Accueil › Forums › Textes contemporains › (O) AHIKAR – La Parabole de l’araignée › Répondre à : (O) AHIKAR – La Parabole de l’araignée
Bonjour chère Bruissement,
J’espère que vous ne m’en voudrez pas trop d’être têtu. J’ai fait quelques recherches. J’ai trouvé quelques pistes intéressantes.
Jacques Vermeylen, dans Job, ses amis et son Dieu: la légende de Job et ses relectures postexiliques, écrit page 36 : « La figure de Job révolté, longtemps oubliée ou refoulée, est aujourd'hui largement réhabilitée: voilà un homme accablé par le malheur avec lequel nous nous solidarisons spontanément et dont nous pouvons admirer la sincérité, le courage. »
Samuel L. Terrien écrit dans « Job : Commentaire de l’Ancien Testament/ XIII » : « Traditionnellement, on considère que l’auteur du récit en prose qui présente Job comme objet d’une mise à l’épreuve divine est à distinguer de l’auteur de la partie centrale, qui fait apparaître un Job révolté accusant Dieu d’être le responsable de son malheur nullement mérité. »
« Le fait que la partie en prose décrit un Job soumis, pieux et patient pendant que le poème décrit plutôt un Job révolté et, à la limite, blasphémateur, soulève souvent la question de savoir si ce livre est l'œuvre d'un seul auteur, ou de plusieurs. »
Je me suis aussi rappelé d’une émission où Elie Wiesel disait avoir beaucoup réfléchi sur le Livre de Job, pour finalement choisir de se poser en Job révolté dans La nuit. Il me semble que l’extrait ci-dessous illustre bien son propos :
« Dix mille hommes étaient venus assister à l’office solennel, chefs de blocks, kapos, fonctionnaires de la mort.
— Bénissez l’Éternel…
La voix de l’officiant venait de se faire entendre. Je crus d’abord que c’était le vent.
— Béni soit le nom de l’Éternel !
Des milliers de bouches répétaient la bénédiction, se prosternaient comme des arbres dans la tempête.
Béni soit le nom de l’Éternel !
Pourquoi, mais pourquoi Le bénirais-je ? Toutes mes fibres se révoltaient. Parce qu’Il avait fait brûler des milliers d’enfants dans ses fosses ? Parce qu’Il faisait fonctionner six crématoires jour et nuit les jours de Sabbat et les jours de fête ? Parce que dans Sa grande puissance Il avait créé Auschwitz, Birkenau, Buna et tant d’usines de la mort ? Comment Lui dirais-je : « Béni sois-Tu, l’Éternel, Maître de l’Univers, qui nous a élus parmi les peuples pour être torturés jour et nuit, pour voir nos pères, nos mères, nos frères finir au crématoire ? Loué soit Ton Saint Nom, Toi qui nous as choisis pour être égorgés sur Ton autel ? »
J’entendais la voix de l’officiant s’élever, puissante et brisée à la fois, au milieu des larmes, des sanglots, des soupirs de toute l’assistance :
— Toute la terre et l’univers sont à Dieu !
Il s’arrêtait à chaque instant, comme s’il n’avait pas la force de retrouver sous les mots leur contenu. La mélodie s’étranglait dans sa gorge.
Et moi, le mystique de jadis, je pensais : « Oui, l’homme est plus fort, plus grand que Dieu. Lorsque Tu fus déçu par Adam et Ève, Tu les chassas du paradis. Lorsque la génération de Noé Te déplut, Tu fis venir le Déluge. Lorsque Sodome ne trouva plus grâce à Tes yeux, Tu fis pleuvoir du ciel le feu et le soufre. Mais ces hommes-ci que Tu as trompés, que Tu as laissés torturer, égorger, gazer, calciner, que font-ils ? Ils prient devant Toi ! Ils louent Ton nom ! »
— Toute la création témoigne de la Grandeur de Dieu !
Autrefois, le jour du Nouvel An dominait ma vie. Je savais que mes péchés attristaient l’Éternel, j’implorais Son pardon. Autrefois, je croyais profondément que d’un seul de mes gestes, que d’une seule de mes prières dépendait le salut du monde.
Aujourd’hui, je n’implorais plus. Je n’étais plus capable de gémir. Je me sentais, au contraire, très fort. J’étais l’accusateur. Et l’accusé : Dieu. Mes yeux s’étaient ouverts et j’étais seul, terriblement seul dans le monde, sans Dieu, sans hommes. Sans amour ni pitié. Je n’étais plus rien que cendres, mais je me sentais plus fort que ce Tout-Puissant auquel on avait lié ma vie si longtemps. Au milieu de cette assemblée de prière, j’étais comme un observateur étranger.
L’office s’acheva par le Kaddich. Chacun disait Kaddich sur ses parents, sur ses enfants, sur ses frères et sur soi-même.
Un long moment nous restâmes sur la place d’appel. Personne n’osait s’arracher à ce mirage. Puis l’heure du coucher arriva, et les détenus regagnèrent à petits pas leurs blocks. J’entendis qu’on se souhaitait une bonne année ! »
Je vous souhaite une très bonne soirée !
Amitiés,
Ahikar
P.-S. Je voudrais juste préciser que pour écrire ce texte, j’ai épluché les journaux indiens de l’époque, et que le passage concernant la femme au nez coupé n’est nullement inventé.