé ;
    Sa bouche en a dit sur ma bouche
    Chaque Pater et chaque Ave.

    ————————————–
    Anna de Noailles – La Mort fervente (1901)

    Mourir dans la buée ardente de l'été,
    Quand parfumé, penchant et lourd comme une grappe,
    Le coeur, que la rumeur de l'air balance et frappe,
    S'égrène en douloureuse et douce volupté.

    Mourir, baignant ses mains aux fraîcheurs du feuillage,
    Joignant ses yeux aux yeux fleurissants des bois verts,
    Se mêlant à l'antique et naissant univers,
    Ayant en même temps sa jeunesse et son âge,

    S'en aller calmement avec la fin du jour ;
    Mourir des flèches d'or du tendre crépuscule,
    Sentir que l'âme douce et paisible recule
    Vers la terre profonde et l'immortel amour.

    S'en aller pour goûter en elle ce mystère
    D'être l'herbe, le grain, la chaleur et les eaux,
    S'endormir dans la plaine aux verdoyants réseaux,
    Mourir pour être encor plus proche de la terre…

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    Sophie d'Arbouville – La Sérénade (1840)

    Mère, quel doux chant me réveille ?
    Minuit ! c'est l'heure où l'on sommeille.
    Qui peut, pour moi, venir si tard
    Veiller et chanter à l'écart ?

    Dors, mon enfant, dors ! c'est un rêve.
    En silence la nuit s'achève,
    Mon front repose auprès du tien,
    Je l'embrasse et je n'entends rien.
    Nul ne donne de sérénade
    À toi, ma pauvre enfant malade !

    Ô mère ! ils descendent des cieux,
    Ces sons, ces chants harmonieux ;
    Nulle voix d'homme n'est si belle,
    Et c'est un ange qui m'appelle !
    Le soleil brille, il m'éblouit…
    Adieu, ma mère, bonne nuit !

    Le lendemain, quand vint l'aurore,
    La blanche enfant dormait encore ;
    Sa mère l'appelle en pleurant,
    Nul baiser n'éveille l'enfant…
    Son âme s'était envolée
    Quand les chants l'avaient appelée.

    ————————————–
    René-François Sully Prudhomme – Le Dernier Adieu (1869)

    Quand l'être cher vient d'expirer,
    On sent obscurément la perte,
    On ne peut pas encor pleurer :
    La mort présente déconcerte ;

    Et ni le lugubre drap noir,
    Ni le Dies irae farouche,
    Ne donnent forme au désespoir :
    La stupeur clôt l'âme et la bouche.

    Incrédule à son propre deuil,
    On regarde au fond de la tombe,
    Sans rien comprendre à ce cercueil
    Sonnant sous la terre qui tombe.

    C'est aux premiers regards portés,
    En famille, autour de la table,
    Sur les sièges plus écartés,
    Que se fait l'adieu véritable.

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    Émile Verhaeren – Vieille ferme à la Toussaint

    La ferme aux longs murs blancs, sous les grands arbres jaunes,
    Regarde, avec les yeux de ses carreaux éteints,
    Tomber très lentement, en ce jour de Toussaint,
    Les feuillages fanés des frênes et des aunes.

    Elle songe et resonge à ceux qui sont ailleurs,
    Et qui, de père en fils, longuement s’éreintèrent,
    Du pied bêchant le sol, des mains fouillant la terre,
    A secouer la plaine à grands coups de labeur.

    Puis elle songe encor qu’elle est finie et seule,
    Et que ses murs épais et lourds, mais crevassés,
    Laissent filtrer la pluie et les brouillards tassés,
    Même jusqu’au foyer où s’abrite l’aïeule.

    Elle regarde aux horizons bouder les bourgs ;
    Des nuages compacts plombent le ciel de Flandre ;
    Et tristement, et lourdement se font entendre,
    Là-bas, des bonds de glas sautant de tour en tour.

    Et quand la chute en or des feuillage effleure,
    Larmes ! ses murs flétris et ses pignons usés,
    La ferme croit sentir ses lointains trépassés
    Qui doucement se rapprochent d’elle, à cette heure,
    Et pleurent.

    ————————————–
    Paul Verlaine – Toussaint (1892)

    Ces vrais vivants qui sont les saints,
    Et les vrais morts qui seront nous,
    C'est notre double fête à tous,
    Comme la fleur de nos desseins,

    Comme le drapeau symbolique
    Que l'ouvrier plante gaîment
    Au faite neuf du bâtiment,
    Mais, au lieu de pierre et de brique,

    C'est de notre chair qu'il s'agit,
    Et de notre âme en ce nôtre œuvre
    Qui, narguant la vieille couleuvre,
    A force de travaux surgit.

    Notre âme et notre chair domptées
    Par la truelle et le ciment
    Du patient renoncement
    Et des heures dûment comptées.

    Mais il est des âmes encor,
    Il est des chairs encore comme
    En chantier, qu'à tort on dénomme
    Les morts, puisqu'ils vivent, trésor

    Au repos, mais que nos prières
    Seulement peuvent monnayer
    Pour, l'architecte, l'employer
    Aux grandes dépenses dernières.

    Prions, entre les morts, pour maints
    De la terre et du Purgatoire,
    Prions de façon méritoire
    Ceux de là-haut qui sont les saints.

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