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Aegidius a écrit :
Le style est peu soutenu dans son ensemble avec des syntaxes contestables et des graphies erronées. Il y a également des fautes élémentaires de langue, on dit par exemple « laisser tranquille ». La construction du verbe pronominal « s'illusionner » est critiquable.
D'autre part un littérateur ne devrait pas proposer différentes issues. Dans le cas de cette narration, elles dissimulent en réalité une propagande idéologique car elles sont manifestement orientées et semblent chercher à forcer la main au lecteur.
Nous préférons toutefois laisser à ce texte sa destinée en nous abstenant, d'autant que le petit Karim est adorable, quoique effectivement improbable, ainsi que l'a fait observer un donneur de voix.
Bonjour !
Après en avoir demandé la permission à Monsieur Augustin, je me vois obligé d’intervenir, en tant qu’auteur de la nouvelle « Une histoire d’amitié », simplement pour fournir des éclaircissements.
1) Au sujet de l’ « invraisemblance » des faits relatés.
D’une part, l’histoire est quasi auto-biographique, à l’exception de l’épilogue tragique. D’autre part, ce genre d’histoire, très malheureusement, fait partie de la vie quotidienne de tous les Algériens, à l’occasion de la fête dite du « sacrifice » (Aïd alkabir, autrement dit « Grande Fête »).
Seule la méconnaissance de la réalité sociale et culturelle de l’Algérie actuelle, et des Musulmans en général, laisse croire à l’invraisemblance de l’histoire présentée dans cette nouvelle.
Pour me faire mieux comprendre, voici une comparaison. Supposons un intellectuel afghan lisant une nouvelle relatant un fait survenu en France : qu’une jeune fille a fait l’amour avec un garçon, sans être toutefois mariés. L’intellectuel afghan s’écrierait : « Mais c’est invraisemblable ! » C’est que, en Afghanistan, ces deux amoureux sont généralement lapidés par la population. Donc, la fausse interprétation de cet intellectuel afghan provient uniquement de sa méconnaissance de la réalité française.
Par conséquent, avant de se prononcer sur un fait concernant une société dont elle ne fait pas partie, une personne cultivée ne devrait-elle pas, auparavant, s’informer suffisamment sur la réalité sociale et culturelle de cette dite société, et ne pas se limiter à juger un fait qui s’y déroule, avec les seules normes de sa propre culture ?
2) La même considération est à formuler concernant le « pathétique outré » porté sur la nouvelle.
Encore là, je n’ai fait que reporter fidèlement la réalité, me permettant uniquement de la « romancer » un peu, pour en faire une production littéraire. En son temps, et toute proportion gardée, que n’a-t-on pas reproché au « Misérables » de Victor Hugo, dans ce domaine du « pathétique ». Ce n’est pas l’auteur qui est pathétique, c’est, hélas !, la réalité, que l’auteur ne fait que communiquer.
A un autre auteur, on avait reproché sa « grossièreté » et sa « barbarie ». Ce fut Shakespeare quand il fut connu en France. Enfin, à Zola, certains lui reprochèrent d’avoir présenté, dans « L’Assommoir », un tableau « dégradant » du peuple français, alors qu’il s’était simplement tenu à en rendre la réalité vraie.
3) A propos de l’affirmation de « propagande idéologique » et de « chercher à forcer la main au lecteur », je serai reconnaissant d’en avoir des preuves.
A ce sujet, voici ce que j’aurais aimé lire.
Que cette nouvelle évoque le rite biblique dénommé « sacrifice d’Abraham ». Pour qui l’ignore, il s’agit du prophète Abraham, évoqué dans l’Ancien Testament. Par obéissance à son Dieu, il s’apprête à égorger son propre enfant (Isaac pour les Hébreux, Ismaël pour les Musulmans) ; à l’ultime moment, avant que la lame du couteau tombe sur la gorge du malheureux enfant, Dieu remplace ce dernier par un agneau, lequel est immolé, sans aucun problème de conscience : ni pour l’innocent animal, ni pour la terreur vécue par l’enfant, se voyant menacé d’avoir la gorge coupée par son propre père, qui, soulignons-le, l’aime infiniment. Eh, oui ! Cela semble « invraisemblable », plus invraisemblable que ma nouvelle, mais cela fut, tout au moins si on croit à la Bible.
C’est précisément ce rite abrahamique que la tradition islamique a repris, en l’appelant « Aïd alkabir » (Grande Fête, ou Fête du Sacrifice). Par conséquent, la nouvelle est une remise en question, indirecte, par la fiction littéraire, d’un rite qui ne devrait plus exister. Et qui est, pour retourner à l’argument précédent numéro 2, d’un « pathétique outré ».
Précisons que, dans le monde chrétien, cette idée de « sacrifice » est véhiculée uniquement par les autorités ecclésiastiques, contrairement aux affirmations de Jésus-Christ (voir l’essai de René Girard, « La violence et le sacré », et son complément « Des choses cachées depuis le commencement du monde »).
Dès lors, il devient clair que la nouvelle ne vise pas à « forcer la main au lecteur », mais à le sensibiliser (n’est-ce pas l’un des aspects de la littérature ?) à un fait religieux traditionnel, en montrant ce que ce rite « sacré » du « sacrifice » avait et conserve d’inacceptable pour la sensibilité et la justice humaines.
4) Au sujet du double épilogue, la littérature n’en manque pas. J’ai en vue, par exemple, une nouvelle de Maupassant, dont le titre m’échappe. Et même si la littérature n’a jamais employé ce procédé, quelle règle, quelle loi littéraire interdit de l’inventer ? Sans transgression, ou plutôt sans innovation, la littérature ne serait-elle pas restée à Homère ou à l’Ancien Testament, faisant des auteurs venus après simplement des copieurs-reproducteurs ?
S’il faut tout expliquer, voici la justification du double épilogue. Le premier suggère ce qui, malheureusement, aurait pu et pourrait arriver. Le second propose ce qui est à espérer.
A propos de ces quatre points, ajoutons ceci : en Algérie, les lecteurs et lectrices du journal national, dans lequel la nouvelle a été publiée, ont convenablement compris, sans avoir besoin d’éclaircissements.
Ceci étant dit, en proposant ma nouvelle à LA, je ne m’attendais pas aux jugements que je viens d’éclaircir. En effet, j’estime ce site non pas uniquement parce que j’y propose mes textes, mais d’abord parce que j’en suis un auditeur assidu. J’y trouve matière à réchauffer le cœur et à enrichir l’esprit. Qu’il me soit permis donc d’exprimer ma reconnaissance à toutes celles et tous ceux qui y contribuent, sans exception aucune. Et que les malentendus soient l’occasion d’éclaircir davantage nos connaissances, en se libérant de toute forme d’ethnocentrisme (qu’il soit occidentaliste ou orientaliste), au sujet de tous les peuples de cette planète, et de leurs littératures. N’est-ce pas là que résident l’authentique humanité, donc le vrai humanisme ? Par ma nouvelle, j’ai espéré y contribuer. Et je suis reconnaissant à Cocotte de l’avoir appréciée au point de désirer la mettre à la disposition de LA.
Cordialement,
Kadour