Accueil › Forums › Textes contemporains › NAIMI, Kadour – Histoire d’une amitié › Répondre à : NAIMI, Kadour – Histoire d’une amitié
Cher Aegidius,
merci pour votre réponse et vos conseils.
À présent que j’ai constaté des réactions d’incompréhension reçue par la nouvelle, je suis d’accord avec le fait que vous suggérez : ajouter une ou deux phrases pour permettre aux lecteurs-trices d’une autre culture de lire la nouvelle dans son contexte culturel.
Venons au fait de “tourner autour du pot”. D’une certaine manière, vous avez, là aussi, raison. Voici ma justification. Le problème que je soulève est tellement sensible dans la société algérienne qu’un “essai propagandiste” obtiendrait l’effet exactement contraire. Vous connaissez, je pense, la phrase de Voltaire (je cite de mémoire) : “Certes, je ne crois pas en Dieu, mais si je le dis à mon laquais, je risque d’être trucidé par lui.” Nous en sommes là, malheureusement, en Algérie.
Pour ma part, je lutte contre ce fléau par des contributions journalistiques, où, là, je ne “tourne pas autour du pot”; il s’agit de “Le Matin d’Algérie”.
Mais n’est-ce pas l’une des fonctions (mais pas la seule) de la littérature de “tourner autour du pot”, en laissant à l’essai proprement dit d’appeler un chat un chat ? Une littérature qui ne “tourne pas autour du pot” risque d’être rejetée par les âmes trop sensibles, surtout, par les temps que nous traversons, aborder un thème en relation avec une foi religieuse. Ainsi, j’ai proposé un texte à une DDV; elle l’a décliné, le trouvant trop “politique”. Je comprends cette réaction. Si vous voulez le lire, je me ferai un plaisir à vous l’envoyer.
Suite à cette réponse, je vous serais reconnaissant de lire celle que j’adresse ensuite à un auditeur, pour bénéficier de votre amical avis.
Cordialement,
Kadour
*
Un auditeur a émis un autre commentaire sur la nouvelle “Une histoire d’amitié”. L’ayant inséré dans l’espace consacré à une autre nouvelle (Lettre de Rome d’un E-C), parce que ne sachant pas comment le publier sur le Forum, je me permets de l’y mettre, et de fournir les éclaircissements qui me semblent nécessaires.
Voici le commentaire (copié-collé):
Auteur: Ali Boussouel
Kadour Naïmi Histoire d’une amitié.
J’ai mis mon commentaire ici car je ne suis pas arriver à le mettre sur le forum
Etant Algérien et kabyle je souhaite réagir : Vous avez mis votre nouvelle en ligne sur Le matin d’Algérie. Il y a eu deux commentaires dont un :
khelaf hellal : Une fin d'histoire d'amitié toute inventée, invraisemblable. Une fin d'histoire que seuls les tartufes savent se la jouer.
Ne faites pas croire monsieur que les Algériens sont stupides au point de ne pas voir les invraisemblances de votre histoire. Quel père offrirait un agneau à son fils, le laisserait le dorloter pendant une semaine, puis s’étonnerait de la réaction de l’enfant quand il lui dit qu’on va le sacrifier. Les Algériens sont aussi humains que les Français ou n’importe quel peuple. Ne prenez pas les Algériens pour des ânes ! Et vous aurez beau chercher à vous justifier en citant Hugo ou Zola, cela n’enlève rien au fait que votre nouvelle est invraisemblable et mal construite. Ne vous réfugiez donc pas derrière de soi-disant traditions culturelles que les Français ignoreraient. C’est un peu trop facile !
Cordialement,
Ali Boussouel
*
Voici ma réponse.
Cher Monsieur Boussouel,
merci de me permettre d’enrichir le débat par d’autres clarifications.
Si ma nouvelle est invraisemblable, que dites-vous du récit d’un autre père, bien meilleur que celui de ma nouvelle : le prophète Abraham prêt à égorger non pas un agneau mais son propre unique enfant, par obéissance à son Dieu ?
Si l’on affirme que ce dernier récit est « invraisemblable », que Abraham ne pouvait pas être aussi « stupide » au point de vouloir égorger son propre enfant, alors, par voie de conséquence, on affirme la fausseté du récit biblique, donc de l’Ancien Testament, ainsi que des deux autres religions monothéistes, lesquelles croient à la véracité de ce récit : la chrétienne et la musulmane.
Mais, étant donné qu’un peu plus de la moité des habitants de la planète est de religion monothéiste, elle croit donc à la véracité du récit abrahamique. Au point que la tradition chrétienne présente Jésus comme l’ « agneau de Dieu », en plus « sacrifié » sur la croix, par volonté de son « Père », pour racheter les péchés des êtres humains. Et, sur la croix, Jésus lui-même ne comprend pas ce qui lui arrive, puisque son ultime phrase est la tragique interrogation « « Abi, lima sabaghtani ? » (Père, POURQUOI m’as-tu ABANDONNE ?)
Donc, si je suis votre manière de raisonner, Mr. Boussouel, la mort de Jésus sur la croix est, comme le récit abrahamique, « invraisemblable », parce que Dieu le « Père » n’est pas assez « stupide » pour laisser sacrifier d’une manière aussi horrible son « enfant » sur la croix.
Poursuivons. Durant la messe du dimanche, les Catholiques boivent le vin, lequel est le symbole du sang du Christ, et mangent l’hostie, considérée comme la « chair » (le corps) du Christ. Cela est, aussi, selon vous, Mr. Boussouel, « invraisemblable », parce que les Catholiques ne peuvent pas être assez « stupides » pour manger un peu de farine et un peu de vin, en croyant boire le sang et manger la chair de Jésus ?
Encore un mot sur les personnages de la nouvelle. Karim a été jugé, par Aegidius, « adorable, quoique effectivement improbable ». Qu’en est-il, alors, du fils d’Abraham ? « Improbable », lui aussi ? Et Jésus, acceptant le tourment de la croix, « improbable », lui aussi ?… Si oui, alors, la Bible et les Évangiles ne sont pas crédibles. Pourtant, plus de la moitié de l’humanité y croit, et même s’entre-tue à ce sujet.
Certes, comme l’écrit Aegidius : « la vérité et la vraisemblance étant deux choses bien différentes ». Pour ma part, je considère qu’il y a des cas où la réalité dépasse toute vraisemblance, sans néanmoins contraindre à écarter la première par respect de la seconde. Il suffit de mentionner une œuvre : Médée. Voilà une femme qui, pour se venger de son mari, qui a pris une seconde épouse, plus attrayante, l’invite à dîner, et lui fait manger la viande de ses propres enfants, qu’elle a auparavant tués et cuits dans la marmite. Dois-je citer également l’histoire d’Oedipe, assasin de son père puis mari de sa propre mère ?
Par conséquent, la question vérité-vraisemblance est, quoiqu’en disent certains théoriciens, est matière de choix de l’auteur, au risque de heurter le lecteur (ou auditeur). C'est un pari à jouer. Durant toute mon activité artistique et littéraire, j'ai toujours aimé innover, au risque de choquer, me basant sur ce principe : « Si je n'offre pas quelque chose de nouveau, à quoi bon me fatiguer ? Je n’ai pas l’âme d’un perroquet. » (avec tout le respect que je lui dois, sachant qu’il n’a pas librement choisi sa nature).
Sur la planète, les seules personnes qui ont le droit, pour ainsi dire, de considérer toutes ces histoires (celle de ma nouvelle comme les récits religieux dont elle s’inspire, et dont elle est la directe conséquence) comme « invraisemblables », parce que commises par des parents « stupides », sont les Chinois, Japonais et habitants du Sud-Est asiatique.
En effet, ces peuples, dans leur majorité écrasante, ignorent la notion de « Dieu », au point que ce terme, n’existait pas en chinois ; il a été inventé par les Jésuites français (ou italiens, je ne me rappelle pas) qui, voilà quelques siècles, sont allés en Chine.
Pour ces peuples donc, les trois textes sacrés des religions monothéistes ne sont que des fables, d’une part horribles, à cause des fleuves de sang qui y sont versés, d’autre part totalement « farfelues », à cause de ce que les Chinois et autres considèrent comme des fantaisies : Un Dieu dans le ciel, des anges, un paradis et un enfer, le « pécher originel », Un Adam et une Eve qui ont deux garçons puis – on ne sait comment – donne naissance à d’autres êtres humains, un Dieu qui a un enfant par l’intermédiaire d’une femme vierge, etc.
Ainsi, j’espère avoir montré que « Une histoire d’amitié » évoque et plonge ses racines non pas uniquement dans la société algérienne actuelle, mais dans toute les croyances monothéistes qui sont, répétons-le, le socle culturel de plus de la moitié de l’humanité. Il reste, c’est le « message » de la nouvelle, que le sacrifice d’un animal innocent devrait être abandonné, comme une regrettable tradition d’un passé inhumain.
En outre, les récits laïques contiennent également des faits qui peuvent paraître « invraisemblables », avec comme auteur un père « stupide ». J’ai en vue le sacrifice de l’adolescente Iphigénie par son père. Ne l’a-t-il pas égorgée sur l’autel, pour apaiser les « dieux » afin qu’ils envoient le vent permettant à la flotte grecque d’appareiller pour aller faire la guerre à Troie ?… Ensuite, l’épouse d’Agamemnon n’a-t-elle pas considérée son mari, le père meurtrier de leur fille, comme assez « stupide » au point de le faire assassiner par la hache de son amant ?
Ces récits religieux et laïques m’amènent à éclairer les parents de la nouvelle. Un DDV a évoqué seulement l’enfant, mais pas les parents. Qu’on lise attentivement la nouvelle : le père et la mère de l’enfant ne sont-ils pas horriblement écartelés entre leur croyance religieuse (obéir à Dieu en consentant le sacrifice) et leur amour pour leur enfant (qu’ils chérissent tant) ? Ces deux parents souffrent-ils moins, sont-ils moins tragiques (toutes proportions gardées) qu’Abraham et que Agamemnon ?… Pourtant, il me semble avoir insisté sur le drame souffert par les parents de telle manière qu’un jugement de DDV a parlé de « pathétique outré ».
Quant au lecteur algérien, ayant trouvé, lui aussi, la nouvelle « invraisemblable », j’invite qui voudrait vérifier son affirmation d’aller voir comment les enfants vivent le drame consistant à faire amitié avec un tendre agneau, pour le voir, une semaine après, égorgé par le père. En outre, l’un des meilleurs journaux d’opposition algérienne, démocratique et laïc (Le Matin d’Algérie), aurait-il publié une nouvelle qui serait « invraisemblable » et « Tarfuffe » ?
Terminons par le style et la construction de cette nouvelle. C’est une question de goût. Que dirait-on si un jeune homme de dix-huit ans présente, aujourd’hui, ses « Chants de Maldoror » ? Déjà, à son époque, l’auteur fut obligé de recourir à l’édition par compte d’auteur, et son livre ne fut pas même distribué. Ce n’est qu’une quarantaine d’années après qu’un exemplaire fut découvert, non pas à la vénérable Bibliothèque de France, mais dans un ordinaire grenier. Combien n’ont pas trouvé les récits de Isidore Ducasse « invraisemblables » et « stupides », jusqu’à ce que les surréalistes ont jugé cette œuvre comme leur principale référence inspiratrice et un chef-d’œuvre absolu ?… Question de goût, résultat d’une certaine qualité de culture, d’intelligence et de sensibilité.
Cordialement,
Kadour