Répondre à : (-) RETBI, Shmuel – Les Vacances de Mic et Luc

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#161466

 » Il ne faut pas confondre l'intelligence humaine à l'intelligence animale. Seuls des créateurs fantaisistes comme Walt Disney s'imaginent que les facultés intellectuelles de l'animal sont comparables à celles de l'être humain. Non. L'Homme, doté de la parole, se distingue par ses capacités d'introspection et par ses échanges d'information. Mais l'animal sait se spécialiser dans l'apprentissage rapide et dans la compréhension des mécanismes soujacents qui permettent à l'intelligence de s'exprimer. Il ne faut donc pas prendre les vautours pour des buses. « 

Si Luc travaillait d'arrache-pied à la compulsation de toutes sortes de sources, Mic s'efforçait de tourner les phrases et de leur donner un pli conforme aux volontés de l'heureux récipiendaire. L'opération se reproduisit quatre ou cinq fois, soit pour des étudiants en Histoire, soit pour des élèves de la Faculté des Sciences Humaines. Ravaillac se trouva réhabilité après que Mic prouva irréfutablement d'abord, qu'il n'avait jamais quitté sa ville natale d'Amsterdam et ensuite, qu'il n'avait jamais existé. La consommation d'alcool en quantités supérieures aux moyennes permises par la loi s'avérait fort utile à la société urbaine : la thèse prouvait que lorsqu'un individu roule sous la table après son cinquième petit verre, il ne représente plus aucun danger pour ses contemporains jusqu'à son réveil.

Le corps enseignant remarqua une amélioration notable de la qualité des travaux présentés par leurs disciples les plus minables. On comprit vite qu'il y avait anguille sous roche. Cependant, la réputation du Diplodocus allait croissant. Les bénéfices de ce monstre préhistorique grandissaient à vue d'oeil et une année se passa ainsi dans un actif bouillon de culture bien digéré et bien organisé. Un jour que le doyen de la Faculté d'Arachnologie passait sur le campus, il remarqua le panneau sur lequel on pouvait lire en gros caractères rouges :  » Le Diplodocus – Travaux en tous genres. « Il nota le numéro de téléphone et se rendit dans son bureau. Il appela Mic et lui demanda combien valait la préparation d'une thèse de maitrise sur la mante religieuse, cette sympathique inconnue. On se donna rendez-vous pour le lendemain soir à la cafétéria du campus. Lorsque le savant Professeur vit les deux adolescents qui s'approchait de sa table, il ne put retenir un sourire de satisfaction :

 » Alors c'est vous le Diplodocus ! Je vois qu'aux âmes biens nées, le voleur n'attein pas le nombre des ineptes. « 

Les jeunes garçons comprirent qu'ils étaient tombés dans un piège et songèrent à opérer une retraite stratégique. Mais le bon sourire du Professeur et son regard pétillant de sympathie les incitèrent à s'asseoir à la table. Après un quart d'heure d'explication, Mic et Luc baissaient la tête d'un air honteux. Le Doyen exposait sa théorie sur l'éducation :

 » L'étudiant doit se montrer capable de trouver des sources à sa thèse, de les disposer, de les exposer et les proposer de façon claire et cohérente. Si vous lui mâchez le travail, vous faîtes de lui un voleur, un menteur, un usurpateur, un imposteur. Son diplôme ne vaut pas le prix qu'il vous aura payé pour l'obtenir. Si par malheur il devient lui-même enseignant, qu'adviendra-t-il de ses malheureux élèves ? Quel savoir pourra-t-il leur inculquer ? Quel bénéfice en  retirera  la  société ? « 

Mic et Luc promirent de mettre un terme à leur activité académique crypto-lucrative à condition que l'on n'intente pas de poursuites contre eux. Le Professeur sourit à nouveau :

 » Contre vous, non. Si je voulais faire du mal à quelqu'un, ce serait plutôt à mes cancres d’étudiants, mais je passe l'éponge là-dessus, parce que dans le fond, vous avez contribué à élever le niveau des études supérieures de notre bonne ville. J'ai cependant une dernière question à vous poser. Qu'est-ce que ça veut dire, ça, le Diplodocus ? « 

Mic sourit à son tour :

 » ça veut dire :  » Tu veux ton Diplôme, voilà les Documents. « 


Mic et Luc, apprentis mirlitons

La journée du 18 août touchait à sa fin. Luc terminait sa besogne quotidienne. Il reposa la paire de ciseaux après avoir détaché le dernier coupon de journal qui pouvait gratifier les deux frères d'une après-midi au cinéma aux frais de la maison. Pendant les trois dernières semaines, cette activité fébrile leur avait permis de déjeûner trois fois au restaurant, d'absorber quatre hamburgers accompagnés d'une demi-tonne de frites et d'assister à deux représentations du Grand Cirque National du Guatemala en visite à Tours. Mic prit le journal que son frère venait de poser sur la table et tourna les pages machinalement. Il s'adressa et posa le doigt sur une annonce de bas de page :

 » Voilà qui va bien occuper la dernière semaine de vacances : Le Bon Tour, avec un S au bout, tu remarqueras le jeu de mot, cher frère, le Bon Tours recherche deux hommes de courses et apprentis boulangers-pâtissiers pour une période de dix jours. C'est nous tout craché ! « 

Le lendemain matin, les deux garçons se présentaient à la pâtisserie Le Bon Tours. Madame Fourne, la propriétaire, les scruta avec méfiance, puis appela son mari à la rescousse :

 » Jeannot ! C'est pour la place ! « 

Un gros homme joufflu et chauve comme un oeuf apparut, vêtu d'une longue blouse blanche immaculée. Mic sourit :

 » Jean Fourne, c'est un joli nom pour un boulanger ! « 

Le  maître de maison sourit :

 » Mon petit nom de baptême, c'est Jacques, mais j'ai trouvé commode de le changer… « 

Une heure plus tard, Mic et Luc roulaient à vélà en route pour leur première livraison. Le café Expresso avait commandé 100 petits pains au chocolat, 60 brioches et 50 croissants pour agrémenter l'ouverture du congrès des pessimistes de Touraine qui devait s'ouvrir sur place en début d'après-midi. En descendant de machine, Mic dit à son frère :

 » Je n'aimerais pas que la réputation du Bon Tours ne souffre de quelque maladresse ou négligence de la part de notre patron. Je crois que le devoir et la conscience professionnelle nous imposent une vérification préalable de la qualité de la marchandise fournie. « 

Mic plongea la main dans le carton assujetti au porte-bagage de son vélo et en sortit un petit pain et une brioche qu'il tendit à Luc. Puis il se servit lui-même, attrapant un croissant et une brioche. La vérification sembla concluante et les deux frères, satisfaits d'avoir assuré la renommée de leur employeur, entrèrent au café par la porte de service, leur cargaison de pâtisserie sur les bras.

Le dernier jour de service arriva. Mic avait remarqué que sous sa mine affable et sympathique, M. Fourne cachait un tempérament sournois et cupide. En arrivant à l'Hôtel Sheraton Tours avec un chargement de pains en tout genre, Mic étudia la facture avec soin et dit à Luc :

 » Dis donc ! Il y va pas de main morte, le patron ! Regarde, il a rajouté le chiffre 1 au stylo juste avant le montant de 980 Euro de la commande. Je me demande si le comptable de l'hôtel va s'en apercevoir. « 

Luc fit remarquer à son frère que, je cite :  » c'est pas nos oignons. « 

Ils sortirent de l'hôtel avec une nouvelle commande en main. Cette dernière stipulait :

 » 130 croissants, 100 brioches, 30 éclairs au chocolat, 20 mille-feuilles, 50 tartes à la Tours Nemain. « 

Comme ils approchaient de la pâtisserie, Luc freina et demanda à Mic :

 » Tu as ton stylo sur toi ? « 

Recevant l'objet demandé, il pointa du doigt la liste des commandes et formula la remarque suivante :

 » Tu vois, là, Les 130 croissants et les 30 éclairs ? Il y a un problème d'impression. Il s'agit de 180 croissants et de 80 éclairs respectivement. « 

Joignant le geste à la parole, Luc complèta les demi-cercles manquants aux chiffres 3 et les transforma adroitement en deux jolis 8 bien inoffensifs.

Le lendemain matin, Mic et Luc se séparaient de leur emporteur, emportant la dernière livraison vers l'Hôtel Sheraton Tours. Ils firent pose en route et prélevèrent 50 croissants et 50 éclairs qu'ils introduisirent avec précaution dans le sac à dos qu'ils avaient apporté avec eux.

Mic conclut :

 » Jean Fourne s'est fourré lui-même dans ce pétrin. « 


Partage nocturne

Un épouvantable vacarme de métal et un féroce grondement de moteur Diesel déchirèrent le calme  du matin. Le lourd camion sautait sur les dos d'âne  qui avaient pour but de l'obliger à ralentir sa course folle. Un coup de klaxon furibond, suivi d'un crissement  de pneus morbide accompagnèrent une bordée d'injures. Le chauffeur, rouge de rage, invectivait un conducteur imprudent encore à demi endormi qui démarrait sans regarder. Luc, sa tasse de chocolat à la main, observait la scène par la fenêtre de la cuisine. Comme l'auto et le camion s'éloignaient, il remarqua que deux gros sacs avaient sauté de la benne et gisaient au milieu de la chaussée. En même temps, Mic, qui se tenait debout sur le trottoir, sauta d'un bond, ramassa les deux sacs, un dans chaque main, et accourut vers la maison. Luc reposa sa tasse et se leva vivement. Il sortit dans la courette de la cuisine et ouvrit de l'intérieur la porte du garage. Mic, qui arrivait à toutes jambes, déposa les sacs à l'intérieur. Luc demanda avec curiosité :

 » Qu'est-ce que tu as bien pu ramasser là, dis donc ?

Pas la moindre idée. Mais je pensais qu'il valait mettre les sacs en sécurité avant que le chauffeur ne revienne ou que quelqu'un d'autre ne s'en empare.

Bonne remarque ! , approuva Luc.

Il faudrait Regarder un peu le contenu avant de décider de son emploi.

       Encore une bonne remarque !

Les deux frères se mirent en devoir de découdre l'ourlet qui fermait le premier sac de jute grossière. Il contenait près de quinze kilos de belles noix fraîches  de Californie, un régal pour les amateurs de fruits secs. Le second, fait d'une matière plastique étanche, fut ouvert d'un habile coup de canif. On y trouva un riche assortiment d'amandes, de noisettes, de pistaches et de noix de cajou, toutes bien grillées et sans doute réservées à la distribution immédiate dans les magasins spécialisés. Hélas, il n'y eut guère de temps pour l'admiration et l'exaltation. La voix maternelle se faisait entendre :

 » Luc ! Où es-tu ? Tu vas encore louper la dernière baguette, on ne peut vraiment pas te faire confiance ! Dépêche-toi, alors ! »

Mic fit signe à l'intéressé de l'aider à cacher leur butin sous une bâche dans un coin du garage et murmura :

 

 » Rendez-vous ici à onze heures ce soir pour le partage. »

 

La nuit était tombée depuis plusieurs heures. Le clair de lune se couvrit tout à coup de sombres nuages. Les ténèbres enveloppaient la ville. Un silence de marbre et un calme caverneux régnaient. Le loquet se souleva doucement. Le portail grinça faiblement tout en tournant lentement sur ses gonds.

 » C'est toi ?

Oui, c'est moi. Et c'est toi aussi ?

Oui, c'est moi.

On eut dit que ce dialogue prononcé à mi-voix sortait d'un roman immortel. Un Tolstoï, un Frédéric Dard, un Kant, même ne se seraient pas exprimés avec plus d'émotion lyrique et d'élan philosophique. Mais ce dialogue allait amener une considération d'ordre profondément pratique. Mic prononça :

 » Il faudrait effectuer le partage ailleurs. Ici, nous risquons de nous faire pincer par les parents. « 

Luc était un garçon de ressources. Après avoir réfléchi un dixième de seconde, pas davantage, il décréta :

 » J'ai trouvé l'endroit idéal. Viens, on emporte les sacs. « 

Les deux frère chargèrent les sacs sur leur épaule et se mirent en route, l'un derrière l'autre. On suivit la rue jusqu'au premier carrefour. Luc prit à gauche et fit signe à Mic de se mettre à sa hauteur. Ils atteignirent rapidement la sortie de la ville et Luc crut pouvoir élever la voix:

 » Tu sais où nous allons ?

       Je commence à m'en douter un peu.

       Tu n'as pas peur ?

       Ben… Pas trop…

       Alors en avant !

La lune avait reparu et éclairait maintenant la route. Trois minutes plus tard, les deux garçons longeaient le mur du cimetière municipal de Tours. Arrivés au portail, ils hésitèrent. Finalement, Luc s'arma de courage et déclara :

 » À la vie, à la mort ! « 

Le portail n'était qu'à moitié fermé. Ils entrèrent. Ils n'avaient pas fait dix pas qu'Mic s'arrêtait :

 » Attends…

       Qu'est-ce qu'il y a ?!

       Non, rien, mais je me dis qu'il pourrait y avoir des surprises aussi ici et qu'il faut parer le danger.

       Tu as une idée ?

       Je crois… « 

Mic déposa son sac, l'ouvris et en sortit deux grosses noix de Californie :

 » Nous allons laisser ces deux coquilles derrière le portail. Si quelqu'un arrive, il marchera forcément dessus et nous aurons le temps de nous cacher. « 

Aussitôt dit, aussitôt fait. Nos deux héros entrèrent plus profondément et s'adossèrent au mur d'enceinte. Luc sortit de son sac deux larges sachets de plastique et expliqua :

 » Nous allons maintenant procéder au partage du butin. Ouvre ton sac. Veille à sortir toujours deux fruits de la même sorte. Tu m'en donnes un que je mets dans mon sachet en plastique et tu mets l'autre dans le tien. « 

Mic  sortait deux pistaches, en tendait une à Luc et gardait l'autre pour lui :

 » Une pour toi, une pour moi… Une pour toi, une pour moi… « 

De temps en temps, ils échangeaient les rôles ou comptaient à l'unisson. Vers minuit et quart, le gardien du cimetière faisait sa ronde nocturne autour de la résidence sempiternelle. Comme il allait tourner le coin, il demeura figé d'horreur.  Il entendit nettement des voix qui murmuraient :

 » Une pour toi, une pour moi… Une pour toi, une pour moi… « 

Le brave homme sentit son sang se glacer dans ses veines. Son cœur cessa de battre. Une sueur glaciale lui couvrit le dos. En un effort ultime, il parvint à faire quelques pas à reculons et dès qu'il se sentit assez éloigné, il tourna bride et s'enfuit au galop. Quelques minutes plus tard, il réveillait le curé de la paroisse :

 » M. le curé ! M. le curé ! On se partage les âmes dans le cimetière ! Venez vite ! »

Le curé s'habilla à la hâte et les deux hommes coururent en direction de la sortie de la ville. Le gardien expliquait les faits tout en courant. Quand ils atteignirent le cimetière, ils se mirent à marcher à pas feutrés. Le curé fit signe au gardien qu'ils allaient tenter de prendre la place d'assaut. Ils écoutèrent un moment :

 » Une pour toi, une pour moi… Une pour toi, une pour moi… Ça y est ? On a terminé ? Il n'y en a plus ?

       Ah si ! Il y a les deux autres là-bas près du portail ! « 

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