Répondre à : (O) KOWKA – Le Mystère des Bondons

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#162261
Christine SétrinChristine Sétrin
Participant

    cocotte a écrit :

    La première est racontée par A. de Ruette[9] Depuis plusieurs semaines , un nuton poursuivait de ses assiduités une jeune fille d'une famille respectable, chez qui il se rendait à chaque soirée (sise); les parents, affectant l'amabilité, devaient lui céder un siège devant l'âtre. Le vendredi de la Saint-Martin, fête du village, on déposa soigneusement dans un grand panier toutes les coquilles d'œufs des quarterons utilisées pour la préparation des tartes; les coquilles recueillies furent soigneusement disposées ensuite en plusieurs ronds bien ordonnés, concentriques par rapport à l'âtre ainsi rendu inaccessible, avec, dans chacune, un bout de brindille long de deux pouces. Lorsque le nain se présenta pour gagner sa place habituelle, il resta interdit, puis il dit « dj'ai viyou Bastogne haut bwès, Frèyîr plin  tchamp, mais dj'n'ai jamais viyou tant di p'tids pots machant » – « j'ai vu Bastogne haut bois, Freyir plain champs, mais je n'ai jamais vu tant de petits pots mélangeant »; jamais on ne revit le nuton.

    Cette courte historiette démontre deux aspect intriguant du Nuton. Le premier est bien sûr sa taille puisqu'il prend les coquilles d'œufs pour des pots avec louche. Le deuxième est son grand âge puisqu'il dit avoir vu Bastogne haut bois (Forêt) alors que depuis très longtemps c'est un plateau dénudé, et Freyir plain champs (donc couvert de champs plats) alors que Fréyir est depuis la plus haute antiquité une forêt de première grandeur.

     

    La seconde est plus scatologique et on la retrouve, avec à quelques variantes près, dans toute l'Europe romane. Elle est souvent polluée par des interférences avec la première (coquilles d'œufs)  Nous avons choisi la version de Willy Lassance[10]

    ?     Un nuton allait chaque soir rendre visite à une jeune fille de Tenneville; cette présence gênait la commère, mais elle ne savait comment se débarrasser de lui sans s'attirer la malédiction; une vielle voisine, réputée macrale (sorcière), à qui elle s'en était ouverte, lui dit: « Ma fille, rien de plus facile. Quand tu le verras venir, accroupis toi sur le fumier dans l'attitude naturelle… Crois-moi, les nutons sont gens fort bien élevés, il s'en ira dégoûté de toi à tout jamais »; la belle suivit le conseil et, quand le nuton la vit ainsi, il s'assombrit et tourna les talons en proférant la sentence traditionnelle : nous avons vu Freyir champ et Mochamps bois (Mochamps, village dépendant de Tenneville et situé dans la forêt de Fréyir), nous reverrons Freyir champ et Mochamps bois », avec le nuton disparurent le bonheur et la prospérité de la jeune fille et de sa famille.

    Comme vous pouvez le voir, ce petit peuple existe depuis longtemps, nous croyions cette race humaine éteinte, mais votre découverte prouverait que ce n’est pas les cas. Une de leur coutume est de sortir au grand jour, une fois au bout de plusieurs lustres, les ossement de leurs sages. Ils les étalent bien rangés au soleil, peut-être pour un genre de purification. Nous croyons également qu’il existe une association plus ou moins ésotérique qui protège ce petit peuple.



    Cela confirme bien mon hypothèse, je remonte au col de Montmirat , je vais jusqu’au rocher qui tourne et comme je m’y attendais le carembar était parti et remplacé par une quatrième pièce d’or.

    Cette fois j’ai déposé trois carembars en triangle et je décidai de passer la nuit sur place, je m’installe confortablement assis dans l’herbe adossé à un de ces petits menhirs, l’endroit choisi me permettait de très bien voir mon dépôt oratoire. Le ciel était d’un noir profond dans cette nuit toute empreinte de douceur. Les étoiles par millier donnaient un relief assourdissant. De temps à autre une étoile tombait du firmament et venait voleter autour de moi ave son reflet un peu verdâtre, c’était une luciole. Un grincement léger me tira de ma somnolence, un fadet habillé tout de vert sortit, inspecta l’offrande puis se tournant vers la garrigue cria d’une voix fluette :

     – Monsieur Soubeyran, je sais que vous êtes là montrez-vous et causons.

    Très étonné, je m’approchai et je m’assis les jambes croisées devant lui.

     – Vous me connaissez ?

    Et oui, nous avons un très bon service de renseignements, il le faut bien pour vivre en votre compagnie, vous, les grands. Mais avant de commencer nos palabres, goûtons ses énormes caramels mous que vous nous avez apportés. Au fait voici trois pièces d’or pour l’échange.

    – Je ne suis pas venu pour avoir trois pièces d’or, mais bien comme vous l’avez si gentiment proposé, pour causer.

    – Oui notre gardien de la vallée, monsieur Vaianopoulos nous avait prévenu que vous aviez vu les ossements et que, étant policier, vous aviez informé qui de droit de votre découverte. Mais notre service intérieur m’apprit plus sur vous, votre route avait déjà plusieurs fois croisé notre petit peuple, peut-être même sans le savoir. Comme la fois où vous avez démantelé un trafic de drogue en Guyane et où la cache se trouvait dans une de nos anciennes grottes. Vous aviez été émerveillé par de minuscules outils néolithiques d’obsidienne. Les péons locaux vous ont même interdit d’en prélever quelques uns car pour eux ces outils des ancêtres étaient évidemment sacrés.

    – Je supputais une histoire extraordinaire, mais j’étais loin de penser vous rencontrer de cette façon un peu inopinée.

    – Nous rencontrons souvent des grands et nous les choisissons en fonction de leur probité et de leur utilité. C’est peut-être une façon égoïste de percevoir les choses, mais la vie nous a appris à être très méfiants dans nos relation avec les grands. Mais je reconnais que les grands nous facilitent aujourd’hui bien la vie.

    Les ossement que vous avez trouvé dans la petite clairière sont les restes d’un de nos héros, tout les cinquante ans ces ossement reprennent l’air .

    Ce héros s’appelait Glawan. Il était tombé dans les rochers et puis dans l’eau dans une région loin de ce lieu, c’est un fermier local qui le sauva. Après un longue convalescence, on s’aperçut qu’il avait perdu la mémoire, il fut donc adopté par le fermier. Lors du passage de la grande peste, toute la famille en compagnie d’une partie du village furent isolés au pied aux pied des rochers du Renart, lieu-dit au bord de l’Ourthe près de Barvaux, là-bas dans les Ardennes. Il y enterra tout les « siens », depuis cet évènement les rochers ont pris son nom et sont devenu le rocher de Glawan. Désespéré, il devint ermite, et c’est ainsi que nous l’avons retrouvé habitant une grotte des environs, qui fut nommée la grotte du Nuton par les grands en souvenir de lui. Nous avons, nous, veillé sur ses vieux jours.

    Maintenant, c’est à votre tour d’être un de nos gardiens. Réfléchissez bien avant de refuser ou d’accepter. Si vous refusez nous déménagerons de cet endroit, ce ne sera pas la première fois.

     – A première vue je n’y vois aucun inconvénient, maintenant que je suis revenu habiter le pays de mes pères, c’est même un de mes rêves secrets que de donner à une cause qui rencontre tellement mes désirs enfouis au plus profond de moi-même. Mais j’ai encore une question qui me turlupine. Pourquoi monsieur Vaianopoulos a-t-il dérobé le cylindre de cuivre dans la bibliothèque d’Athanase des Météores.

     – Ah, le cylindre de cuivre, je vois que vous êtes au courant et que votre instinct de chasseur vous a vite mis sur la piste. Ce cylindre est l’histoire fondatrice de notre race. A l’époque, nous n’avions pas encore essaimé sur les autre continents. Nous étions les survivants d’une catastrophe sidérale. Notre véhicule, dont nous n’avons plus aucun souvenir, s’est écrasé aux confins de l’Atlas, à l’époque où le Sahara était encore une gigantesque savane splendide et giboyeuse occupée en son centre par un énorme lac dont on ne voyait pas les extrémités. C’est là que nous avons fait connaissance d’un peuple d’agriculteurs que nous avons suivi dans ses pérégrinations, lequel chassé par le climat devenu relativement aride parti se réfugier dans la vallée du Nil. C’était un endroit paradisiaque, au pied de la grande cataracte. C’est cet endroit que choisit Ptah, un de nos plus grands savants pour faire graver sur une feuille de cuivre la mémoire de notre histoire, cette feuille fut enroulée par souci de transport et de protection. Suite à une dispute qui remonte dans la nuit des temps, le pharaon de l’époque nous confisqua le rouleau et le rangea dans son trésor. C’est à cette occasion que nous décidâmes d’entrer dans une semi clandestinité qui est devenue définitive au XVIè siècle. Voilà Monsieur Soubeyran, vous avez toutes les cartes en mains et croyez-moi elles ne sont pas biseautées, c’est à vous, dans quelques jours de prendre une décision importante pour vous et pour nous. Vous vous rendrez vite compte que cette situation n’a pas que des inconvénients.

    Après avoir quitté solennellement le Fadet qui se nommait Pratchette, je redescendis au village, repris la voiture et rentrai chez moi, où je me suis enfermé un journée entière, suivie d’une longue journée de pêche, puis à nouveau une journée de méditation. Le quatrième jour, je suis descendu à Alès chercher trois kilos de carembars. Je savais maintenant a qui cela ferait plaisir.

     

     

    Tu peux y faire des petits arrangements, si cela peu faciliter ta lecture

     

     

    Camel

     

    27 septembre 1985 – Edmond

     

    La rentrée à « Pierre et Marie Curie » se profile, plus que trois jours, pour moi, en troisième année en sciences de la terre, les vacances sont finies. Vacances bien agréables avec Chantal. Je l’ai rencontrée en juin au bal de promo, et après deux soirées et une nuit endormis dans les bras l’un de l’autre, nous avions décidé de passer les mois d’été ensemble. Pas très argentés, nous comptions allier les travaux saisonniers dans le Midi et les plaisirs de la rivière, de la mer et autres fêtes votives. Les cerises en Ardèche, travail exténuant et lent, suivi du ramassage des abricots dans le Gard, abeilles et chaleur. Puis les pêches dans la plaine Nîmoise, là aussi les butineuses et la canicule bien présentes. Puis pour terminer juste après les lavandes du côté de Barjac, à nouveau l’Ardèche, les vendanges dans l’Hérault, nous étions bruns comme des Robinson mais bien plus fatigués. Mais à part notre superbe entente aux jeux de l’amour, nous avions bien peu de points communs et nous nous sommes avoués que nous n’étions pas vraiment amoureux, c’était juste plaisant pour un été et nous avions décidé d’un commun accord d’en rester là.

    Promesse d’un coup de fil de temps en temps pour se faire une bouffe, sans y croire vraiment, car tout le monde sait que ce sont souvent des promesses en l’air.

     

    Je descends relever le courrier, tiens une carte postale de Mercedes. Et tout revient. Je souris. Mercedes, l’amour de ma dernière année de Lycée. Nous nous sommes perdus de vue dès la sortie. Mais comment est-ce possible ? On m’avait raconté qu’elle avait déménagé, à l’étranger, aux  U.S.A je crois. Je n’ai jamais eu un mot d’elle et elle ne peut pas connaître mon adresse actuelle. Je réalise que complètement perdu dans mes souvenirs, le visage de mon premier amour s’est substitué à la représentation d’une jeune femme, d’un tableau. Machinalement je retourne la carte, écrit en tout petit © National Galery of Art. La liseuse. Fragonard.

    Curieux de savoir qui peut m’envoyer cette reproduction, je m’aperçois qu’elle ne m’est pas adressée. Le facteur s’est encore trompé d’immeuble, un peu récurrent depuis quelque temps, à croire qu’il se débarrasse du courrier. Il faut dire pour sa défense que dans le bloc d’immeubles, ici à Tolbiac, il y a de quoi se perdre, alors le courrier, vous pensez. J’habite ici depuis le début de mes études supérieures, en colocation, André, Marcel, Manu et Edmond votre serviteur. Surnommés les quatre mousquetaires, allez savoir pourquoi, il est vrai que nous fréquentons la même section de Jussieu, nous nous entendons super bien, et ici à Tolbiac, nous sommes sur la ligne de métro qui nous conduit directement au campus.

     

    Immobile, la carte postale au bout des doigts, je n’arrive pas à comprendre, pourquoi j’ai vu Mercedes, si présente. La pose peut-être, Mercedes si studieuse au Lycée, sa coiffure, ses joues légèrement rosées. Elle rougissait facilement, et si d’autres se moquaient, moi je craquais. Un peu en chevalier servant je la défendais toujours.

    Je n’avais pas vu, mais le timbre est américain. Je ne peux m’empêcher de lire le texte, qui ne m’est pourtant pas adressé, indélicatesse bien excusable, puisqu’elle est venue toute seule dans ma boite.

     

    J’ai visité la nationale Galerie d’art à Washington, et je suis tombé en arrêt devant ce tableau. La ressemblance est si frappante, tu ne trouves pas ? À bientôt, nous devons espérer, toujours. Je t’embrasse.

    Signé : Dan

    Le soleil aveugle le studio, je ferme un peu les volets, la carte toujours dans la main, et je me cale dans mon vieux fauteuil à oreillettes, enfin celui de mon grand-père, en cuir bien élimé mais que je ne changerais pour rien au monde.

    Je lis et relis ce texte un peu sibyllin. Et plus je regarde la photo, plus je trouve de ressemblance. Je suis troublé, il me semble que Mercedes est assise à mon petit bureau et qu’elle est absorbée par sa lecture.

     

    Le lycée avait organisé pour les classes de première, une semaine culturelle à Fontainebleau. Nous avions investis la ferme auberge des « Amis de la Nature » appelée Coquibus, perdue au milieu de cette magnifique forêt sableuse. C’était un vrai retour à la nature sauvage voulu par notre prof de sciences nat’, car effectivement cette auberge était sans courant, tout fonctionnait au gaz y compris l’éclairage. C’est après la visite de la chapelle de Saint Blaise les simples, à Milly-la-Forêt, ornementée par Cocteau, que je me rendis compte de la présence réelle de Mercedes. Quand je dis réelle, cela veut dire que subitement Mercedes prit de l’épaisseur, du volume. Pourquoi cette naissance, à ce moment ? Une attitude ? Une remarque ? Un geste ? Le caractère sacramental des lieux ? La beauté artistique de l’endroit ? Nul ne saura jamais, mais de camarade de classe que je défendais à l’occasion, elle devint la personne vraisemblablement la plus importante de ma vie. Mais était-ce réciproque, elle était si réservée, ne dévoilant jamais ce qu’elle pensait.

    En reprenant les assiettes pour la vaisselle du repas du soir, je lui pris les mains, elle me les laissa, le rouge lui montait aux joues, je compris sans une parole, sans un geste que c’était partagé, tout était dans le non-dit.

    Pourquoi cette apparition, et ce texte nébuleux. Ce Dan qui est-ce ? Il ne peut connaître Mercedes. Je ne sais pas combien de temps je reste perdu dans mes interrogations, submergé par un sentiment étrange. Je ne dis pas que j’avais oublié ma timide et passionnée adolescente, mais j’avais beaucoup souffert lors de son départ, et lorsque je pensais à elle, aux souvenirs de nos jeux érotiques, le rouge me montait au front. Oh pas un rouge de honte mais bien une chaleur qui envahissait mes sens, me faisait perdre la raison et alors je pleurais son absence. La source des souvenirs pleure et ne désaltère pas. Grâce à un travail acharné sur moi-même, je m’étais rendu à l’évidence, Mercedes était sortie de ma vie, je ne la reverrai plus. Un premier amour ne s’oublie jamais mais il ne doit être qu’un souvenir heureux. Et puis Chantal m’avait réconcilié avec l’ouverture de soi à une autre femme, aux relations sexuelles que j’avais bannies. Elle ne saura jamais le bien qu’elle m’a apporté, j’avais enfin rangé Mercedes quelque part au tréfonds de ma mémoire, et maintenant cette carte. La journée passe, dans la pénombre, et j’ai reporté tout ce que je devais faire pour la rentrée.

     

    Je me couche tôt, dos à la fenêtre, grande ouverte, contre le clair de lune. La brise gonfle le voile devant la fenêtre, adoucit l’air chaud de la chambre, effleure, caresse, agace mes sens émerveillés au souvenir de notre jeune découverte.

    Je veux dormir, il le faut. Je remettrai cette carte dans la boîte aux lettres du destinataire, c’est deux blocs plus loin, le bloc O alors que nous sommes au bloc D. Je suis vraiment trop intrigué. J’ai dormi, ou plutôt j’ai rêvé à demi-éveillé, un état où on dirige son rêve, on pense même le maîtriser, mais je crois que c’est pour mieux nous tromper mais…

    As-tu déjà touché un pétale de pivoine ? Tu vois, elle avait une peau de cette texture là, douce, lisse mais qui accroche le doigt, la main. Quand je lui touchais le corps, à l’intérieur de moi, je tremblais, je pleurais de bonheur, d’extase et à l’extérieur je tremblais de désir, de hâte, d’excitation, j’avais envie de mordre, il m’arrivait d’ailleurs de le faire. Elle devenait féline, elle préférait griffer, c’est comme ça que je savais que nos sentiments étaient partagés, nous perdions le contrôle de nos sens. L’arrivée de cette carte a fait remonter tout en moi ce que je croyais effacé mais non, tout est si présent. Sa joue pêche, couverte d’un petit duvet blond, imperceptible, pêche je vous dis. Cette douceur, quel souvenir. Il fallait remonter au lobe de l’oreille pour retrouver la pivoine.

     

    Je me suis quand même endormi profondément assommé par la fatigue, et d’autres rêves sont venus hanter mon sommeil. Une jeune fille studieuse, le rossignol qui chante le retour du printemps, des bateaux à l’étrave fendants la mer, la proclamation des résultats au bac. Je me suis levé un peu vaseux, mon dieu quelle mauvaise nuit passée ! Une bonne douche bien chaude suivi d’une froide m’ont remis les idées en place. Un bon petit déjeuner deux œufs sur le plat avec des petites saucisses et un morceau de baguette beurrée achève de me remettre d’aplomb. Vers 11 heures, j’arrête mes révisions et je reprends cette carte que je n’arrive pas à extraire de mon esprit. Je la prends et la relis encore une fois, oui il y a un air de ressemblance avec le modèle de Fragonard. Je décide d’aller distribuer la carte à la bonne adresse.

     

    Je traverse le parc en diagonale en passant par le petit square, celui où les canards s’ébrouent dans le plan d’eau et j’arrive devant l’immeuble O. Je lis les étiquettes du panneau situé dans le hall du bloc, et je trouve A. Lambert, Vve. Mannering. Mon dieu me dis-je, Mannering le nom de Mercedes. Impossible d’amorcer un geste, submergé par une émotion indescriptible, je suis figé. Néanmoins, un peu de lucidité persiste. Si je mets cette carte, comment vais-je pouvoir en savoir plus ? C’est mon passe, ma chance d’en savoir plus, et peut-être, oui j’ose espérer, de retrouver Mercedes. Les mots de la carte postale dansent devant mes yeux. Ma vue se brouille et comme un automate, je sonne. Mon cœur déchire ma poitrine, j’essaye de respirer profondément. Pas de réponse, je sonne encore, je me calme. Je vais revenir, plus tard. La porte du mystère est entrouverte. Oui d’un coup je me souviens que le frère de Mercedes s’appelait Daniel, je l’avais complètement oublié, mais je ne le connaissais que par sa sœur interposée.

    L’interphone grésille et une voix douce m’interroge : Oui c’est pourquoi ?

    J’explique en essayant de ne pas bafouiller que j’ai une carte postale des USA qui a été déposée par inadvertance dans ma boite aux lettres.

    — Merci vous n’avez qu’à la glisser dans ma boite.

    — Non, non, je dois vous la remettre en mains propres, c’est important.

    — Bien je ne vois pas bien pour quelle raison.

    — Je vous expliquerai, soyez gentille, recevez-moi, c’est au sujet de Mercedes.

    — Mercedes, vous connaissez Mercedes, comment, où …, je vous ouvre.

     

    La porte fait ce petit clic caractéristique du déclenchement électronique.

    — C’est au quatrième, palier de droite, directement en sortant de l’ascenseur. Je vous attends, je prépare une tasse de café.

    Comme un amoureux au premier rendez-vous, je ne prends pas l’ascenseur, mon cœur battant à tout rompre, j’arrive presque essoufflé. Une femme se tient dans l’embrasure et la ressemblance avec Mercedes me saute aux yeux. Elle tortille ses mains, mais un sourire se dessine, et me demande d’entrer.

    — Je vous prie, asseyez-vous, et dites-moi vite qui vous êtes, bien qu’il me semble le deviner. Vous êtes son petit ami, n’est-ce pas ?

    Je voudrais l’interrompre pour lui demander où elle est, si je peux la voir, mais elle enchaîne phrase sur phrase. Son discours est peu clair, elle parle de sa fille si heureuse, qui lui avait avoué être amoureuse, mais au travers de ses paroles, je devine un drame. Prenant mon courage à deux mains je crie presque :

    — Mercedes, où est-elle, je veux la voir !

    — Bien sur vous pourrez la voir. Vous savez, depuis l’accident… Des sanglots la secouent, et je ne sais comment me comporter. Je m’approche, je m’assieds à côté d’elle, et elle tombe contre mon épaule. Pendant un moment qui me semble une éternité, elle se calme. Et déjà elle me tutoie.

    — Excuse-moi, je vais tout te raconter.

    Mon mari pour la récompenser d’avoir réussi son bac avec brio, lui avait offert un voyage surprise en Egypte, les pyramides de Gizeh, le Sphinx, l’oasis du Fayoum et sa nécropole, un trek en dromadaire dans le désert égypto-lybien. Son groupe a été pris dans une tempête de sable. Toute la méharée s’en est sorti sauf mon mari qu’on n’a jamais retrouvé, et Mercedes récupérée in extremis, mais dans le coma, puis amnésique.

    Aujourd’hui tout est plus ou moins rentré dans l’ordre. Par exemple, moi elle me reconnaît même si ce n’est plus la même chose qu’avant, c’est très dur tu sais.

    Par contre, elle sait qu’elle était amoureuse d’un garçon, mais elle ne sait plus de qui.

    Elle me dit qu’elle le voit rayonnant dans le soleil et quand elle s’approche pour lui parler il s’estompe dans une sorte de brouillard gris et il y disparaît. Chaque fois c’est une scène de larmes, elle en connaît l’importance, et c’est pour ainsi dire la seule chose qu’elle doit encore retrouver. Les médecins et moi-même, la psychologue avons tout fait pour essayer de lui gommer cette image qui la torture et l’empêche d’avancer. Je me suis rendue au lycée pour trouver un nom, j’ai interrogé ses camarades de classe. Rien. Même sa meilleure amie n’avait rien soupçonné.

    Je la laisse parler, suspendu à ses phrases, parfois haletantes.

    — L’accident laisse dans sa mémoire une sombre image qui implose et l’empêche de retrouver le nom de celui qui l’aime. Chaque fois que je vais la voir, elle me raconte la même chose : c’est comme une main tendue par-dessus le temps qui tâtonne, qui cherche et qui quémande la mienne, elle frôle ma joue avec une délicatesse ancienne, plus douce que la fraîcheur du soir. Mes oreilles, subitement attentives, écoutent avec ravissement cette voix qui monte, se cristallise dans l’air puis sans avertissement s’effondre dans l’ombre »… Oui je sais par cœur ces phrases qui paraissent terriblement romantiques et qu’elle me déclame, presque, comme au théâtre.

    Elle est pour l’instant soignée dans une maison de convalescence, suite à une dépression sévère, mais son médecin m’affirme que, théoriquement elle pourrait reprendre ses études en octobre prochain si elle en avait le désir. Mais je sais maintenant, vous êtes là et c’est miracle, nous allons la sortir de ce tunnel sans fin.

     

    — Je ne comprenais pas son silence, son téléphone était sans cesse sur messagerie, puis le numéro ne fut plus attribué et lorsque je me suis rendu à votre adresse, l’appartement était en vente, et une voisine interrogée m’avait parlé d’un départ pour l’Amérique, alors je me suis dit que je l’avais tout simplement perdue, et surtout qu’elle voulait rompre tout contact avec moi. Je n’ai jamais imaginé l’histoire effrayante que vous avez vécue. Oui tout va rentrer dans l’ordre, je le sais, oui je l’espère vraiment.

    Je suis devant l’autel de la Chapelle de Saint Blaise des Simples, décorée par Jean Cocteau, les dessins épurés, presque naïfs m’émeuvent plus que ce jour béni, où Mercedes les regardait avec moi. Je me souviens qu’elle en adorait le bleu et les feuillages, la sépulture toute simple de ce poète. J’entends des pas derrière moi. Je me retourne, Mercedes lâche la main de sa mère, hésite, étonnée, puis accourt vers moi et dans un murmure, bas à l’oreille, j’entends :

    — Edmond !



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